… ont montré que l’affaire n’était pas si simple !
Enfin, garantie suprême, vous prétendez que votre projet de loi conforte le statut militaire de la gendarmerie. Sur ce sujet, il faut y regarder de beaucoup plus près et craindre que le diable ne se cache dans les détails !
La question du statut militaire de la gendarmerie est un point essentiel de votre projet de loi, sinon le point essentiel.
Il ne s’agit pas simplement du respect d’une tradition séculaire qui serait devenue obsolète ; non, il s’agit du respect de l’un des principes républicains sur lesquels repose notre démocratie.
Pour préserver un équilibre, notre pays a besoin de conserver deux forces de sécurité, l’une à statut militaire et l’autre à statut civil.
Bien que les missions de sécurité intérieure représentent 95 % de son activité et les missions militaires seulement 5 %, la gendarmerie a été, dès l’origine, une force militaire. Cela était dû non pas au hasard, mais à la volonté des fondateurs de la République de ne pas concentrer en une seule main tous les moyens de police.
Après la centralisation des différents services de police chargés de l’information, du renseignement et de la répression, le chemin est maintenant tout tracé vers une fusion progressive des deux corps ancestraux chargés d’assurer la sécurité civile dans notre pays. L’œuvre sera ainsi parachevée !
Vous nous expliquez que le rattachement organique et budgétaire de la gendarmerie au ministère de l’intérieur serait une simple question de cohérence et d’efficacité et permettrait à une seule autorité de gérer les deux composantes, civile et militaire, des forces de sécurité intérieure.
Si la question était uniquement de moderniser, de mutualiser les moyens, d’améliorer les conditions d’emploi de ces deux forces et d’assurer une meilleure coopération entre elles, je pense que le rattachement au ministère de l’intérieur ne s’imposait pas.
Afin de respecter en apparence ce dualisme républicain, vous ne remettez pas directement en cause le statut militaire de la gendarmerie ; c’est au détour d’une disposition de ce projet de loi que vous le videz subrepticement de sa raison d’être.
Je parle là de la suppression de la procédure de la réquisition pour l’engagement des unités de gendarmerie mobile en matière de maintien de l’ordre. Exclure la gendarmerie, comme vous le faites, du champ d’application du dispositif de la réquisition pour participation au maintien de l’ordre, c’est clairement lui dénier l’une des spécificités des forces militaires. C’est mettre en cause non seulement un héritage, mais surtout un principe de la Révolution française, d’ailleurs transcrit dans le code de la défense, dont l’article L. 1321-1 dispose qu’ « aucune force militaire ne peut agir sur le territoire de la République pour les besoins de la défense et de la sécurité civile sans une réquisition légale ».
Ainsi, il est spécieux de justifier cet abandon comme étant la conséquence logique du rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur, au motif que la réquisition permet à l’autorité civile d’obtenir la mise en œuvre de moyens dont elle ne dispose pas.
Le ministre pourrait parfaitement continuer à disposer de ces moyens sans que la procédure de réquisition soit supprimée, même si elle doit être modernisée.
Cette procédure n’est pas une entrave à l’efficacité. Elle est avant tout le signe de la subordination et de l’obéissance des armées aux autorités civiles, elle est aussi une garantie écrite, pour les commandants d’unités, contre d’éventuels excès de pouvoir. L’emploi de la gendarmerie dans des opérations de maintien de l’ordre sans réquisition écrite serait donc une grave atteinte aux principes républicains.
Ce danger n’a d’ailleurs pas échappé à trois anciens directeurs de la gendarmerie nationale, qui, dans un communiqué, ont estimé que ce texte « détruit toute garantie tendant à vérifier la légalité et la régularité de l’ordre d’agir donné à la gendarmerie par une autorité requérante civile ou militaire. Remplaçant la règle de la réquisition par un simple ordre verbal, il ouvre la voie à toutes les aventures et d’une simple crise peut faire une émeute et parfois plus. »
Dans la suite logique de ce qui précède, placer directement les commandants d’unités sous l’autorité des préfets, c’est-à-dire intégrer ces derniers dans la chaîne hiérarchique, est une autre manière de contourner le statut de cette force, en mettant en cause le principe d’obéissance hiérarchique inscrit dans le statut général des militaires.
Je pourrais aussi parler de l’abrogation, introduite dans le projet de loi, du décret de 1903, texte fondateur de l’organisation et du service de la gendarmerie.
Cette abrogation, certes symbolique, puisque nombre de ses dispositions sont reprises dans le code de la défense, aurait, entre autres effets, pour conséquence de priver les gendarmes d’un certain nombre de leurs valeurs et de leurs références, en particulier celles qui concernent la déontologie. Il aurait pourtant été important de les consacrer dans la loi. C’est là un élément de plus, me semble-t-il, de la remise en cause insidieuse du statut militaire à laquelle vous vous livrez.
Enfin, le rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur comporte aussi un autre risque, tout aussi pernicieux. La coexistence au sein d’un même ministère de deux systèmes – la représentation syndicale pour les policiers et la concertation propre aux militaires pour les gendarmes – incitera tôt ou tard, de facto, les uns et les autres à souhaiter l’alignement des statuts, ne serait-ce d’ailleurs que pour répondre aux problèmes posés par la recherche de la parité en matière de rémunération, d’horaires ou de conditions de travail.
La réforme que vous entreprenez, madame la ministre, soulève bien d’autres questions, qu’elles soient pratiques, matérielles ou tout simplement humaines. On reste sur la désagréable impression que peu de choses sont concrètement prévues pour accompagner ce bouleversement qui concerne, aussi et surtout, la vie personnelle et familiale de cent mille femmes et hommes.
Au total, votre projet de loi, loin de clarifier la situation, de permettre un accroissement de l’efficacité de nos forces de sécurité et une meilleure coopération entre elles, soulèvera plus de problèmes qu’il n’en résoudra.
Au-delà de ce constat, nous refusons la banalisation de l’emploi de la force armée au quotidien, car elle contrevient à l’équilibre républicain des pouvoirs et sous-tend la mise en œuvre de la politique du « tout sécuritaire ».
Pour toutes ces raisons, le groupe CRC-SPG votera contre ce projet de loi.