Intervention de Virginie Klès

Réunion du 15 juillet 2009 à 21h45
Programmation militaire pour les années 2009 à 2014 — Article 2 et rapport annexé

Photo de Virginie KlèsVirginie Klès :

Voici un texte censé fixer les orientations relatives à la politique de défense et aux moyens qui lui sont consacrés au cours de la période 2010-2014 – même si l’année 2009 est celle qui est prévue – dans le respect de la transparence et de la sincérité. On est bien loin de la réalité, comme mon collègue vient de le faire remarquer.

De plus, ce texte est, comme on en a malheureusement pris l’habitude depuis quelque temps, un fourre-tout mélangeant allègrement des dispositions législatives de nature différente et qui ne relèvent pas toutes, d’ailleurs, d’une loi de programmation militaire. Finalement, il ne traduit que les seules volontés capricieuses du Président de la République, sous couvert de concertations et de débats mal ou pas du tout menés, malgré les affirmations assénées à longueur de pages.

L’article 2 ne prévoit ni plus ni moins que l’approbation indirecte par le Parlement du Livre blanc, dont le rapport annexé n’est rien d’autre qu’une synthèse, un texte doctrinaire issu de la seule volonté présidentielle, n’ayant fait l’objet d’aucun débat et rédigé par des civils, dans le mépris et l’ignorance affichés des avis militaires recueillis ; sans doute pour le fun, diraient nos enfants !

Ainsi, au point 2.3.1 du rapport annexé, la nouvelle base militaire d’Abu Dhabi – c’est bien d’elle qu’il s’agit – amène les militaires comme les élus à se poser quelques questions.

D’abord, on peut s’interroger sur les procédures décisionnelles et le contrôle des structures ad hoc utilisées pour la construction d’un équipement si lourd.

La fameuse transparence voulue par le chef de l’État est déjà mise à mal puisque ces infrastructures militaires apparaissent réellement comme « la base du Président », leur création ayant été gérée de A à Z par l’Élysée, souvent dans le plus grand secret.

En outre, même si vous affirmez que l’ouverture d’une nouvelle base à Abu Dhabi « ne se fera pas au détriment de la présence française en Afrique », vous déclarez parallèlement que l’armée paiera aussi son tribut à la réduction des moyens budgétaires, humains et matériels affirmés par la RGPP.

Les militaires le soulignent pourtant, les forces françaises sont déjà présentes durablement en Afghanistan, elles y sont même renforcées ; une nouvelle « élongation » stratégique permanente dans le Golfe arabo-persique serait coûteuse, surtout pour conduire des missions qui se déroulent actuellement sans anicroche. Force est de constater, une fois encore, que le Président de la République est sourd à leurs arguments éclairés.

Au détriment de quoi, de qui, de quelle priorité affichée ce « redéploiement », terme pudiquement utilisé, sera-t-il réalisé ? Les militaires et nous-mêmes craignons de le savoir : la base de Djibouti ne sera-t-elle pas touchée, alors que les qualités stratégiques de cette grosse installation française ont été confirmées par l’augmentation de la piraterie et que le point 2.3.3 du rapport annexé prévoit spécifiquement la lutte contre les trafics ?

Ou bien sera-ce la participation des forces armées à l’aménagement du territoire ou à la sécurité civile intérieure, notamment lors de catastrophes naturelles ou technologiques, qui sera sacrifiée ?

La politique affichée va bien au-delà des moyens accordés : 25 % d’effectifs en moins, hors baisse d’effectifs « soutien », dans le cadre de la RGPP ; une base en plus. Faites le compte…

Enfin, cette installation militaire dans le Golfe persique illustre un changement de position stratégique. En effet, le nouvel accord de défense signé par le Président de la République avec les Émirats arabes unis place désormais Paris au premier rang en cas de conflit avec l’Iran. La France les défendra « avec tous les moyens militaires », c’est-à-dire également avec le recours à l’arme nucléaire.

Comment se fait-il que ce nouvel accord ait été conclu à un niveau bilatéral ? La France, sur la seule décision du chef de l’État, contrairement à l’avis du plus grand nombre et, une fois encore, dans l’ignorance méprisante de l’avis militaire, vient pourtant de réintégrer le commandement de l’OTAN.

Par ailleurs, cet accord renferme des clauses secrètes, alors que le Président de la République avait annoncé une complète transparence vis-à-vis des parlementaires, rappelée d’ailleurs dans le point 5.1 du rapport annexé. Il est vrai que les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent...

Par conséquent, la France offrira désormais une protection nucléaire à un pays sans coordonner ses actions avec l’OTAN ou les États-Unis.

L’émergence de la France comme puissance nucléaire dans la région du Golfe risque donc d’exacerber les tensions dans cette partie du monde, soyons-en conscients, mais le chef de l’État en porte seul la responsabilité aujourd’hui.

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