M. le rapporteur a reproché à Roland Courteau d’être hors sujet, alors que notre collègue avait entièrement raison : ce projet de loi n’est qu’une étape dans le processus de libéralisation du marché de l’électricité.
En effet, l’étape suivante consistera à permettre à des opérateurs privés de participer à l’exploitation des centrales nucléaires d’EDF. Ce n’est d’ailleurs qu’à ce moment-là, quand EDF aura entièrement perdu son monopole, de la production à la distribution, que les hérauts de la libéralisation pourront savourer définitivement leur victoire.
Il est inutile de se demander, à ce moment du débat, qui bénéficiera effectivement de cette privatisation. Le présent projet de loi va provoquer une augmentation démesurée des prix de l’électricité pour les consommateurs, qu’il s’agisse d’ailleurs des industriels ou des ménages, nous le savons tous. On se doute aussi que la privatisation de l’actionnariat des centrales ne bénéficiera ni aux ménages ni à l’industrie. En revanche, nous sommes sûrs que ce projet de loi conduira à poser dans un futur proche la question de l’exploitation des centrales nucléaires.
Plusieurs membres de notre assemblée considèrent d’ailleurs que cette option aurait déjà dû être retenue dans le cadre de ce projet de loi. Les propos de M. le rapporteur sont explicites de ce point de vue : dès la première page de son rapport, il exprime le regret que le Gouvernement n’ait pas choisi « d’ouvrir la propriété des centrales nucléaires d’EDF aux participations des autres fournisseurs et des gros consommateurs d’électricité ». Sans doute estimez-vous, monsieur le rapporteur, que la décision du Gouvernement n’est pas assez rentable pour les concurrents de l’opérateur historique ! Nous considérons, au contraire, que les fournisseurs privés obtiendront déjà beaucoup avec ce projet de loi, s’il est adopté, et qu’il est nécessaire de poser quelques garde-fous pour l’avenir.
Les arguments en faveur de participations privées dans les centrales sont bien connus et, comme l’a dit Roland Courteau, cette pratique a déjà cours au Tricastin : elle permettrait à EDF de partager le risque industriel et d’alléger son endettement. Mais il y a un pas qu’on ne saurait franchir entre les avantages supposés d’une ouverture des centrales nucléaires aux opérateurs privés et les conséquences de ce choix sur notre modèle de production énergétique.
Aujourd’hui, le parc nucléaire français est une réussite : il a fourni la preuve de son efficacité. Il a même été trop efficace, si l’on peut dire, puisque la libéralisation du secteur est justifiée, en fin de compte, par la rente nucléaire. Ce succès a été rendu possible parce qu’une entreprise, EDF, existe et a agi de manière planifiée. Est-il sûr que cet avantage sera préservé en privatisant les centrales ? Absolument pas ! Et ce n’est pas l’objectif premier de la libéralisation en cours.
Nous pensons pour notre part que l’existence d’EDF, son importance dans notre politique énergétique, son rayonnement international doivent pouvoir être garantis. Nous pensons également que la gestion de son parc nucléaire doit être assurée en fonction d’impératifs de développement, de sécurité et de croissance qui ne sont pas compatibles avec une stricte vision concurrentielle à court terme.
Quant à l’efficacité d’une privatisation, en termes d’impératifs de service public, elle reste encore à démontrer : la France n’a heureusement jamais eu à vivre l’expérience de la Californie et l’on ne peut que s’en réjouir.
La vérité est que le nucléaire français est à l’origine d’une rente que lorgnent les opérateurs privés. Si ce projet de loi est adopté, ils vont en capter une part. Si, demain, on privatise les centrales nucléaires, ils la capteront en entier, mais sans aucun profit pour les consommateurs, ni aucune garantie d’amélioration de la compétitivité et de la sûreté de notre réseau d’énergie.
Pour toutes ces raisons, il est nécessaire, comme je l’ai déjà dit, d’introduire des garde-fous dans ce projet de loi. Tel est l’objet du présent amendement, déposé par le groupe socialiste, qui tend à réserver l’exploitation des centrales nucléaires aux personnes morales dont le capital est public à hauteur de 70 % au moins.
C’est à mon sens la moindre des choses de préserver le modèle énergétique français et de donner un pouvoir au peuple, comme l’a dit mon collègue Didier Guillaume.