Intervention de Adrien Giraud

Réunion du 22 octobre 2010 à 22h15
Département de mayotte — Adoption d'un projet de loi organique et d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Adrien GiraudAdrien Giraud :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est à peine si j’ose m’exprimer après tous les excellents orateurs qui se sont succédé à la tribune.

Il n’est pas exagéré de dire – toutes proportions gardées bien entendu – que Mayotte a connu sa « longue marche » vers un statut stable et définitif au sein de la République Française. Un tel aboutissement a été constamment réclamé, sans aucun reniement, par des générations de Mahorais depuis 1841. Nos raisons, aujourd’hui comme hier, demeurent les mêmes : c’est une question de liberté, de sécurité internationale et de progrès économique et social bénéficiant à tous.

C’est pourquoi il m’est particulièrement agréable d’exprimer notre profonde gratitude au Président de la République, Nicolas Sarkozy, ainsi qu’à son gouvernement, d’avoir répondu à cet appel ancien.

Aujourd’hui, le projet de loi relatif au département de Mayotte va marquer une étape importante dans cette démarche historique.

Il faut tout d’abord rappeler que, depuis 1945, cinq consultations successives ont permis aux Mahorais de confirmer leur fidèle attachement à la France et leur volonté de se rapprocher du droit commun de la République.

Entre 1886 et 1892, c’est à partir de Mayotte que la France a établi son protectorat sur l’ensemble de l’archipel comorien, qui obtiendra en 1946 le statut de territoire d’outre-mer, et dont l’autonomie sera progressivement renforcée par la loi-cadre Defferre de 1956, puis par les lois de 1961 et 1968.

C’est grâce à un amendement adopté par le Sénat que la loi du 23 novembre 1974 organisera une consultation d’autodétermination « des populations » de l’archipel, et non de « la population ». Cette précision, ce pluriel fut pour nous une chance historique.

Les îles de Grande Comore, Anjouan et Mohéli choisiront librement et massivement l’indépendance, à 94 % des voix, tandis que la population mahoraise se prononcera avec une égale liberté en faveur du maintien dans la République Française. Le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, conformément à l’article 53 de la Constitution, avait été ainsi solennellement réaffirmé.

Le 6 juillet 1975, le président du gouvernement territorial des Comores déclarera unilatéralement l’indépendance, sans même consulter les élus mahorais.

Prenant acte de cette proclamation, la loi du 31 décembre 1975 mettra fin à l’appartenance à la République française des trois îles comoriennes. La France organisera alors deux consultations à Mayotte.

C’est ainsi que le 8 février 1976, les Mahorais voteront à 99, 4 % pour le maintien de leur île au sein de la République française et, deux mois plus tard, le 11 avril, ils exprimeront, à 79, 59 %, à l’aide d’un « bulletin sauvage », leur souhait que Mayotte soit dotée du statut de département d’outre-mer, alors que la question qui leur avait été posée était : « Désirez-vous que Mayotte conserve ou abandonne le statut de territoire d’outre-mer ? »

Finalement, c’est la loi du 24 décembre 1976 relative à l’organisation de Mayotte qui fera de ce territoire une collectivité territoriale avec un statut provisoire.

Vingt-quatre ans plus tard, l’accord sur l’avenir de Mayotte, signé le 27 janvier 2000, s’inscrivant dans cette logique, a fixé un calendrier en vue de l’évolution statutaire de notre territoire. Plus récemment, cette évolution très significative a été confirmée et ratifiée par une consultation populaire voulue par le Gouvernement, qui a ainsi répondu à une constante revendication des élus mahorais.

C’est ainsi que la loi n°2001-616 du 11 juillet 2001 traduira les dispositions de cet accord, en réaffirmant l’appartenance de Mayotte à la République française, en dotant l’île du statut de « collectivité départementale » et en transférant l’exécutif du préfet au président du conseil général.

Il restait une étape à franchir : ce fut l’objet de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, qui inscrira notre collectivité à l’article 72-3, alinéa 2, de la Constitution. Mayotte a ainsi obtenu une véritable consécration constitutionnelle.

Ce rappel historique, mes chers collègues, vous aura peut-être paru trop long, mais il était absolument nécessaire de bien marquer la fidélité de Mayotte à la République française, malgré toutes les pressions extérieures et, faut-il le dire aussi ?, les tentations de l’abandon.

J’ai déjà eu l’occasion, du haut de cette tribune, d’exprimer notre gratitude à tous ceux qui ont favorisé l’expression de la volonté de Mayotte ou qui y ont participé.

Aujourd’hui, j’exprime la même gratitude envers M. le Président de la République, qui, après sa visite officielle, ô combien appréciée à Mayotte, a tenu parole. Les Mahorais lui en savent gré. Cela fut si rare dans notre histoire.

C’est à compter de la première réunion du conseil général et de son renouvellement partiel, au mois de mars 2011, que les nouvelles institutions seront mises en place et que l’existence d’une collectivité unique, appelée « département de Mayotte », deviendra effective. Elle exercera les compétences dévolues aux départements et régions d’outre-mer régis par l’article 73 de la Constitution.

Les deux projets de loi, ordinaire et organique, aujourd’hui soumis à l’examen et au vote de notre assemblée marquent la fin d’un combat souvent difficile, tout en ouvrant une phase nouvelle. Ayant obtenu, envers et contre tous, le statut départemental, il nous faut aujourd’hui construire ensemble le département de Mayotte. Et, tout d’abord, l’organisation et le fonctionnement institutionnel, en tirant toutes les conséquences de l’applicabilité au département de Mayotte des lois et règlements en vigueur. C’est l’objet des deux projets de loi que nous examinons aujourd’hui.

À compter du mois d’avril 2011, le régime d’identité législative sera totalement applicable, des adaptations rendues nécessaires par les particularités de Mayotte ayant néanmoins été apportées.

Ainsi que vous l’avez indiqué, madame la ministre, le rôle de l’État consiste bien à accompagner Mayotte vers un développement respectueux de ses racines et de son identité.

Plutôt que de superposer deux collectivités, nous avons choisi la formule la plus simple et, selon nous, la plus efficace : le département-région. Nous éviterons ainsi les complications d’un bicamérisme insulaire sur un territoire de 375 kilomètres carrés.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la mise en place du 101e département français doit prendre en compte une double nécessité : d’une part, compléter et moderniser l’organisation juridique ; d’autre part, poursuivre vigoureusement la politique dite de rattrapage, c’est-à-dire le développement économique et social de Mayotte.

Sur le plan juridique et statutaire, comme le précise l’exposé des motifs du projet de loi, l’article 1er prévoit que « les transferts de compétences effectués entre l’État et les collectivités territoriales de Mayotte seront compensés selon les modalités de droit commun. Toutefois, un comité local présidé par un magistrat des juridictions financières […] participera à l’évaluation des charges correspondant à l’exercice des compétences transférées ». Les dates de ces transferts seront fixées après concertation avec le conseil général. Dès lors, je me pose la question suivante : combien de temps faudra-t-il au comité local pour effectuer cette évaluation et à quelle date pourra-t-on espérer ces transferts ?

Comme l’indique également l’exposé des motifs du projet de loi, la méthode retenue consistera à rendre applicable à Mayotte l’ensemble des dispositions des première, troisième, quatrième et cinquième parties du code général des collectivités territoriales, moyennant les adaptations nécessaires. Le Conseil d’État a eu l’occasion, dans un avis donné au Gouvernement, en date du 20 mai 2010, de préciser les conditions et modalités d’application à Mayotte des textes en vigueur dans le droit commun et des textes nouveaux. Le chemin est donc tracé. Il suffira de le suivre avec pertinence et dans le souci de servir les progrès de Mayotte.

Compte tenu des immenses retards de Mayotte dans les domaines économiques et sociaux, c’est toute la question du développement qui appellera, dans les années à venir, une grande réflexion et de nouvelles propositions.

Les indicateurs d’investissement ne montrent pas de reprise. Les perspectives laissent même entrevoir une nouvelle dégradation. Dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, les prévisions sont également à la baisse. Celles-ci sont dues en partie à la situation financière des collectivités locales, qui sont les principaux investisseurs de l’île.

Or, la réussite de la départementalisation de Mayotte demande un fort soutien au développement économique. Il sera essentiel et urgent d’accorder au nouveau département d’importants moyens pour réussir son nécessaire rattrapage.

L’article 10 du projet de loi n° 688 relatif au département de Mayotte prévoit, à juste titre, la création d’un fonds de développement économique, social et culturel, dont l’objet essentiel sera de relancer l’économie en soutenant l’initiative privée et d’accélérer les investissements réalisés dans les infrastructures publiques en venant en aide aux collectivités locales, jusqu’à la mise en place de la nouvelle fiscalité en 2014. D’ailleurs, je vous remercie, monsieur le rapporteur de la commission des lois, d’avoir fait adopter un amendement prévoyant la mise en place de ce fonds au plus tard au 31 décembre 2011, et non au 31 décembre 2013 comme cela était initialement envisagé.

De plus, le projet de loi organique prévoit le maintien de plusieurs dispositions dérogatoires, notamment le régime fiscal particulier de Mayotte, le temps de préparer l’application du code général des impôts au 1er janvier 2014.

Madame la ministre, lors de notre rencontre au ministère de l’outre-mer, j’ai tenu à vous informer de la morosité de l’opinion, qui se plaint de n’apercevoir aucune amélioration de sa situation matérielle et morale depuis son vote favorable à la création du département, en mars 2009. Il est donc urgent de prendre les mesures significatives et depuis longtemps attendues afin d’améliorer la situation des plus défavorisés.

À cet égard, il me semble que certaines décisions prises par le Gouvernement mériteraient d’être plus rapidement traduites auprès de la population. Compte tenu de nos retards, il conviendrait en effet d’accélérer le rattrapage des minima sociaux, dont la mise en place n’est prévue qu’en 2012 à un niveau correspondant au quart du niveau national.

« La départementalisation, c’est plus de solidarité nationale à l’endroit des Mahorais » a dit le Président de la République lors de son premier voyage à Mayotte, le 18 janvier 2010. Une revalorisation des allocations existantes à ce jour est ainsi prévue en 2012. Elle sera essentielle pour répondre aux insuffisances et aux lacunes de la protection sociale.

Notre île possède de nombreux atouts – l’aquaculture, les énergies renouvelables –, qui permettront de créer une économie endogène, laquelle est prônée par l’État, afin que nous puissions participer activement à l’extension des droits sociaux. Car Mayotte ne souhaite pas s’installer passivement dans un système d’assistanat généralisé qui montrerait vite ses limites ! Nous en sommes conscients. C’est pourquoi nous plaidons pour une conception plus dynamique de notre développement.

À cette occasion, je voudrais répondre à ceux qui expriment parfois doutes et scepticisme à l’égard de l’outre-mer français et leur dire ce que nous apportons à l’œuvre commune : l’outre-mer représente 90 % de la biodiversité de la France ; l’outre-mer permet une présence française dans les trois océans du monde ; grâce à la Guyane, la France est une puissance spatiale ; le parc naturel marin de Mayotte est le deuxième de France, après celui de la mer d’Iroise.

L’agriculture et la pêche sont des activités traditionnelles et familiales représentant un moyen d’autosuffisance alimentaire ou un complément de revenu. Il est urgent de prévoir un système de retraite pour les agriculteurs et les pêcheurs. En effet, sur ce territoire exigu, un départ à la retraite des plus âgés permettrait de libérer du foncier nécessaire à l’installation des plus jeunes.

L’éducation et la formation demeurent une priorité à nos yeux. C’est une exigence fondamentale.

L’article 16 de votre projet de loi, madame la ministre, est particulièrement bien venu. Il rend applicable à Mayotte les dispositions du code de l’éducation consacrées à la préscolarisation.

Par souci d’égalité entre les fonctionnaires et les agents publics de Mayotte, il me paraîtrait équitable de généraliser le système d’indexation des salaires et des rémunérations au même titre que dans les autres départements d’outre-mer, où une indexation de 40 % à 53 % est appliquée. Il s’agit de réparer une discrimination que subissent ces agents depuis 1978, date à laquelle l’indexation a été supprimée à Mayotte du fait que nous avons été sous administration provisoire de 1976 à 1978 et, par conséquent, sans fonction publique.

Il sera également nécessaire d’inscrire dans le projet le fonds d’aide à l’équipement communal, créé par le CIOM, le comité interministériel de l’outre-mer, du 6 novembre 2009.

En revanche, j’observe avec satisfaction que l’article 17 rend applicable à Mayotte le régime de droit commun en matière d’allocation de rentrée scolaire versée directement aux familles, comme nous l’avions demandé.

Madame la ministre, nous sommes tout à fait conscients de l’effort important que nous demandons au Gouvernement, mais, je le répète, nous partons de loin dans la course aux progrès et dans la voie du rattrapage. C’est pourquoi l’aide des fonds européens, véritable levier pour l’économie, nous sera également précieuse. De là notre demande réitérée de participation aux concours des fonds structurels, qui ont joué un rôle considérable dans les avancées des actuels départements d’outre-mer.

Je reconnais votre total engagement et celui de vos services dans le processus exigeant l’éligibilité en 2014 de notre île à ces fonds structurels européens, dont nous attendons beaucoup.

En définitive, le projet de loi organique et le projet de loi relatifs au département de Mayotte devraient concrétiser un engagement fort de l’État à l’égard des Mahorais.

La création du 101e département français traduit fortement notre attachement aux valeurs de la République.

Poursuivons ensemble, avec toute notre détermination, cette politique de justice et de progrès au bénéfice de tous et réalisons enfin le rêve, depuis si longtemps entretenu par des générations de Mahorais, d’un ancrage définitif et bienfaisant dans la communauté française.

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