Intervention de Bernard Cazeau

Réunion du 15 juillet 2009 à 21h45
Programmation militaire pour les années 2009 à 2014 — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de Bernard CazeauBernard Cazeau :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mon intervention concernera essentiellement les objectifs de privatisation inscrits à l’article 11, consacré à l’industrie des poudres et explosifs, avec, pour corollaire, la chimie.

Afin de ne pas faire doublon, je ne reprendrai pas les arguments plus généraux avancés par mes collègues socialistes ; vous comprendrez, monsieur le ministre, que je les fais miens. En effet, dans notre pays, depuis plusieurs siècles, la politique militaire est aussi une politique industrielle et d’aménagement du territoire.

L’État s’est donné des leviers d’action par la création de grands groupes industriels spécialisés, détenteurs de technologies et de savoirs spécifiques, en lien avec notre politique d’armement et les intérêts économiques de la nation. Par ce biais, il a pu assurer notre indépendance stratégique grâce à des implantations éloignées des zones traditionnelles de combat et permettre le développement économique de bassins d’emplois défavorisés, tout spécialement dans l’ouest et le sud-ouest de la France.

La Société nationale des poudres et des explosifs fait partie de cet ensemble constitutif de notre socle industriel militaire et civil. Investie dans les matériaux énergétiques et la chimie, cette entreprise publique de 4 000 emplois comporte plusieurs filiales et plusieurs implantations sur notre territoire.

Aussi, la perspective de sa privatisation, prévue par l’article 11 du texte que vous nous soumettez, soulève inquiétude et incompréhension. Inquiétude, bien entendu, car nous savons ce qu’il adviendra des parties les moins rentables du groupe s’il est vendu. Une privatisation, aujourd’hui, c’est une cession demain et, souvent, une restructuration après-demain.

Monsieur le ministre, je ne vous rappellerai pas l’histoire de Molex, cédée à Safran en 2004, revendue à des investisseurs d’outre-Atlantique en 2006 et délocalisée en Slovaquie en 2009. Il n’aura fallu que trois ans pour supprimer 300 emplois à Villeneuve-sur-Tarn !

Ne doutons pas qu’il en sera de même avec des filiales de la SNPE, comme Bergerac NC, dont le niveau de résultat n’est pas satisfaisant pour le secteur privé et dont le métier et le marché se développent désormais davantage en Asie qu’en Europe.

Á Bergerac, la réforme de la carte militaire va supprimer 120 emplois avec la seule fermeture de l’Établissement spécialisé du commissariat de l’armée de Terre, communément appelé ESCAT. Faut-il en ajouter quelques centaines supplémentaires ? Ce texte ne nous rassure pas sur ce point. Il apaise encore moins les inquiétudes des 400 employés des filiales de la SNPE de Bergerac, à savoir Eurenco, Bergerac NC, Durlin et Manuco. Surtout, il n’apporte aucune garantie aux personnels quant à l’avenir de leur emploi.

Mais ces inquiétudes se doublent d’une incompréhension. En effet, les raisons avancées il y a quelques mois ne tiennent plus. Les motifs financiers autrefois invoqués laissent plus que sceptiques. Dans son rapport d’activité pour 2008, le groupe SNPE écrit en toutes lettres que l’encaissement de l’indemnité versée par la filiale de Total Grande Paroisse à la suite du sinistre d’AZF « a pour effet immédiat de réduire de façon significative l’endettement financier net du Groupe et de le ramener autour de 50 millions d’euros. Il aura également une incidence très favorable sur le résultat net de l’exercice 2009. »

Sachant que l’endettement du groupe est aujourd’hui de l’ordre de 250 millions d’euros, peut-on en déduire que l’indemnité transactionnelle serait de l’ordre de 150 millions d’euros ? Sur un chiffre d’affaires du groupe de 700 millions d’euros, ce n’est pas si mal !

Le groupe lui-même l’écrit dans son rapport annuel 2008 : « Le groupe SNPE anticipe […] une progression de son chiffre d’affaires en 2009 », de nature à compenser les incertitudes concernant ses autres activités.

En résumé : un accord transactionnel satisfaisant après AZF, des contrats à long terme pour 2009, une dette en passe d’être comblée, de l’argent pour investir dans de nouvelles activités, des accords salariaux signés dans tout le groupe. Bref, l’entreprise semble renaître ! Et pendant ce temps-là, le Gouvernement s’enferre aveuglément dans sa logique de privatisation. C’est pour le moins paradoxal !

Comment peut-on raisonnablement concevoir que l’État garde ses entreprises dans les transports, dans l’énergie, dans le courrier, dans les médias, dans les jeux à gratter, dans le commerce de gros, mais qu’il les abandonne dans l’armement, compétence régalienne par excellence, ou dans la chimie, industrie exportatrice s’il en est ? Dans quelle logique économique sommes-nous ?

On pourrait quand même concevoir que des entreprises qui travaillent pour le gaz de nos missiles, la propulsion de nos fusées ou la chimie de spécialité demeurent dans le domaine public. Á moins, monsieur le ministre, que le but de tout cela soit de trouver des recettes, puisque la loi de finances pour 2009 a prévu 5 milliards d’euros provenant de privatisations et de cessions d’actifs. C’est sûrement votre principale motivation. Elle ne nous satisfait pas, car elle traduit une précipitation comptable plus qu’une véritable réflexion industrielle

Nous nous opposerons donc à une privatisation précipitée et sans perspective et nous demanderons, sans grand espoir d’être entendus, la suppression de l’article 11 du projet de loi.

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