… et, plus grave, entre les pouvoirs publics et les citoyens, ce qui n’est pas bon pour la République !
C’est pourquoi, dans un souci de plus grande équité, le texte présenté comporte, d’une part, des dispositions visant à limiter la répression à l’égard des comportements des automobilistes qui ne génèrent aucun risque pour la collectivité – en lui préférant prioritairement la prévention – et, d’autre part, des dispositions visant à renforcer les sanctions à l’encontre des infractions commises sur la route véritablement dangereuses, parce que susceptibles de créer des victimes.
Je commencerai par les dispositions visant à limiter le caractère répressif du code de la route. La proposition de loi comporte une réforme du système de retrait de points, en particulier pour les petits excès de vitesse. Précisons tout de suite qu’il ne s’agit nullement de remettre en cause le bien-fondé du permis à points.
Toutefois, la réglementation prévoit qu’en cas de dépassement de la vitesse maximale autorisée de moins de 20 kilomètres par heure l’infraction entraîne automatiquement, outre l’amende – qui est déjà une peine –, la réduction d’un point sur le permis de conduire. Cette règle vaut que vous dépassiez de 20 kilomètres la vitesse autorisée ou que vous soyez dans l’épaisseur du trait, roulant alternativement 2 kilomètres en dessous et 2 kilomètres au-dessus de la limite supérieure autorisée, faute de précision du compteur. Vous êtes donc sanctionné de la même façon dans tous les cas !
Cette dernière disposition, je le répète, est particulièrement injuste, à moins que l’on ne nous démontre que les auteurs de ces petits dépassements sont vraiment des délinquants et des dangers publics. C’est pourquoi la présente proposition de loi vise à supprimer ce retrait de point lorsque l’excès de vitesse dépasse de moins de 5 kilomètres par heure la vitesse maximale autorisée. En revanche, la contravention sous forme d’amende serait toujours applicable, bien entendu.
Le dispositif proposé prévoit également la restitution immédiate des points de permis qui ont été retirés sous le chef de cette infraction. Vous le pensez bien, j’ai déposé un amendement de suppression de cette disposition que j’avais souhaité introduire. En effet, trop heureux seraient ceux qui s’appuieraient sur la présence d’une telle disposition pour rejeter l’ensemble de l’article 1er !
Par ailleurs, on peut s’interroger sur le bien-fondé d’une aggravation des sanctions relatives à l’obligation du port de la ceinture de sécurité. Il ne s’agit pas de contester ici le caractère globalement et hautement nécessaire de cette mesure de sécurité – je suis médecin ! –, il s’agit d’être le plus juste et le plus objectif possible en matière de sanctions.
Trois considérations doivent être retenues.
Premièrement, si le bouclage de la ceinture réduit statistiquement le nombre total des morts par accident, son efficacité est loin d’être la même selon les risques encourus : celle-ci dépend en grande partie de la vitesse. Comme l’ont démontré toutes les études, les forces mises en jeu, en cas de choc, varient en fonction de la vitesse au moment de l’accident. Si ces ceintures protègent bien pour un choc frontal à une vitesse de 70 kilomètres par heure et un choc latéral à 50 kilomètres par heure, tel n’est plus le cas à des vitesses plus élevées.
Deuxièmement, pour le conducteur, le fait de ne pas attacher sa ceinture ne fait courir aucun risque à autrui. Le sort de l’automobiliste est seul en cause. L’État peut-il dès lors interdire à l’automobiliste la liberté de choisir ce qu’il veut éviter ? Certains automobilistes ne cachent pas qu’ils appréhendent plus, en cas de choc à très grande vitesse, de se trouver conscients et bloqués par leur ceinture coincée que d’être assommés – un parlementaire élu d’une région où les routes sont particulièrement dangereuses me le confirmait récemment. Notons que, dans certains cas limites, le port de la ceinture de sécurité peut aggraver le sort des intéressés, jusqu’à constituer une cause spéciale de mort.
Troisièmement, la « neutralité » pénale du défaut de port de la ceinture est incontestable. Elle repose sur l’absence, essentielle et évidente, de droit éminent de la collectivité sur la personne physique des citoyens dès lors que l’intérêt d’autrui n’est pas en cause. C’est d’ailleurs ce raisonnement qui a abouti à ce que la législation française ne sanctionne plus pénalement le suicide, ni sa tentative suivie d’un début d’exécution, malgré les dépenses sociales et sanitaires que cet acte peut engendrer.
Toutefois, il me paraît normal, en cas d’infraction, que le contrevenant encoure une sanction financière.
Il nous faut donc supprimer la sanction « pénale », au sens de la Cour européenne des droits de l’homme, que constitue le retrait de trois points du permis, en cas de défaut de port de la ceinture de sécurité.
Je vous livre une réflexion sur ce sujet. Les Français passent en moyenne un peu moins de cinquante minutes par jour au volant de leur voiture. Si le port de la ceinture est si important pour eux en ville, comme le rappelle Mme Troendle dans son excellent rapport, pourquoi le pouvoir réglementaire en dispense-t-il tous ceux qui passent plusieurs heures par jour au volant : les chauffeurs de taxi, les postiers, les livreurs, les ambulanciers ? Sans parler des pompiers, des policiers et des gendarmes, dont on peut comprendre l’obligation d’intervention rapide. Le pouvoir réglementaire estime-t-il que ces métiers protègent des chocs ces conducteurs permanents ? Ou bien mettre sa ceinture constitue-t-il une corvée si longue, pénible et insurmontable pour toutes ces professions ?
Le pouvoir réglementaire est-il une garantie de sérieux quand, par exemple, il punit d’une amende élevée, 135 euros, le défaut de port de la ceinture dans les taxis, à l’exception du conducteur, des enfants – parce que l’on ne veut pas obliger les taxis à installer des sièges adaptés – et des bébés ? Le pouvoir réglementaire admet que, pour ces trois catégories d’usagers, le risque d’être gravement blessé n’a aucune importance. Surprenant ? Pas du tout ! Incohérent ? Certainement !
Voilà pourquoi je vous propose de mettre fin à l’abus que constitue cette sanction : à elle seule, elle supprime la moitié des points d’un nouveau conducteur et le prive de la possibilité d’obtenir les six autres points pendant une période de trois nouvelles années. Mme Troendle a évoqué dans son rapport, et je l’en remercie, la nécessité de revenir sur cette mesure, même si elle n’a pas osé aller jusqu’à déposer un amendement, au risque de s’attirer les foudres du ciel.