L’article 1er est évidemment le cœur du projet de loi dans la mesure où il prévoit le transfert du rattachement organique de la gendarmerie nationale du ministre de la défense au ministre de l'intérieur.
L'idée de rattacher la gendarmerie nationale au ministère de l'intérieur soulève de nombreuses objections, comme nous l’avons indiqué dans la discussion générale. Sa mise en application risque d'altérer profondément la nature et la spécificité de cette force armée.
Soucieux de préserver les libertés publiques, nous ne souhaitons pas nous engager dans cette voie que nous avons qualifiée d’« incertaine » et qui met en danger le maintien, à terme, du statut militaire des gendarmes.
En réalité, on s’orienterait, à plus ou moins long terme, vers une fusion des deux forces de police et de gendarmerie, tournant ainsi le dos à la tradition française de la dualité des forces, principe républicain essentiel.
Dans un article paru dans le quotidien du 27 novembre 2007, notre excellent collègue Hubert Haenel avait remarquablement exprimé le sentiment suivant, auquel nous adhérons : « S’il est nécessaire de situer clairement la place de la gendarmerie nationale par rapport à son ministère de rattachement, le ministère de la défense, et à ceux d’emploi, le ministère de l’intérieur mais aussi celui de la justice, encore faut-il ne pas donner le sentiment que la gendarmerie nationale passe avec armes et bagages dans le giron du ministère de l’intérieur. »
Or c’est exactement ce que nous sommes en train de faire ! Le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui organise précisément ce passage « avec armes et bagages » de la gendarmerie au ministère de l’intérieur.
Voulons-nous que gendarmerie et police travaillent ensemble, dans le même sens, pour assurer à tous nos concitoyens une sécurité maximale, jamais parfaite certes mais toujours perfectible ? La réponse est évidemment « oui » !
Voulons-nous que toutes les synergies possibles soient identifiées et développées entre ces deux forces nationales, l’une à statut civil, l’autre à statut militaire ? Là encore, la réponse est positive.
Mais faut-il pour autant tourner le dos à notre tradition républicaine, riche de cette grande expérience dans la pratique de la dualité de nos forces de police ? Non, c’est même contre-productif.
Nos rapporteurs, dans le travail effectué en avril dernier, ont bien cerné les problèmes et les dangers.
Hélas ! madame le ministre, le projet de loi que vous nous présentez, peut-être parce qu’il a été dicté par l’Élysée, ne prend pas en compte les justes recommandations contenues dans ce rapport.
Le rapport d’information de notre rapporteur, président du groupe de travail, devait se pencher sur l’avenir de l’organisation et des missions de la gendarmerie. Sa lecture est enrichissante. Il indique notamment ceci : « L’existence de deux forces de sécurité, l’une à statut civil, l’autre à statut militaire, n’est pas seulement un héritage historique mais une garantie pour l’État républicain et les citoyens. »
Par ailleurs, notre attachement à cette force de gendarmerie se justifie bien évidemment par la qualité des hommes et des femmes qui la servent. Connaissant leur sens du devoir et du sacrifice, nous pouvons, ici et maintenant, tous ensemble, leur rendre un juste hommage.
Ce projet de loi fait fi d’une spécificité forte, propre à la gendarmerie : il s’agit d’une force militaire inscrite, certes, dans l’histoire, mais aussi dans nos territoires, dans toute la géographie de notre pays. Nous voulons lui assurer un fort maillage territorial, avec la garantie d’un réseau de brigades territoriales dense et doté des moyens suffisants.
N’oublions pas que la gendarmerie est la seule force capable d’assurer le contrôle de l’ensemble du territoire national. Elle est ainsi en mesure de répondre rapidement aux attentes des autorités et des citoyens, en toutes circonstances et en tous lieux. Préservons cette spécificité.
En ces temps d’élargissement de la notion de sécurité, parfois au détriment des libertés – mais il s’agit là d’un autre débat –, il faut bien percevoir que la gendarmerie, par sa nature et ses moyens militaires, par la cohésion et les conditions d’emploi de ses forces, est de nature à participer à des opérations de maintien ou de rétablissement de l’ordre dans des situations de crise grave.
On nous parle de continuité entre la sécurité intérieure et la sécurité extérieure, et réciproquement.
D’un côté, le récent Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a fait son miel de cette trouvaille conceptuelle. De l’autre côté, on s’apprête à brader cette « troisième force » qui assure une continuité entre les actions policière et militaire et qui peut être l’interface entre les situations nécessitant le recours aux forces de police et celles qui imposent l’intervention des armées, entre la défense du territoire et le maintien de l’ordre, entre la sécurité intérieure et la sécurité extérieure. Comprenne qui pourra !
La désorganisation de la gendarmerie, l’ouverture d’une nouvelle « guéguerre » entre les polices, la confusion des genres civils et militaires, précédant la fusion des corps, serait, à n’en pas douter, gravement dommageable pour notre pays.
Voilà pourquoi la suppression de cet article 1er se justifie pleinement.