Intervention de Jean-Pierre Chevènement

Réunion du 15 juillet 2009 à 14h30
Programmation militaire pour les années 2009 à 2014 — Discussion d'un projet de loi

Photo de Jean-Pierre ChevènementJean-Pierre Chevènement :

Et surtout, comment éviter le vieillissement de la pyramide des âges de nos militaires ?

Le projet de loi met l’accent, à juste titre selon moi, sur la fonction « connaissance et anticipation », ce qui renforcera notre autonomie de décision.

Enfin, la programmation pérennise la dissuasion. C’est, à mes yeux, son principal mérite.

Certes, à Prague, le président Obama a ouvert des perspectives nouvelles à la réduction des armements nucléaires.

Dois-je rappeler cependant que si l’on ajoute aux têtes nucléaires opérationnellement déployées par les États-Unis et la Russie – au nombre aujourd’hui de 1 700 à 2 200, demain de 1 500 à 1 650, selon les accords qui se dessinent – les stocks de têtes stratégiques et, plus encore, les armes nucléaires tactiques, les deux pays disposent encore d’environ 10 000 têtes chacun ?

Le président Obama, dans son discours de Prague, déclarait n’être pas sûr de voir « de son vivant » le désarmement nucléaire.

D’autres pays – Chine, Inde, Pakistan – continuent à développer leur arsenal. D’autres encore se sont dotés ou veulent se doter de l’arme nucléaire.

Il est donc tout à fait légitime, à mes yeux, que la France se donne les moyens de pérenniser sa dissuasion, calibrée à un format de stricte suffisance, sachant que les armes nucléaires vieillissent et qu’au-delà de vingt ans leur fiabilité n’est plus garantie.

J’approuve donc certains aspects du présent projet de loi, mais ces points positifs ne peuvent occulter une inspiration d’ensemble qui rompt avec l’indépendance de notre posture de défense.

L’analyse de la menace reprise du Livre blanc par le projet de loi relatif à la programmation militaire à travers un concept valise, celui de mondialisation, est censée justifier la réintégration du dispositif militaire de l’OTAN, sans qu’une défense européenne autonome ait pu prendre corps, en contrepartie.

À lire le Livre blanc, qui n’a pas de valeur législative mais qui inspire le présent projet de loi, tout procède de ce concept fourre-tout qu’est la mondialisation.

Or, monsieur le ministre, la mondialisation ne procède pas seulement de facteurs techniques, comme la diffusion rapide de l’information via internet. Elle découle de l’emprise croissante du capital financier sur l’économie mondiale qui bouleverse la géographie des puissances, alors que des pays anciennement industrialisés, en particulier la France, voient se déliter leur tissu industriel. De plus, nous assistons à la montée de la Chine mais aussi de l’Inde, au retour de la Russie, à des tensions croissantes sur les approvisionnements de matières premières, notamment les hydrocarbures, à des concurrences avivées et au creusement d’inégalités toujours plus grandes entre les couches sociales bénéficiaires de la mondialisation et la masse des laissés pour compte. Il en résulte des replis identitaires, ethniques ou religieux, qui nourrissent des conflits ou des guerres asymétriques, rendus plus dangereux par la prolifération d’armes de destruction massive.

Cette globalisation financière est aujourd’hui en crise. Nous aurions aimé, monsieur le ministre, que vous nous dessiniez une sortie de crise préservant les intérêts de la France, sans nous mettre à la remorque d’intérêts plus puissants, mais affirmant, au contraire, notre mobilité et notre indépendance. Ce n’est pas le choix fait par les auteurs du Livre blanc.

Le Livre blanc fait du multilatéralisme, et non de l’indépendance nationale, le « principe fondateur » – page 113 –, face à ce qu’il appelle « l’incertitude stratégique ».

Certes, le Président de la République, dans la préface au Livre blanc, mentionne l’indépendance, mais en second lieu, après « les défis que nous confèrent nos obligations internationales ». Mais quelles sont-elles ? Nous assistons à l’extension du champ et des missions de l’OTAN, fait préoccupant ; nous soutenons, par principe, l’élargissement du nombre de membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, mais sans prendre garde à sa gouvernabilité. Or vous savez bien qu’au-delà de vingt membres, et, à plus forte raison, de vingt-cinq, la situation n’est plus tenable.

La réintégration complète de l’organisation militaire de l’OTAN est la décision emblématique de notre nouvelle posture de défense.

Il est inquiétant que l’Alliance se voit reconnaître, selon le Livre blanc, la mission de gérer des crises ou de stabiliser des zones de conflit sans limitation géographique, au motif du « déplacement des intérêts stratégiques communs vers des zones de crise sensibles, en particulier le Moyen-Orient et l’Asie ».

Cette « communauté d’intérêts » mériterait d’être démontrée. La France et les États-Unis n’ont pas toujours mené la même politique dans le Golfe. L’Asie centrale n’a jamais été, pour la France, une zone d’intérêt prioritaire. Inversement, les États-Unis ont toujours eu un intérêt dans le contrôle du golfe Arabo-Persique, de la zone de la Caspienne, également riche en hydrocarbures, et de l’Asie centrale, au cœur du Heartland. Ces régions font partie de leur stratégie.

Tel n’est pas notre intérêt national. L’OTAN n’a pas à devenir une « ONU bis ».

Certes, l’ambition européenne est mise en avant, mais je n’observe pas qu’à la réintégration de l’OTAN par la France ait correspondu, en contrepartie, un pas en avant réellement significatif vers une défense européenne autonome. L’état-major européen, situé à Mons, ne dispose en fait que des moyens très faibles que veut bien lui accorder l’OTAN. Ses effectifs le rendent incapable d’organiser une opération propre d’intensité un peu forte. Nos amis britanniques veillent d’ailleurs à empêcher toute montée en puissance significative.

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