C’est aussi se priver de cette dualité de forces et d’approches qui contribue au bon fonctionnement de la police au sens large, et dont la France se glorifie depuis vingt ans dans toutes les réunions de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’OSCE.
Sans revenir sur la transformation de la gendarmerie nationale en quatrième armée, il me semble donc préférable de placer celle-ci sous les ordres non seulement du ministère de l’intérieur, mais aussi du ministère de la justice, grand oublié de votre texte, tout en la laissant, pour l’exécution des missions qui pourraient lui être confiées, aux ordres de ses chefs.
En effet, il est primordial de réaffirmer le principe de non-ingérence d’une autorité civile, tant celle des préfets que celle des procureurs, dans l’exécution du service intérieur de la gendarmerie nationale et de laisser subsister sur ce point les dispositions du décret de 1903.
Ne pas maintenir cette originalité, c’est accepter le principe d’un glissement rapide de la gendarmerie vers un statut civil et, à moyen terme, sa fusion avec les services de police, et ce quoi que vous prétendiez, madame le ministre.
S’agissant de ce dernier point, votre projet de loi, s’il était voté, conduirait à un indiscutable recul des libertés publiques et des droits individuels dans notre pays en supprimant des obstacles à d’éventuels excès de pouvoir.
En matière judiciaire, le fait de placer les deux forces de police judiciaire disponibles sous une seule et même autorité, celle de la place Beauvau, n’est pas de nature à faire gagner en indépendance les procédures menées par les magistrats, et cela n’a rien d’accessoire, puisque l’exercice de cette compétence représente de 40 % à 50 % de l’activité totale des gendarmes.
Fusion et confusion des forces et des pouvoirs ne font que rarement bon ménage avec la démocratie. Le passé devrait nous l’avoir appris sur notre propre territoire ; le présent nous le démontre chaque jour dans des pays à gouvernement totalitaire.
Enfin, madame le ministre, qu’y avait-il, jusqu’à présent, de commun entre le haut plateau ardéchois, la forêt ardennaise et l’arrière-pays breton ? Un bureau de poste, une école, une gendarmerie ! En un mot, une certaine continuité des services publics, une certaine idée de la République.
On ne peut donc qu’être inquiet quant au maintien de la densité du maillage des brigades territoriales, notamment en zone rurale, maillage qui sera inévitablement remis en cause sous l’effet de la réduction des effectifs et de la rationalisation menées au nom de la révision générale des politiques publiques, la RGPP.
Quelle complémentarité sera recherchée après la mise en œuvre de cette réforme, alors que s’imposera la subordination aux préfets ? Madame le ministre, cette complémentarité se fera en fonction de l’évolution de la délinquance. Cette affirmation n’est pas la mienne : elle est écrite et réécrite, sous diverses formes, dans le rapport d’étape de la RGPP, présenté au Président de la République le 3 décembre dernier.
En clair, cela signifie que les implantations des brigades seront revues en fonction des « faits constatés », afin de rationaliser l’emploi des forces vers ce seul objectif de lutte contre la délinquance. En d’autres termes, c’est le principe même du maillage territorial qui sera remis en cause ; une nouvelle fois, des services publics seront ôtés au monde rural et aux petites communes.
Nous ne pouvons que redire notre inquiétude face à ces perspectives.
De regroupement en redéploiement de brigades, on est en train de créer des inégalités fortes au sein des populations, qui ne bénéficieront pas d’un égal accès à la sécurité et au « service de proximité attentif aux sollicitations de nos concitoyens » décrit par M. le Premier ministre
Enfin, l’article L.4145-2 du code de la défense évoque le logement des gendarmes en caserne. Il faut sans doute poser à cette occasion la question des casernements de gendarmerie, dont le financement incombe depuis longtemps aux collectivités locales. Je suggère ainsi de ne plus subordonner le versement de la subvention d’État à une maîtrise d’ouvrage effective par une collectivité, afin de permettre, de façon pérenne, le recours à une maîtrise d’ouvrage déléguée. Le recours à des sociétés, tel le groupe SNI, aujourd’hui filiale de la Caisse des dépôts et consignations, et à d’autres opérateurs pourrait ainsi être encouragé.
L’examen du dossier immobilier – casernement et logement – aurait dû être inclus dans ce projet de réforme. Des dispositions évitant aux collectivités territoriales de supporter des distorsions importantes entre les loyers consentis par la DGGN et les intérêts des emprunts souscrits y auraient sans aucun doute eu plus leur place que les allusions au classement indiciaire des gendarmes, qui relève, lui, du domaine réglementaire.
La convention de délégation de gestion signée le 28 juillet 2008 entre le ministre de la défense et le ministre de l’intérieur permettait, et permet toujours, de mutualiser les moyens et d’engager une meilleure synergie entre les services pour un meilleur service public de la sécurité à un coût maîtrisé.
Il n’y avait donc pas urgence à légiférer comme nous le faisons, à la hâte, sur un projet non abouti et imparfaitement réfléchi, dont les conséquences mettront à mal, à court terme, le statut militaire de la gendarmerie nationale et menacent fortement, à moyen terme, les principes fondateurs de notre République et de notre démocratie.
Il ne me reste qu’à espérer, comme d’autres orateurs l’ont fait avant moi, que l’avenir me donnera tort ou, mieux encore, que le législateur reviendra en arrière, comme il l’a déjà fait trois fois par le passé.
Pour l’ensemble de ces raisons, vous l’aurez compris, madame le ministre, nous ne voterons pas votre projet de loi.