Intervention de Richard Tuheiava

Réunion du 22 octobre 2010 à 22h15
Limite d'âge des magistrats de l'ordre judiciaire — Adoption d'un projet de loi organique en procédure accélérée

Photo de Richard TuheiavaRichard Tuheiava :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’ensemble du groupe socialiste s’exprimera par ma voix ultramarine, ce soir, au cours de l’examen du présent projet de loi organique et c’est, bien sûr, éminemment symbolique.

Monsieur le secrétaire d'État, je souhaite vous rappeler à l’une des réalités de cette réforme : l’offensive à marche forcée pour faire adopter le projet de loi portant réforme des retraites avant la fin de ce mois ne découragera pas nos concitoyens : ils ont d’ailleurs décidé de ne pas se résigner et d’appeler à deux nouvelles journées de mobilisation les 28 octobre et 6 novembre.

On l’a dit, une réforme des retraites était nécessaire, mais pas celle-là. Une autre réforme, juste et durable, est possible. Cette réforme, vous auriez pu, vous auriez dû, chercher à la construire avec l’ensemble de la nation, avec l’outre-mer départemental. C’est l’inverse qui s’est passé.

Le déni de démocratie que la Haute Assemblée a subi n’est pas tolérable. Il témoigne de votre volonté, sous surveillance du MEDEF et des agences de notation, d’en finir avec le socle social bâti à la Libération. Ainsi, après les réformes de 1993 et de 2003, celle de 2010 est une nouvelle étape dans la casse – permettez-moi l’expression – de la retraite par répartition destinée à pousser les salariés vers un système par capitalisation.

Il en résulte une réforme injuste, qui, du propre aveu du Gouvernement, n’est financée que jusqu’en 2018. Ce dernier fait porter 95 % de la charge sur les salariés et 5 % sur les grandes fortunes. Il programme une baisse des pensions pour les chômeurs de plus de 55 ans, il précarise les femmes, il ne prend pas en compte la pénibilité et prive les générations futures du fonds de réserve qui devait financer leurs propres retraites. Les Françaises et les Français ne sont pas dupes.

À peine ce texte préparant une formidable régression sociale pour notre pays a-t-il été examiné, mais non encore définitivement adopté, vous nous demandez, monsieur le secrétaire d'État, d’appliquer aux magistrats de l’ordre judiciaire le relèvement de deux années des limites d’âge, tant pour le départ à la retraite que pour l’obtention d’une pension de retraite sans décote.

Ce ne sont que des raisons de pure forme juridique qui nous conduisent à examiner séparément le cas de ces professionnels, dans le cadre d’un projet de loi organique.

Il est inenvisageable que nous nous inscrivions dans cette logique de régression sociale. Nous voterons donc résolument contre ce texte.

Au-delà du recul de l’âge de l’ouverture des droits à la retraite, cette réforme contient des points particulièrement contestables. Gardons de plus en mémoire que le régime de retraite des magistrats est d’ores et déjà particulièrement défavorable.

Si le principe même d’une réforme pour sauvegarder les régimes de retraite n’est pas contestable, il n’en reste pas moins que les propositions faites ont des conséquences directes sur la situation des magistrats.

Tout d’abord, le report de la limite d’âge aura une incidence importante sur la gestion du corps de la magistrature et sur la pyramide des âges, comme l’a d’ailleurs très justement rappelé M. le rapporteur.

À l’heure actuelle, la moyenne d’âge de départ à la retraite des magistrats est de 63, 3 ans et le régime de maintien en activité ne concerne aujourd’hui qu’un faible nombre de magistrats.

La réforme qui nous est soumise incitera un nombre plus élevé de magistrats à poursuivre leur activité professionnelle. Les postes importants correspondant à la fin de carrière seront donc occupés plus longtemps par les mêmes magistrats, ce qui va à l’encontre de la mobilité fonctionnelle et géographique pourtant prônée par le ministère de la justice.

Le corps de la magistrature est déséquilibré : une petite fraction de magistrats sont hors hiérarchie, une énorme fraction d’entre eux appartiennent à la catégorie 2 et la dernière fraction, peu importante, à la catégorie 3. Près de la moitié des magistrats appartiennent aux corps intermédiaires et attendent un avancement qui, pour nombre d’entre eux, n’interviendra jamais.

Partant de ce constat, on peut s’interroger sur l’image et le dynamisme d’une institution dont la hiérarchie et les postes de cadres intermédiaires seront demain occupés par des magistrats encore plus âgés.

Par ailleurs, le présent projet de loi organique ne prend pas en compte les spécificités de ce corps et porte atteinte, comme la réforme des retraites, aux magistrats les plus fragiles. Je veux, bien sûr, parler de ceux qui, ayant fait l’objet d’une intégration postérieure dans la magistrature, n’ont pas eu une carrière complète au sein de ce corps.

J’en veux pour preuve la situation de certains avocats qui ont intégré la magistrature ; ils se retrouvent polypensionnés et sont confrontés à toutes les difficultés qui découlent de ce fait au moment de liquider leur retraite. Les conditions de « reprise » de leur ancienneté leur sont particulièrement défavorables et leur situation empirera avec le recul de l’âge auquel la pension de retraite est versée sans décote.

Enfin, l’augmentation progressive du taux de cotisation conduira, en réalité, à une perte de pouvoir d’achat. De plus, une grande partie de la rémunération est constituée de primes qui ne sont pas prises en compte intégralement pour le calcul des droits à la retraite, ce qui entraîne un taux de remplacement particulièrement faible.

Enfin, et nous le regrettons, la situation semble complètement échapper au ministère de la justice, qui n’a même pas pris la peine d’informer les organisations professionnelles des conséquences pratiques de ce projet de réforme.

Les magistrats, avec tout le profond respect que je leur voue et que la nation leur doit, sont toutefois des citoyens français comme tout le monde ; leur départ à la retraite doit donc être soumis aux mêmes conditions que celui de nos autres concitoyens. Les arguments que nous avons faits valoir à l’occasion de l’examen de la réforme des retraites sont également valables pour eux.

Par conséquent, les membres du groupe socialiste s’opposeront au présent projet de loi organique qui, en reportant l’âge limite de départ à la retraite des magistrats à 67 ans, risque de scléroser la magistrature en restreignant la mobilité et le renouvellement générationnel.

Bien évidemment, nous voterons en faveur des amendements de suppression des trois articles de ce texte et, par cohérence, nous voterons résolument contre le projet de réforme des retraites des magistrats de l’ordre judiciaire.

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