Il est vrai qu’il ne s’agit que d’un petit sujet, puisque cette question orale avec débat ne porte que sur la création d’une contribution exceptionnelle de solidarité des grandes entreprises du secteur de l’énergie.
Sans me lancer dans un historique détaillé, je rappelle que nous traversons une crise financière, économique et sociale très grave et que nous sommes entrés dans une période de récession. Avec des prévisions de décroissance d’environ 3 % en 2009, cette crise est incontestablement l’une des plus graves enregistrées depuis les années trente, et non depuis les années quarante-cinq, comme cela avait été annoncé de prime abord.
La succession des lois de finances rectificatives pour 2009 en est la preuve : la dernière présente une détérioration massive et inquiétante des finances de l’État. Le déficit révisé s’établit dorénavant à plus de 5, 6 points du PIB, soit près de 105 milliards d'euros, ce qui représente quasiment le double du déficit prévu en loi de finances initiale. La dette publique devrait, quant à elle, atteindre 80 % en 2011.
M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, vient de rappeler que la dette publique avait bondi de 20 points lors de la crise de 1993. Il en déduit que la crise que nous subissons actuellement provoquera le même effet.
Décidément, l’actuel Président de la République, qui était en 1993 ministre du budget, aura marqué notre histoire budgétaire : dans les deux cas, la dette publique aura bondi de 20 points. Il n’a pas de chance ; il s’agit de grandes périodes de crise.
La crise actuelle a lieu sur fond de moins-values de recettes fiscales, qu’il s’agisse de la TVA, de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés. Près de 15 milliards d'euros manqueront au budget de l’État et les finances publiques ont tout à craindre des récentes annonces du Président de la République sur une future baisse des impôts. Tout cela nous préoccupe, alors même que, aux États-Unis, le président Obama entend vérifier que les entreprises paient bien leurs impôts à l’État fédéral.
L’emploi et les salariés sont les premières victimes de cette crise. Les manifestations qui ont eu lieu depuis le début de l’année témoignent de la profonde mobilisation et de la vive inquiétude des salariés et de leurs familles, qui sont touchés par la crise et ne peuvent plus envisager l’avenir sans crainte.
La baisse de l’emploi marchand frôlera le million de postes pour l’année 2010. Même si nous nous félicitons que ce chiffre soit moins important que dans d’autres pays, cela représente tout de même à peu près 2 800 chômeurs de plus par jour, sans compter le recours au chômage partiel !
La défense de l’emploi et le refus des licenciements sont au cœur des engagements de tous les hommes politiques. Ils sont également à l’origine de conflits de plus en plus nombreux, qui peuvent dégénérer, tant est forte l’exaspération provoquée par les plans sociaux. Dans la plupart des cas, ceux-ci apparaissent comme le parent pauvre de la politique de l’entreprise, notamment au regard des conditions de départ et des indemnités de licenciement octroyées aux salariés. Les réactions des Français sont d’autant plus vives qu’ils comparent cette situation à la générosité dont font preuve ces mêmes entreprises à l’égard de leurs dirigeants : parachutes dorés, retraites chapeau, multiples bonus, etc.
Il y a un malaise profond et général. Pour l’heure, je m’en tiendrai au secteur économique.
Face à cette situation économique et sociale extrêmement difficile, il est fondamental de mettre en œuvre des mesures en faveur de nos concitoyens et de trouver des ressources financières pour éviter de creuser encore plus le déficit. Tel est l’objet de la question orale de ce matin.
On ne peut donc valider ce qui a été fait depuis 2007. Bien que cela agace nos collègues de la majorité et le Gouvernement, nous avons le droit de considérer calmement et courtoisement que la loi TEPA était une erreur de début de mandat. Les conséquences de cette faute économique sont visibles chaque jour. Perseverare diabolicum !
Tous les Français ne peuvent pas être mobilisés pour faire face à la crise quand l’injustice fiscale est érigée en dogme. Le Président de la République comme le Gouvernement font preuve en la matière non pas, comme j’ai cru l’entendre, de pragmatisme, mais d’un dogmatisme avéré, d’une idéologie néolibérale « à la sauce Thatcher ». Si je me permets d’utiliser cette expression, mes chers collègues, c’est tout simplement afin de rendre mes propos plus facilement compréhensibles par tous.
Comme d’autres collègues, j’ai rappelé que la défiscalisation des heures supplémentaires détériore un peu plus l’emploi dans la situation économique actuelle.
Par ailleurs, nous revenons, certes régulièrement, sur le bouclier fiscal. Mais force est de constater, selon la dernière étude de l’INSEE, que les écarts se creusent entre les revenus des 5 % ou 10 % des Français les plus aisés et ceux des 10 % de nos concitoyens les plus pauvres. Lorsque l’on sait que 14 000 contribuables reçoivent des chèques de 33 000 euros, on comprend qu’il s’agit d’un privilège et que tout le monde ne fait pas le même effort face à la crise.
Le Gouvernement continue de gaspiller ses marges de manœuvre par le maintien, voire l’augmentation d’une politique fiscale injuste. La reprise de la croissance par l’aggravation des déficits est un pari risqué.
Les sénateurs socialistes ont fait des propositions à plusieurs reprises. Certaines d’entre elles ont été considérées comme intéressantes par les membres du Gouvernement présents dans l’hémicycle. Nous avons déposé des amendements. L’un d’entre eux, intitulé « amendement Obama » – il fallait lui donner du lustre – tendait à instaurer une surimposition de solidarité par la création d’une cinquième tranche d’imposition pour les revenus supérieurs à 380 000 euros, part fixe et part variable confondues. Cette somme est loin d’être négligeable !
Nous avions également proposé une taxation à 100 % des rémunérations différées des dirigeants dont la société a bénéficié de l’aide directe de l’État.
Ces quelques exemples attestent de notre volonté de refondre un système sur la base d’une plus grande justice. Nous ne pouvons accepter une société sans garde-fou, dans laquelle la justice sociale n’est ni la priorité, ni un objectif, mais est un obstacle que l’on franchit de plus en plus facilement.
Parallèlement, les citoyens assistent aux annonces répétées d’entreprises qui ont dégagé des profits importants, reversés aux actionnaires sous forme de dividendes. Je précise que nous ne sommes pas hostiles à de tels profits.
À titre d’exemple des plus importantes redistributions de dividendes, relevons l’entreprise Total – je la cite, car elle fait chaque jour de la publicité dans les journaux afin de redorer son image –, qui a reversé 5, 4 milliards d’euros, ou encore GDF-Suez. Certes, pour l’instant, cette société n’a pas encore fait de publicité, mais elle le fera peut-être.
Pour nombre de sociétés, l’année 2008 restera économiquement mauvaise, voire désastreuse. En revanche, le secteur de l’énergie semble épargné. Il est loin de connaître les difficultés économiques que rencontrent aujourd’hui des centaines de petites entreprises installées sur notre territoire.
En 2008, Total a dégagé 14 milliards d’euros de bénéfices, soit une hausse de 14 % par rapport à 2007, tandis que GDF-Suez a réalisé 6, 5 milliards d’euros de bénéfices, soit une augmentation de 13 %. Ces deux entreprises reconnaissent elles-mêmes avoir réalisé, l’année dernière, des bénéfices exceptionnels.
Ce fait est, selon moi, lié aux prix. Ainsi, les importantes hausses du prix du pétrole ont permis à Total d’engranger des bénéfices importants. La hausse des prix du gaz décidée en 2008 a permis à GDF-Suez de dégager des profits, même si c’était pour faciliter la fusion.
L’augmentation de ces bénéfices s’est faite, à n’en pas douter, sur le dos des consommateurs ; personne ne le niera. Ces surprofits sont dus à une politique de prix supportée par les consommateurs pour lesquels la baisse des tarifs du gaz est intervenue, alors que la période de chauffe était terminée.
De son côté, Total annonçait 14 milliards d’euros de bénéfices – ce dont on peut se féliciter – et, en même temps, la suppression de 555 postes. Selon nous, ce n’est pas normal. D’ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, l’un de vos collègues s’était lui aussi étonné et avait trouvé assez provocateur l’annonce simultanée de suppressions de postes et de bénéfices importants.
La bonne santé de Total est indéniable. Cette société fait partie des très rares entreprises qui ont systématiquement connu une performance supérieure à l’indice boursier européen de référence pendant près de quatorze ans sur les vingt dernières années. Son bénéfice net progresse. Cette croissance ne s’est pas traduite mécaniquement par des hausses des investissements productifs, compte tenu de la politique de maximisation du retour aux actionnaires que vous connaissez très bien, mes chers collègues.
Cette entreprise a procédé au rachat d’actions pour rester opéable. Ses dirigeants ont largement profité du versement de dividendes. Cette politique a permis aux dividendes de progresser.
On m’a indiqué que le montant du chèque que Total signe tous les ans à l’État français, au titre de l’impôt sur les sociétés, est presque classé confidentiel défense. N’étant plus habilité « secret défense », je me tourne vers vous, monsieur le secrétaire d'État.
L’ancien P-DG du groupe Total, après la catastrophe qui a eu lieu à Toulouse, indiquait que donner le montant des bénéfices de Total en France ou celui de son chèque au Trésor pourrait être mal interprété. Sachez que le holding basé en France affiche un crédit d’impôt de 200 millions d’euros en 2006, succédant à 700 millions d’euros en 2005 !
Même si certains collègues ne veulent pas le reconnaître, admettons qu’à situation exceptionnelle des réponses exceptionnelles s’imposent.
Monsieur le secrétaire d'État, indépendamment de la grande campagne que mène aujourd’hui Total pour se refaire une santé, si vous me permettez cette expression, cette société a octroyé généreusement au fonds d’expérimentation pour les jeunes de votre collègue Martin Hirsch 50 millions d’euros, soit, selon mes calculs, 0, 072 % des bénéfices qu’elle a réalisés en 2008. Même si cette générosité doit être relevée, c’est encore plus le caractère condescendant des relations de cette entreprise avec les pouvoirs publics et le Gouvernement qui pose un problème. On le constate lorsque Mme la ministre de l’économie reçoit le P-DG de Total en l’embrassant. Certes, ce n’est pas José Bové, mais ils ont tous les deux une moustache !