Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat sur les collectivités territoriales est toujours, pour le Sénat, un moment particulièrement fort de l’examen du projet de loi de finances. C’est aussi une particularité de notre assemblée, traduisant l’une de ses missions constitutionnelles.
Ce débat nous donne l’occasion d’avoir une vision plus globale des moyens de l’État en faveur des collectivités territoriales, alors que, il faut bien le reconnaître, leur dispersion en première et en seconde partie de la loi de finances ne nous permet pas toujours de les apprécier à leur juste valeur.
L’effort financier total de l’État en direction des collectivités territoriales représente, je le rappelle, 96 milliards d’euros en 2009, et il inclut les dotations et prélèvements sur recettes, les dégrèvements, la fiscalité transférée et les subventions en provenance de divers ministères.
Or ces diverses contributions sont éclatées entre plusieurs missions budgétaires, parmi lesquelles figure la mission que j’ai l’honneur de rapporter au nom de la commission des finances, « Relations avec les collectivités territoriales », laquelle ne représente que 2, 4 milliards d’euros.
La majeure partie de l’effort financier de l’État aux collectivités territoriales – soit plus de 56 milliards d’euros –, où la DGF occupe la première place, est en réalité constituée de prélèvements sur recettes, qui ne sont pas des crédits et ne font donc pas l’objet de débat au titre des missions budgétaires.
On constate le même éclatement au niveau des articles du projet de loi de finances entre la première partie, dans laquelle nous traitons de l’évolution de la DGF, des variables d’ajustement et des compensations d’exonérations, et la seconde partie où sont abordés des thèmes essentiels comme la péréquation, les compensations de transferts de charges et surtout la répartition de la dotation forfaitaire de la DGF des communes à l’intérieur d’une enveloppe fermée.
Dans la perspective d’une plus grande clarté dans le débat, on pourrait aussi s’interroger sur le choix de rattachement à l’une ou l’autre de certaines missions budgétaires.
Je prendrai simplement l’exemple de la nouvelle dotation « titres sécurisés », pour laquelle les crédits figurent dans la mission « Relations avec les collectivités territoriales » alors que l’article qui la crée est rattaché à la mission « Administration générale et territoriale de l’État ». Vous conviendrez, madame le ministre, qu’il est parfois difficile de s’y retrouver !
Fort heureusement, la coordination entre les rapporteurs spéciaux a permis de parvenir à une position commune : la nécessité de réévaluer le remboursement de l’État aux communes qui délivreront les passeports biométriques. En effet, comme l’a indiqué M. le rapporteur général, il faut éviter de nouveaux transferts de charges trop partiellement compensés. Un amendement en ce sens a été déposé au nom de la commission des finances.
Ce débat sur les collectivités territoriales est aussi indispensable en ce qu’il complète utilement le document budgétaire relatif à l’effort financier de l’État en faveur des collectivités territoriales, dont le contenu a été nettement amélioré par rapport aux années antérieures. Ce « jaune » budgétaire constitue en réalité le socle de notre débat.
Qu’est-ce qui caractérise pour 2009 les relations entre l’État et les collectivités territoriales déterminées par le projet de loi de programmation pluriannuelle des finances publiques 2009-2012 ?
En premier lieu, les collectivités territoriales doivent s’inscrire dans l’effort de redressement des finances publiques. L’évolution de l’ensemble des concours de l’État aux collectivités territoriales doit désormais suivre le même rythme que celui des dépenses de l’État, c’est-à-dire l’inflation.
Or cette nouvelle règle représente une contrainte extrêmement forte pour les collectivités territoriales dans la mesure où le fonds de compensation de la TVA est désormais intégré dans l’enveloppe normée de leurs dotations budgétaires accordées par l’État.
En effet, sur un montant supplémentaire de concours de l’État aux collectivités territoriales de 1, 1 milliard d’euros par rapport à 2008, le FCTVA à lui seul en « absorbe » 663 millions.
En second lieu, au sein de cette enveloppe, la dotation globale de fonctionnement bénéficie d’un traitement particulier dans la mesure où elle est assurée d’un taux de progression égal à celui de l’enveloppe normée, défini en référence à l’inflation prévisionnelle.
Pour 2009, la DGF se verra appliquer de manière exceptionnelle un taux de progression dérogatoire de 2 %. Cette progression, qui représente une hausse de crédits de 800 millions d’euros, est de nature à préserver la péréquation.
Toutefois, les augmentations cumulées de la DGF et du FCTVA étant supérieures à celle de l’enveloppe normée, la différence devra être compensée par une diminution à due concurrence de l’ensemble des variables d’ajustement, comme l’a souligné le rapporteur général. Cette diminution, qui était initialement de 22, 81 % dans le projet de loi de finances pour 2009, a été ramenée à 17, 7 % après le vote de l’Assemblée nationale.
Pour apprécier l’évolution réelle de la DGF, il faut aussi tenir compte des effets des résultats du recensement, qui devraient atteindre 300 millions d’euros, dont 140 millions d’euros au titre de la DGF communale. Les conséquences financières du recensement auront des répercussions sur chacune des composantes de la DGF, sans qu’il soit possible dès à présent d’en mesurer précisément l’ampleur.
Rares sont donc les collectivités qui bénéficieront d’une progression réelle de 2 % de leur dotation ! Nous allons plutôt vers une stabilisation, une compression, voire un léger repli, selon les cas, des montants de DGF.
Dans le contexte de tension budgétaire que nous connaissons, je voudrais profiter de ce débat pour évoquer l’évolution de la péréquation.
La révision constitutionnelle de 2003 a consacré la péréquation au rang d’objectif constitutionnel : « La loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales. » Qu’en est-il aujourd’hui ? Comment les dispositifs en vigueur répondent-ils à cette volonté inscrite dans notre Constitution ?
La réforme de la DGF, en 2004, a permis d’augmenter les masses financières consacrées à la péréquation, et je tiens à souligner cet effort important. Concrètement, alors que la masse de la DGF à répartir augmentait de 9 % entre 2004 et 2008, l’ensemble des dotations de péréquation progressait dans le même temps de 39 %. Mais, a contrario, sur la même période, la dotation forfaitaire des communes, par exemple, n’a enregistré qu’une hausse de 2, 6 %. Quant au poids de la solidarité au sein de la DGF, il a faiblement progressé, passant de 12 % à 16 %.
Nous constatons donc une contradiction : la progression des dotations de péréquation se fait au détriment des dotations forfaitaires, qui sont pourtant essentielles pour beaucoup de collectivités, notamment pour les plus petites d’entre elles. En conséquence, malgré les efforts importants consacrés par l’État à l’évolution des dotations de péréquation, l’écart de richesse se creuse entre les collectivités, à l’exception des régions. Cette affirmation est confortée par le rapport des professeurs Guy Gilbert et Alain Guengant, qui a été présenté le mois dernier au Comité des finances locales.
Si la performance péréquatrice des dotations aux régions a progressé de 7 % entre 2001 et 2006, celle des départements a chuté de 2, 9 % et celle des communes de 2, 3 % sur la même période.
Pour ce qui concerne les communes, l’exemple de la dotation de solidarité urbaine, la DSU, est assez symptomatique de la difficulté de mettre en place une véritable péréquation. Celle-ci profite en effet aux trois quarts des communes de plus de 10 000 habitants. Cette année, elle progressera de 70 millions d’euros.
Le Gouvernement propose un dispositif de transition à la suite des concertations qui ont été menées avec les associations d’élus. Ce dispositif permet d’assurer le maintien de cette dotation à toutes les communes éligibles et de concentrer les efforts sur les 150 communes les plus défavorisées. Néanmoins, une réforme s’avère bien nécessaire, avec l’application de nouveaux critères pour identifier les communes les plus fragiles et concentrer le soutien de l’État sur celles-ci.
Cette remarque vaut aussi pour la dotation de solidarité rurale, la DSR, dont la fraction « péréquation » profite aujourd’hui à 34 400 communes.
Quant aux règles de répartition de la dotation nationale de péréquation, les effets de seuil des critères d’attribution ont conduit le législateur à faire bénéficier de cette dotation 1 800 communes supplémentaires en 2008.
S’agissant des départements, la loi de finances de 2005 les a classés en deux catégories afin de permettre la répartition de la dotation de péréquation entre les départements urbains et les départements ruraux. Ainsi, en 2007, trente-trois départements de métropole ont bénéficié de la DPU. Mais force est de constater que sa répartition est peu discriminante et qu’elle ne profite pas suffisamment aux départements les plus en difficulté, même si, sur ce point, une étape vers plus de sélectivité est prévue dans l’article 67 du projet de loi de finances.
Pour ce qui est de la dotation de fonctionnement minimum des départements ruraux, trente-neuf nouveaux départements en bénéficient depuis 2005. Ils s’ajoutent ainsi aux vingt-quatre départements « historiques » éligibles à la DFM. Cet élargissement a permis de supprimer de nombreux effets de seuil, qui pénalisaient plusieurs départements. Mais il a également eu pour effet de geler la dotation des départements éligibles initialement, alors que certains d’entre eux, comme le Cantal, par exemple, sont particulièrement fragilisés.
Les régions, quant à elles, voient leurs dotations de péréquation progresser plus vite que leur DGF, de 14, 7 % entre 2007 et 2008. Cependant, là encore, les effets de seuil et certains critères de sélection peuvent être très discriminants. En effet, la référence aux plafonds de potentiel fiscal moyen par habitant peut être fatale à certaines régions, notamment à celles dont les bases plafonnées de taxe professionnelle sont importantes, surtout lorsqu’elles se situent au-dessus de la moyenne nationale. C’est le cas de l’Auvergne, qui a perdu l’éligibilité à la dotation de péréquation alors que son PIB est l’un des plus faibles de France.
Le calcul de la richesse de certaines régions s’effectue donc sur des bases qui peuvent se révéler virtuelles. C’est la raison pour laquelle plusieurs sénateurs auvergnats, de toutes sensibilités, ont déposé un amendement identique visant à rétablir cette dotation aux régions les plus fragiles.
J’en viens maintenant au rôle péréquateur de l’intercommunalité.
Dans un contexte budgétaire tendu et en raison de la prise en compte des effets du recensement dans la DGF de 2008, la dotation d’intercommunalité progressera faiblement pour assurer le maintien des dotations de péréquation communales.
Cette évolution, qui sera au plus égale à l’inflation selon l’article 67 de la loi de finances, se traduira par « un manque à gagner » certain pour la DGF des intercommunalités. Or, il faut le souligner, les dotations d’intercommunalité exercent elles-mêmes un rôle puissamment péréquateur en faveur des communes, rôle renforcé non seulement par une mutualisation des ressources fiscales et des charges de services, mais aussi par des politiques de solidarité communautaires.
Enfin, je veux souligner que le pouvoir fiscal des intercommunalités sera également affaibli par le nouveau mécanisme de plafonnement à la valeur ajoutée de la taxe professionnelle, qui représente plus de 90 % de leurs recettes fiscales. Aussi, même si cette année personne ne peut échapper à l’effort collectif de redressement des finances de notre pays, nous devrons être attentifs à l’avenir au maintien des ressources de nos intercommunalités.
Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’État a réalisé ces dernières années un effort remarquable en faveur de la péréquation dans toutes les réformes successives des dotations aux collectivités. Ce n’est donc pas uniquement un manque de moyens qui empêche de réduire l’écart de richesse entre elles ; c’est plutôt la règle du jeu qui mérite d’être revisitée.
En cette période où les moyens de l’État se font plus rares, la recherche d’une meilleure efficacité des dotations de péréquation s’avère nécessaire. Car, nous le savons bien, l’incidence des restrictions budgétaires actuelles est plus forte pour les collectivités les plus fragiles.
Aussi l’État adresserait-il un signe positif en faveur de la solidarité territoriale en rouvrant le chantier de la péréquation. Je forme en tout cas le vœu que cet ouvrage soit remis sur le métier.