Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici devant un projet de loi au parcours quelque peu étrange : alors qu’il a été déposé en août dernier sur le bureau du Sénat et que le Gouvernement a déclaré l’urgence, il n’est examiné qu’aujourd’hui par notre assemblée. Cet examen est tout de même plus précoce que prévu, puisqu’il était annoncé pour le mois de janvier prochain.
En tout état de cause, la discussion de ce texte arrive trop tard ! La loi de finances a effectivement déjà entériné son approbation, puisque, budgétairement, la gendarmerie a été rattachée au ministère de l’intérieur.
Doit-on en déduire, au fond, que notre débat d’aujourd’hui serait de pure forme et que le Gouvernement aurait fait, une fois de plus, une mauvaise manière au Parlement ?
J’ai lu, madame la ministre, que vous vous affirmiez sereine à l’heure de défendre ce projet de loi rattachant la gendarmerie à votre ministère. Une telle affirmation laisse cependant à penser qu’il pourrait y avoir un doute dans votre esprit. Cela ne serait d’ailleurs pas tout à fait illégitime, car vous ne sembliez pas aussi favorable à ce projet hier, lorsque vous étiez ministre de la défense.
En outre, depuis qu’on l’évoque, de rencontres avec les uns en auditions des autres, on ne voit pas grand-monde s’enthousiasmer pour lui, sur nos travées, bien sûr, mais aussi dans les rangs de la majorité, semble-t-il.
Ce projet de loi a donc été accueilli avec peu d’empressement, a fait l’objet de critiques plus ou moins nettement exprimées. Demandez donc son sentiment à l’ancien Premier ministre qui siège dans vos rangs : nous l’avons entendu en commission affirmer que, en l’état, il ne voterait jamais un tel texte.
En dehors de cette enceinte, une incompréhension plus grande encore, voire une crainte pour l’avenir, se manifeste chez nos collègues élus locaux, qui apprécient la proximité de la gendarmerie, de même que parmi les gendarmes eux-mêmes, quand ils peuvent exprimer, off the record évidemment, ce qu’ils pensent réellement.
Pourquoi ce peu d’enthousiasme ?
S’il ne s’agit pas vraiment, comme vous l’avez annoncé le 16 octobre dernier devant la commissions des lois et celle des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, madame la ministre, d’une réforme « historique », aucune loi sur le statut et les missions de la gendarmerie n’ayant été adoptée depuis la loi du 28 germinal an VI, il ne s’agit pas non plus d’un simple « texte de conclusion d’un processus engagé depuis plusieurs années ».
En fait, ce projet de loi, le premier certes portant sur ce thème depuis 1798, rompt avec une tradition bi-séculaire bien établie dans notre République et respectée hors quelques périodes peu exemplaires en matière de libertés publiques : le Premier Empire, le Second Empire et le régime de Vichy…
En effet, ce texte organise le détachement organique et opérationnel de la défense nationale de l’essentiel des missions de la gendarmerie nationale.
En France, deux forces concourent à la défense de la sécurité intérieure : l’une, la police, est civile ; l’autre, la gendarmerie, est une force militaire pourvue de compétences de police, et non une police à statut militaire. Vous connaissez ce débat !