Nous pensons qu’il aborde de la plus mauvaise manière qui soit la difficile question de la réforme – pourtant nécessaire – de la gendarmerie nationale. Or un sujet aussi important aurait mérité plus d’attention, plus de réflexion, plus de travail et plus de temps.
Madame le ministre, nous demandons le renvoi à la commission pour que vous ayez le temps de la réflexion, car, comme le disait Publilius Syrus, célèbre poète latin, « Le temps de la réflexion est une économie de temps ». Or, si l’urgence a été déclarée, c’est que le temps vient à manquer.
Je constate avec beaucoup de tristesse que la réflexion manque aussi cruellement dans ce projet de loi.
Prenons donc le temps de la réflexion.
Bien sûr, fidèle à sa soif d’action, cédant à la frénésie des annonces, le Président de la République a indiqué qu’il voulait le rattachement plein et entier de la gendarmerie au ministère de l’intérieur. Mais avez-vous seulement envisagé les conséquences d’un tel rapprochement ? Avez-vous anticipé les effets qu’un trop grand rapprochement de la police et de la gendarmerie pourrait produire ?
La fusion des deux forces risque de provoquer un alignement progressif de leur statut respectif. Pourtant, vous le savez, la spécificité du statut des gendarmes est essentielle pour la sécurité de nos concitoyens : les gendarmes sont soumis à une obligation de disponibilité et ne sont pas tenus par une limitation de leur temps de travail. Ce statut militaire, qui garantit une certaine discipline et une certaine éthique, est très précieux pour notre République. Vous risquez d’y porter atteinte sans autre forme de considération.
Avez-vous réalisé que ce projet de loi s’inscrivait en faux contre l’un de nos plus grands principes républicains, à savoir la dualité des forces de police ?
Cette dualité est une protection. Elle est la garantie que les pouvoirs de police et de maintien de l’ordre ne relèvent pas tous d’une seule et unique personne.
C’est une garantie contre les dérives d’un pouvoir par trop centralisé. À l’heure de « l’hyper présidence », il appartient au Parlement de protéger la République par des garde-fous appropriés. De plus, même si notre belle démocratie n’est pas menacée, il faut se souvenir qu’elle est un bien précieux et, malgré tout, fragile.
Avez-vous eu le temps de comprendre que la suppression du principe de la réquisition de la force armée, au sujet de laquelle vous nous faisiez la leçon il y a quelques instants, qui existe depuis 1789 et qui n’a jamais été abandonné depuis, est une atteinte grave à la République ?
Aujourd’hui, si cette suppression était adoptée, le préfet pourrait obtenir l’intervention de la gendarmerie sans formalisme, sans commandement écrit, donc très facilement. L’amendement que vous avez déposé en vue de corriger le texte sur ce point prouve que vous avez fini par percevoir le risque et que vous avez entendu les critiques formulées.
Il est insupportable, au regard des libertés publiques, que la gendarmerie soit désormais dans les mains du ministre ou du préfet sans la garantie fondamentale de la procédure de réquisition de la force armée !
Prenez la mesure des difficultés que rencontre la gendarmerie et améliorez votre réforme opportunément, madame le ministre.
Cette réforme ne parviendra pas à réparer les dégâts des mesures que vous avez déjà prises et qui contribuent à l’affaiblissement de la densité du maillage des brigades territoriales.
Il aurait fallu réfléchir à l’amélioration de la formation et non pas diviser par deux le nombre d’écoles de gendarmerie, je pense à celle de Libourne, notamment. Notre pays a besoin de ses gendarmes, qui sont bien souvent des remparts contre les débordements urbains, notamment dans les grandes agglomérations.
Prenez le temps qu’il faut pour proposer à la représentation nationale un texte de qualité, madame le ministre.
Bien sûr, il faudrait pour cela que le texte soit examiné sérieusement et sereinement, ce que la procédure d’urgence ne permet pas. Au demeurant, et vous le savez très bien, si ce texte est aujourd’hui en discussion au Sénat, c’est parce que l’Assemblée nationale n’a pas pu voter dans les délais impartis le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision.