Monsieur le président, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord remercier M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, qui va représenter la ministre de la justice ou la ministre de l’intérieur.
Adversaire clairement affiché des excès de vitesse, je suis aussi un partisan des peines qui ont du sens, appliquées avec tact et mesure, ce tact et cette mesure que l’on exige tant des médecins. Je demande aussi du sérieux, du professionnalisme dans les contrôles et de la cohérence dans les mesures prises, comme dans les actions engagées.
Depuis le début des années soixante-dix, les efforts conjugués de l’État, du législateur, des collectivités publiques et des associations n’ont pas manqué, sur le plan tant des actions de sensibilisation entreprises, des travaux d’aménagement et des mesures réglementaires adoptées que des textes de loi votés.
L’efficacité de ces politiques publiques tient au fait que, dès l’origine, elles se sont appuyées sur des études en accidentologie réalisées par des organismes indépendants, avec le sérieux de l’objectivité scientifique.
Si l’on en croit les données récentes de l’accidentologie, même si celles-ci témoignent d’une nette amélioration dans les comportements des conducteurs, les causes des accidents sont, hélas ! toujours les mêmes : en tête, l’alcool, qui est devenu le premier facteur d’accident ; ensuite, la vitesse, laquelle est un facteur aggravant.
Un bon point, en revanche, pour nos concitoyens, en ce qui concerne leurs comportements et le respect des règles de sécurité, puisqu’on note une très nette amélioration dans le port de la ceinture, celui-ci étant respecté à plus de 97 %.
Cependant, au cours des vingt dernières années, l’accent a été mis prioritairement sur les comportements humains – vitesse, alcool, non-port des équipements de sécurité, prise excessive de risques…
On a eu tendance à accorder moins d’importance à d’autres facteurs, qui jouent pourtant, d’après les études, un rôle important dans les accidents.
Deux paramètres semblent avoir été tout particulièrement négligés : la localisation et les circonstances de l’accident – mais il y a une logique à cela !
Les statistiques démontrent, en effet, que 62 % des accidents mortels ont lieu, en réalité, sur les routes départementales, contre 6 % sur les autoroutes et 12 % sur les routes nationales.
Alors qu’il se caractérise par une forte densité de trafic, le milieu urbain enregistre, quant à lui, une baisse sensible de la gravité des accidents.
C’est donc en rase campagne que le risque d’accident est, paradoxalement, le plus élevé, sans doute favorisé par une fluidité de trafic qui autorise des vitesses élevées. L’un des grands facteurs de décès sur ces routes, ce sont les obstacles fixes : 1 248 tués en 2007, dont 552 sur des arbres et des poteaux.
Par ailleurs, le fait de rouler de nuit constitue un facteur aggravant. Alors que la période nocturne représente moins de 10 % du trafic, j’insiste sur ce chiffre, elle engendre 34 % des blessés et près de 45 % des tués. Cet élément ne semble pourtant pas susciter un grand intérêt.
On pourrait donc déduire de l’ensemble de ces chiffres trois grandes priorités d’action : l’alcool, la vitesse et le ciblage de la prévention et de la répression, en fonction des critères de temps et de lieu.
Dès lors, face à une telle clarté des données de l’accidentologie, on peut s’interroger sur les raisons profondes qui ont motivé récemment les pouvoirs publics à modifier les leviers traditionnels, ceux qui ont permis, pendant les trente dernières années, de faire reculer avec le plus d’efficacité la mortalité sur nos routes.
En imposant des radars automatiques, principalement sur les grands axes où le taux d’accidents n’est pas significatif, pour sanctionner le dépassement de vitesse même le plus insignifiant, l’État n’abandonne-t-il pas les priorités qu’il s’était lui-même fixées ?
La répression routière contre les usagers se substitue à la prévention routière et devient de plus en plus féroce. Quel est l’objectif ?
La multiplication récente des radars automatiques manifeste une véritable « industrialisation des sanctions », qui n’épargne pas le conducteur de bonne volonté. Pourquoi une telle dérive par rapport aux priorités initiales ?
Je rappelle qu’en 2008 nous atteignions sans gloire le chiffre de 9 millions de points retirés sur les permis de conduire des Français. Parmi les 4, 5 millions d’infractions sanctionnées par des retraits de points en 2006, on note une forte augmentation de la part des excès de vitesse, ce qui pourrait constituer un bilan satisfaisant au regard de nos priorités. Toutefois, le souci d’objectivité commande de regarder la répartition de ces retraits de points. Si l’on en croit les statistiques du ministère de l’intérieur, plus de 80 % des retraits concernent en réalité des infractions n’entraînant qu’un point de retrait, soit un excès de vitesse inférieur à 10 kilomètres par heure, voire, parfois, à 20 kilomètres par heure !
Ce ne sont donc pas les grands excès de vitesse qui font l’objet de la plus forte répression. D’ailleurs, depuis quatre ans, les dépassements supérieurs à 30 et 40 kilomètres par heure n’ont pas baissé d’un iota, ce qui retire leur caractère dissuasif aux radars automatiques pour les vrais grands délinquants de la route.
La sécurité routière note même, dans son rapport, une hausse de ces infractions pour le deuxième quadrimestre de 2008.
En revanche, le conducteur-citoyen, le conducteur de bonne volonté se voit sanctionné au moindre écart de vitesse, fût-il de 1 kilomètre par heure. Cette répression systématique, qui frappe à l’aveugle ce conducteur, le place dans une situation dangereuse sur la route. Elle le contraint, pour éviter le moindre écart, à rouler les yeux le plus souvent rivés sur le compteur, pourtant trop imprécis pour lui indiquer la vitesse exacte.
Pire, beaucoup de nos concitoyens ont vu leur permis de conduire invalidé après plusieurs retraits d’un seul point, isolés ou associés à d’autres retraits de points : le conducteur qui n’a pas ajusté sa ceinture alors qu’il est en train de quitter son garage ou qu’il tente de se dégager de son lieu de stationnement dans des conditions difficiles est immédiatement sanctionné de trois points de suppression ; le conducteur qui a empiété de quelques centimètres sur la ligne continue pour dépasser un cycliste perd deux points. La sanction est identique pour l’utilisation du téléphone. Le motard que je suis est pleinement conscient du danger de l’utilisation du téléphone portable au volant. Mais – et lorsque j’étais maire, j’ai dû intervenir – un automobiliste qui décroche son portable à un feu rouge pour répondre très brièvement qu’il rappellera plus tard perd deux points. Tout cela est-il véritablement normal ?
Or, l’invalidation du permis, pour une période qui, dans la pratique, est supérieure à un an, constitue bien souvent pour les particuliers une sanction très lourde, car elle menace directement leur emploi.
Dans un arrêt de 1998, la Cour européenne des droits de l’homme avait même rappelé à la France que le retrait des points du permis, par la gravité de la sanction à laquelle il peut conduire, c’est-à-dire l’invalidation, constituait bien, par son caractère « punitif et dissuasif », une mesure d’ordre pénal, et non une simple mesure de police administrative.
Auteur en son temps d’une proposition de loi sur le sujet, M. Karoutchi le sait, la Cour a rappelé que le permis de conduire représente en effet, pour nombre de nos concitoyens, un moyen indispensable d’insertion sociale, un gage d’autonomie, une condition sine qua non du maintien ou de la recherche d’un emploi.
Rappelons que la loi du 1er août 2008 relative aux droits et devoirs des demandeurs d’emploi, que nous avons votée, mes chers collègues, prévoit, dans son article 1er, parmi les critères définissant une offre raisonnable d’emploi, une distance maximale de 30 kilomètres entre l’emploi proposé et le domicile !
Cet éloignement signifie donc, pour beaucoup de nos concitoyens, la nécessité de disposer d’un permis de conduire valide, document jugé, par ailleurs, indispensable par de nombreux employeurs.
Or, le site du ministère de l’intérieur affiche avec triomphalisme le nombre de permis de conduire invalidés : en 2006, 68 800 ; en 2007, 88 698. Les derniers chiffres sont tombés : pour 2008, 98 057 permis invalidés... record battu ! Cela représente une progression de plus de 560 % depuis 2002 ! Quel grand succès ! C’est bien le seul domaine dans lequel on enregistre de telles augmentations !
Qui peut décemment se réjouir de tels chiffres à l’heure où la crise économique touche si durement notre pays et où la perte d’emploi constitue un drame pour les familles ?
Les entraves répétées à la circulation automobile pour le citoyen ordinaire entraînent paradoxalement trois conséquences graves, précisément en termes de sécurité routière.
D’abord, elles poussent les gens à choisir par substitution, en l’absence de permis, les véhicules à deux roues, motorisés ou non, qui constituent le mode de déplacement le plus dangereux. Ce mode de transport, qui ne représente que 1 % du trafic, compte pourtant 18 % des victimes tuées, sans parler des personnes qui resteront lourdement handicapées toute leur vie. Où est le gain en matière de sécurité routière et pour la collectivité publique ?
Ensuite, certains conducteurs, respectueux de la sanction qui les frappe, roulent en voiture ne nécessitant pas de permis. Curieux paradoxe de ne plus posséder de permis de conduire et d’être autorisé à conduire un véhicule en ville et en rase campagne, les lieux les plus dangereux, et de ne plus être autorisé à conduire sur autoroute, lieu unanimement reconnu comme le plus sûr de l’ensemble du réseau français !
Curieux scandale que d’envoyer une partie du trafic autoroutier sur le reste du réseau de rase campagne quand le bilan de la sécurité routière nous confirme que le fait d’accroître le trafic « rase campagne » de 1 % équivaut à augmenter de 1 % le nombre de tués... Belle logique, une nouvelle fois !
Enfin, plus grave encore, pour conserver coûte que coûte leur emploi, certains conducteurs préfèrent prendre le risque de rouler sans permis, et donc sans assurance. Ainsi, 33 000 conducteurs ont été contrôlés sans permis en 2005 ! Ces chiffres ne concernant que les contrôles, on peut supposer qu’ils sont bien plus nombreux ! Si le contrevenant risque des sanctions pénales lourdes, il prend un risque non seulement pour la collectivité, mais aussi pour lui-même.
En effet, en cas de défaut de permis, et donc d’assurance, c’est le Fonds de garantie automobile qui prendra le relais pour indemniser les éventuelles victimes. Mais il ne prendra pas cet automobiliste en charge et se retournera finalement contre lui.
On le voit, l’excès de répression sur un conducteur ordinaire, un conducteur-citoyen, peut précisément conduire celui-ci à devenir, au mieux un danger public, au pire un véritable délinquant de la route. Où est le bénéfice en termes de sécurité routière ?
Personnellement, je vois dans cette « automatisation de la sanction » à l’égard des automobilistes ordinaires une véritable dérive de notre politique de sécurité routière.
En abandonnant leur lutte contre la grande délinquance routière, contre les prises excessives de risques des chauffards, mais aussi en renonçant aux grandes priorités qu’ils constatent eux-mêmes, dans leurs propres statistiques – je ne fais que citer le bilan 2007 de l’Observatoire national interministériel de sécurité routière : aggravation du nombre de tués chez les motocyclistes, stagnation des grands excès de vitesse, absence de progrès en matière d’alcool, détérioration du bilan pour les conducteurs âgés de 18 à 24 ans –, les pouvoirs publics ne se sont-ils pas affranchis, de cette façon simple et rentable, de leurs responsabilités à l’égard des priorités qu’ils s’étaient eux-mêmes fixées ?
La présente proposition de loi vise à revenir à un système de prévention et de répression routière qui ait du sens. La véritable justice du système consiste, en effet, à mettre en adéquation la gravité des sanctions et la gravité des infractions au regard du risque qu’elles créent. On ne peut pas faire respecter par nos concitoyens des règles qui n’ont pas de sens !
Un fossé est actuellement en train de se creuser entre les forces de police et la population, …