Intervention de Anne-Marie Escoffier

Réunion du 16 décembre 2008 à 16h00
Gendarmerie nationale — Discussion générale

Photo de Anne-Marie EscoffierAnne-Marie Escoffier :

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le week-end dernier, nos amis gendarmes m’avaient conviée à fêter avec eux leur patronne, sainte Geneviève. Ce fut un temps fort de solidarité et d’amitié.

Ce fut aussi pour moi l’occasion de prendre le pouls d’une arme à laquelle je suis, vous le savez, particulièrement attachée. En de nombreuses circonstances, j’ai pu prendre la mesure des valeurs portées par la gendarmerie, rappelées dans un court film qui nous a été projeté ce jour-là. Il traduisait parfaitement l’état d’esprit du général Gilles, appelant ses hommes à être pleinement des militaires, des hommes du terroir et des hommes de la loi : trois caractéristiques qui sont toute la culture et toute l’âme de la gendarmerie.

C’est en raison de mon attachement à la gendarmerie, madame le ministre, que je me permets, avec la plus grande force et une totale conviction, d’appeler votre attention sur les difficultés que me paraît poser ce projet de loi.

Je sais que je défendrai mon point de vue sur le premier problème avec beaucoup moins de véhémence que notre collègue Jean-Pierre Raffarin, qui vous a interpellée voilà quelques jours, lors de l’examen des crédits de la mission « Sécurité ». Il a alors dit son inquiétude de voir la gendarmerie être placée sous l’autorité du seul ministre de l’intérieur – non pas la vôtre, madame le ministre, mais celle d’un ministre qui, demain, ferait fi de l’indispensable dualité des forces de sécurité intérieure.

L’actuelle séparation organique entre police et gendarmerie est garante du respect des principes républicains que nous sommes nombreux, ici, à défendre de toute notre âme. Deux forces distinctes, placées sous deux autorités différentes, mais œuvrant ensemble à la sécurité des personnes et des biens : ce mode de fonctionnement était-il si inefficace qu’il faille le changer ?

N’avait-on pas, et depuis bien longtemps, compris que police et gendarmerie devaient travailler de façon complémentaire ? N’avions-nous pas instauré des modus vivendi qui ont fait leurs preuves, avec par exemple les GIR, les redécoupages territoriaux, la fidélisation sur les territoires, urbains pour les uns, ruraux ou périurbains pour les autres ?

Depuis 2002, police et gendarmerie sont sous l’autorité fonctionnelle du ministre de l’intérieur et, au plan local, sous celle du préfet. Chacun s’accorde à reconnaître les bons résultats obtenus, sans guerres intestines.

Que peut apporter ce « rattachement », cette « intégration », qui deviendra peut-être demain une « fusion » organique ?

Une meilleure coordination ? Celle-ci est affaire non pas de structures, mais d’hommes.

Une meilleure gestion des ressources humaines ? Cela impliquerait une révolution culturelle, pour que chacune des entités fasse un pas vers l’autre en matière de déroulements de carrières, de représentation au sein d’organismes, syndicaux ou non, de mesures à caractère social.

Une gestion plus efficace des budgets ? Comme les budgets ne vont pas être confondus, mais demeureront rattachés qui à la direction générale de la police nationale, la DGPN, qui à la direction générale de la gendarmerie nationale, la DGGN, ils garderont leurs spécificités propres et, surtout, des niveaux décisionnels distincts – soit le niveau zonal des SGAP, les secrétariats généraux pour l’administration de la police, soit un niveau central avec une gestion déconcentrée à l’échelon régional.

La tâche des préfets pour donner une cohérence à l’action des deux forces ne s’en trouvera pas simplifiée. La détermination des critères d’appréciation des programmes et des BOP, les budgets opérationnels de programmes, pour la police et pour la gendarmerie a d’ailleurs clairement montré les limites d’un exercice de comparaison quasiment impossible à réaliser.

Le deuxième problème fondamental touche aux prérogatives de la gendarmerie en matière de réquisition.

Je voudrais reprendre ici les arguments de deux anciens directeurs généraux de la gendarmerie nationale, anciens présidents de chambre à la Cour de cassation, qui ont dénoncé l’abandon de la procédure de réquisition de la force armée, fondant l’action de la gendarmerie, de statut militaire depuis le décret de 1903.

« Il est insupportable au regard des libertés publiques, écrivaient-ils, que la gendarmerie nationale soit désormais laissée, dans les missions de maintien et de rétablissement de l’ordre public, à la disposition du ministre ainsi qu’à la discrétion des préfets, sans la garantie fondamentale de la procédure de réquisition à force armée. »

Au regard des libertés publiques, il est à mon sens essentiel que la gendarmerie, « force armée instituée pour veiller à la sûreté et à la sécurité publiques », chargée de la « défense […] des intérêts supérieurs de la Nation », soit garante de cet équilibre démocratique qui passe par une procédure spécifique de réquisition à force armée.

Renvoyer à des décrets, fussent-ils pris en Conseil d’État, la définition des procédures d’autorisation de recours à des moyens militaires spécifiques et d’usage des armes à feu pour les nécessités du maintien de l’ordre est un artifice de forme – en aucun cas une réponse de fond – et un pied-de-nez aux valeurs républicaines que je rappelais il y a un instant.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion