Intervention de Daniel Raoul

Réunion du 28 septembre 2010 à 14h30
Nouvelle organisation du marché de l'électricité — Question préalable

Photo de Daniel RaoulDaniel Raoul :

L’idée d’une dérégulation du marché de l’énergie par une privatisation des entreprises de ce secteur a commencé à être pensée au plan politique lors du contre-choc pétrolier de 1985. À la suite du renchérissement du coût du baril en 1973 et en 1979, comme je l’avais souligné lors de l’examen de différentes lois sur l’énergie, l’État français a courageusement renforcé son emprise sur ce secteur par une politique volontariste visant à garantir l’indépendance énergétique de notre pays et une électricité à faible coût pour le consommateur.

Le secteur de l’énergie devient alors un domaine sur lequel la souveraineté de l’État s’exerce pleinement – je comprends que cela gêne quelque peu les libéraux – jusqu’à devenir une question de défense nationale, au sens où l’entendait l’ordonnance de 1959 à présent obsolète, au moins du point de vue de l’approvisionnement énergétique.

C’est donc l’état du marché qui va inciter les libéraux à remettre en avant la réforme. Le début des années deux mille est marqué par une inversion totale de conjoncture : on grimpe de nouveau l’escalier des prix, sur fond d’inégalités sociales et territoriales croissantes ; le droit de la concurrence est devenu le pied-de-biche utilisé par la Commission pour fracturer la porte fermée des politiques énergétiques nationales.

Pourtant, il est des précédents catastrophiques à éviter. Les cas de la Suède et de la Grande-Bretagne ont été brillamment évoqués par notre collègue Roland Courteau hier soir, je n’y reviendrai pas.

La Suisse, qui a mis en œuvre une libéralisation de son marché de l’électricité – loi fédérale du 1er janvier 2008 – a vu le prix de l’électricité bondir de 25 %.

La Belgique – qui fait quelquefois la une des journaux pour d’autres raisons – a fait ce choix en 2004. Or un récent rapport du mois d’août 2010 de la Commission de régulation de l’électricité et du gaz belge, la CREG, le régulateur du marché, démontre la fin de l’égalité des tarifs selon que l’on réside en Flandre ou en Wallonie. Le prix de l’électricité a bondi entre 2003 et 2008 de 35 % à 55 %, alors que celui du gaz, durant cette même période, a augmenté entre 50 % et 90 %.

La Californie – cas que vous connaissez très bien, monsieur le rapporteur – a décidé le démantèlement des opérateurs concentrés verticalement en trois activités distinctes, la création d’un marché « spot », autrement dit d’un marché au jour le jour, l’interdiction des contrats de long terme bilatéraux et la garantie d’un prix maximum pour les consommateurs – toujours dans une optique de baisse de prix. Cette expérience malheureuse s’est traduite par le passage du prix du mégawattheure de 30 dollars en décembre 1999 à 377 dollars en décembre 2000 ! Vous comprenez dès lors la position du gouverneur de cet État ainsi que sa volonté de réguler et de réglementer ce secteur.

Je ferai à présent un bref rappel des étapes de la dérégulation du marché de l’énergie.

C’est à partir de 1996 que la libéralisation du marché de l’énergie prend son envol. Le 20 juin 1996, le Conseil adopte une position commune sur la première directive « électricité » ; le gouvernement d’Alain Juppé signe la première directive ouvrant à la concurrence le secteur de l’électricité. Elle sera adoptée par le Parlement européen en décembre 1996. Elle prévoit d’ouvrir le marché à une partie des clients industriels en fixant un seuil d’éligibilité à 9 gigawatts pour 2003, ce qui représente une ouverture du marché de l’ordre de 30 %. Sont alors exclus du processus de libéralisation une partie des clients industriels, mais aussi les collectivités locales et, surtout, les petits consommateurs, au premier rang desquels les ménages.

Par ailleurs, la transposition en France sera effectuée dans la loi du 10 février 2000 par un gouvernement qui, face à une injonction, une menace de procédure, a pris ses responsabilités par une transposition a minima, ce que votre majorité, monsieur le rapporteur, nous avait à l’époque reproché.

Après 2002, de retour au gouvernement, la droite n’a cessé de légiférer sur les secteurs énergétiques. Parmi les six grandes lois relatives au secteur énergétique, trois ont profondément modifié l’organisation de ce secteur en libéralisant les activités d’électricité et de gaz.

La loi du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l’électricité et au service public de l’énergie, déposée en septembre 2002 par MM. Raffarin et Mer, déclarée d’urgence, est beaucoup plus libérale et va bien au-delà de ce que la directive exigeait ; elle modifie amplement la loi de février 2000 et porte sur les marchés alors que la loi adoptée sous le gouvernement de M. Jospin portait sur la modernisation du service public. C’est bien là que nous divergeons, entre l’intérêt des consommateurs et celui des actionnaires !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion