Intervention de Jean Arthuis

Réunion du 2 décembre 2006 à 10h30
Loi de finances pour 2007 — Article additionnel après l'article 51, amendement 29

Photo de Jean ArthuisJean Arthuis, président de la commission des finances :

Un amendement de même nature a déjà fait l'objet d'un vote au Sénat. Il s'inscrit dans une démarche entièrement respectueuse de l'économie ultramarine et des relations sociales dans chacun de ces départements et territoires.

Au vu de la mission d'information sur la politique du logement en outre-mer que vient de conduire notre collègue Henri Torre, je crois très franchement pouvoir dire, comme lui-même, que le Gouvernement dispose là de marges de progression, monsieur le ministre.

Le constat que nous faisons est le suivant : si les autorisations d'engagement ont été généreuses, il reste que les crédits de paiement n'ont pas suivi et que la dette actuelle doit être de l'ordre de 450 millions à 800 millions d'euros. En d'autres termes, face aux besoins, je ne suis pas sûr que la politique du logement soit, dans chaque territoire, à la hauteur des attentes légitimes de la population.

Ce que nous voulons dire, c'est qu'il convient de mener une politique respectueuse de l'outre-mer ; or certaines pratiques ne nous paraissent pas répondre à cette ambition, à cette préoccupation.

Nous revenons donc une nouvelle fois sur la question des indemnités temporaires allouées à des fonctionnaires d'État qui, après avoir exercé leur carrière en métropole, choisissent de prendre leur retraite dans tel ou tel territoire d'outre-mer ou collectivité territoriale ou dans le département de La Réunion.

C'est ainsi que ceux qui prennent leur retraite à La Réunion, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française ou à Wallis-et-Futuna peuvent bénéficier de cette majoration en application de décrets de 1952, majoration qui peut varier de 35 % à 75 % !

Nombre de ces bénéficiaires appartiennent à la catégorie des hauts fonctionnaires, des officiers généraux, bref de ceux dont les pensions se situent au niveau le plus élevé.

Par ailleurs, outre le bénéfice de cette pension supplémentaire, ils peuvent se prévaloir des dispositions fiscales propres à tel ou tel territoire et échapper, pour certains d'entre eux tout au moins, à l'impôt sur le revenu. Je tiens ici à préciser que, à l'exception de La Réunion, les revenus outre-mer ne sont soumis ni à la CSG ni à la CRDS.

Naturellement, on peut souhaiter qu'un contrôle s'exerce, mais ce dernier est totalement inopérant, et nous sommes fondés à penser qu'il existe peut-être certains abus de la part de personnes qui sont domiciliés fictivement dans l'un ou l'autre de ces territoires. L'arrêt du Conseil d'État Vedel et Jannot du 20 décembre 1995 a privé les instructions administratives antérieures de toute portée réelle. Par conséquent, il est permis d'affirmer qu'il n'y pas de contrôle effectif.

La Cour des comptes a ainsi souligné, en avril 2003, dans un rapport particulier consacré aux pensions des fonctionnaires civils de l'État qu'il s'agit là d'une indemnité avantageuse - c'est le moins que l'on puisse dire - au contrôle quasi impossible.

Ce qui est symptomatique, c'est que le coût de ces surpensions ne cesse de progresser. En 2001, la Cour des comptes avait estimé le coût du dispositif à 159 millions d'euros. En 2003, il s'élevait à 203 millions d'euros. Tout laisse à penser qu'il pourrait atteindre, en 2007, 300 millions d'euros.

En 1995, les bénéficiaires étaient au nombre de 17 329. Ils sont aujourd'hui - je dis « aujourd'hui », mais les chiffres que j'ai à ma disposition sont de 2005 - 32 172, c'est-à-dire qu'ils ont pratiquement doublé, un phénomène d'accélération étant observé.

Cette hausse s'explique par deux raisons. D'abord, une jurisprudence a étendu les dispositions au minimum retraite, significativement relevé depuis 2001. Ensuite, les avantages du dispositif commencent à être connus des fonctionnaires de l'État, notamment à la suite de plusieurs reportages diffusés à des heures de grande écoute. Ce mouvement est relayé par des forums de divers sites Internet qui fournissent toutes informations - je peux vous en indiquer quelques-uns. Cela est parfaitement significatif.

La position que nous prenons est constante, puisque, dès 2003, à l'occasion de l'examen du projet de loi de programme pour l'outre-mer, nous avions déposé un amendement, que j'ai ensuite retiré sur la foi des engagements du ministre de porter remède à cette situation.

Depuis, que s'est-il passé ? Rien ! Avec constance, chaque année, lors de la discussion du projet de loi de finances, Philippe Marini et moi-même déposons un amendement pour alerter le Gouvernement. Aucune suite n'a été donnée à cette démarche.

Pour la commission des finances, il s'agissait non de tout bousculer, mais de poser le problème, de demander que des dispositions soient prises pour stabiliser le stock, modérer le flux et rechercher des dispositions équitables. En effet, nous ne croyons pas que ces dépenses soient véritablement au service de l'outre-mer.

Monsieur le ministre, je n'ai cessé de dire à quel point vous avez eu raison de multiplier les audits. Et je salue votre initiative qui a consisté à mandater sur ce problème particulier une mission mobilisant l'Inspection générale des finances, l'Inspection générale de l'administration et le Contrôle général des armées.

Vous êtes allé jusqu'au bout de votre démarche en mettant en ligne sur Internet le rapport d'audit. Je salue cette initiative : c'est de la très bonne administration !

Mon seul étonnement porte sur la difficulté de passer des recommandations de l'audit à l'initiative législative.

J'ai sous les yeux le rappel des dysfonctionnements constatés. Ce sont ceux que nous nous étions permis de souligner et qui justifiaient nos propositions.

Face à ces recommandations dépourvues de toute ambiguïté, nous attendions une initiative du Gouvernement. Nous persistons, parce que nos convictions nous le dictent.

Nous ne sommes pas de ceux qui estiment que le Parlement est une simple chambre d'enregistrement. Hier soir, l'un d'entre nous s'interrogeait pour savoir où était le pouvoir législatif. Il est ici, mes chers collègues, à condition que nous ayons la sagesse d'assumer nos prérogatives.

Pour notre part, c'est ce que nous faisons. Nous ne voulons pas être suspects de nous accommoder de je ne sais quelle décision prise ailleurs. Nous avons à rendre des comptes à nos électeurs et aux Français. Il est urgent de combler ce déficit de confiance entre les politiques, dont nous sommes, et nos compatriotes.

Nous avons tiré les conséquences de l'audit de modernisation, et nous avons donc déposé l'amendement n° II-29.

Nous souhaitons joindre nos efforts à ceux des personnes qui militent pour le développement de l'outre-mer. Nous aurons l'occasion, mercredi prochain, d'évoquer avec M. François Baroin les crédits de l'outre-mer, pour constater d'ailleurs que, dans la mission « outre-mer », à peu près 20 % des crédits concernent l'outre-mer.

Nous verrons aussi, à cette occasion, qu'il manque entre 450 millions et 800 millions d'euros de crédits pour satisfaire aux besoins du logement. Les organismes constructeurs qui ont lancé des travaux sont aujourd'hui pratiquement en cessation de paiement. C'est dire si vous aurez besoin de gages. Nous vous en offrons un, monsieur le ministre.

Je présente cet amendement, cosigné par mon collègue Philippe Marini, avec la sérénité qui caractérise les parlementaires que nous sommes, en espérant pouvoir un jour être entendus.

Peut-être aujourd'hui le Sénat va-t-il nous suivre ? Je me souviens que, l'an dernier, notre amendement avait recueilli huit voix, lors du scrutin public.

À cet égard, je voudrais dire combien le vote par scrutin public peut être une immense frustration pour ceux d'entre nous qui participent aux débats. Nous sommes ici en séance. Pendant de longues minutes, nous essayons de faire partager nos convictions. Et, chemin faisant, nous y parvenons. Puis, vient l'heure du scrutin public, celle où l'on fait voter ceux qui ne sont pas présents et qui votent contre vous. Il faudra qu'un jour, monsieur le président, nous nous interrogions sur les votations au sein du Parlement. §

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion