Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, créé sur l’initiative de Michel Rocard en 1988, le RMI est aujourd’hui un symbole : symbole, bien sûr, de la solidarité de la nation à l’égard des plus démunis, mais symbole aussi, malheureusement, des difficultés d’intégration de nombre de nos compatriotes. La proposition de loi de notre excellent collègue Michel Mercier, dont nous discutons aujourd’hui pour la deuxième fois, met ainsi en lumière deux difficultés auxquelles nos conseils généraux sont aujourd’hui confrontés de façon croissante.
D’abord, la décentralisation du RMI votée en 2003 a accru la charge financière globale des dépenses médicosociales de 8, 3 % en 2007, le montant total versé au titre du RMI par les conseils généraux la même année n’ayant reculé que de 3, 2 %, pour s’établir à 6, 01 milliards d’euros. Or la compensation financière des transferts de compétence de l’État aux départements, obligation tirée de l’article 72-2 de la Constitution, n’est pas encore pleinement satisfaisante.
Ensuite, ce texte met en évidence les différences de traitement entre allocataires, selon la taille du département, son tissu social, et les bonnes relations de celui-ci avec les services de l’État. Les départements d’outre-mer souffrent davantage du poids financier que constitue le RMI en raison des retards de développement économique et social dont ils pâtissent par rapport à leurs homologues de la France hexagonale. Le RMI représentait par exemple, en 2006, 37, 9 % des dépenses réelles de fonctionnement du conseil général de la Guyane, soit 68, 7 millions d’euros, contre 17, 1 % dans l’ensemble de la France.
Au regard de l’enjeu financier, les conseils généraux sont donc en droit de demander des comptes sur les sommes qu’ils versent. Cela vaut notamment sur la répartition des indus, dont le montant est estimé à 300 millions d’euros par an par notre rapporteur. L’amélioration du contrôle comptable du RMI induit par conséquent une meilleure transparence de sa gestion. Comme le souligne M. Michel Mercier, dont les rapports successifs sur ce sujet font autorité, les départements n’ont pas aujourd’hui connaissance de la réalité de leurs dépenses de RMI. La transmission des informations entre la Caisse d’allocations familiales, la Mutualité sociale agricole et le conseil général n’est pas optimale, notamment en raison du manque d’interopérabilité des systèmes et de la gestion des indus. Il est donc tout à fait légitime, voire indispensable, que le législateur cherche à améliorer le contrôle de l’utilisation et de la bonne affectation des deniers publics. La mise en place d’instruments de lutte contre la fraude plus efficaces est un impératif. Sur ce point, la fourniture de documents justificatifs par les organismes payeurs et la signature d’une convention entre ces organismes et les départements constitueraient une avancée notable, comme l’a rappelé notre rapporteur.
Ce besoin d’information des départements sur les recoupements de fichiers se fait sentir avec une acuité particulièrement intense en Guyane, où la pression financière du RMI est parmi les plus importantes de France. La valeur moyenne de RMI par habitant n’excède pas 80 euros dans l’ensemble des départements de moins de 250 000 habitants ; elle atteint 445 euros en Guyane. Depuis 2003, le montant total du RMI versé en Guyane a crû de 28 % alors que, dans le même temps, les financements de l’État ont tardé à compenser ces charges. Certes, la création en 2006 du fonds de mobilisation départemental pour l’insertion a permis de couvrir partiellement le différentiel restant dû par le conseil général, soit 52 millions d’euros en quatre ans. Mais ce fonds s’éteindra à la fin de l’année, alors que les besoins continuent de croître et qu’il reste près de 24 millions d’euros à trouver.
La Guyane, je vous le rappelle, se trouve de surcroît dans une situation démographique très particulière. Sur une population de 191 000 habitants, on compte plus de 30 % d’étrangers selon l’INSEE, en grande majorité hors CEE, sans même inclure les milliers de clandestins, par nature non recensés. Le taux de croissance de la population dépasse 3, 4 % par an, ce qui classerait la Guyane dans les dix premiers pays du monde. Les retards de développement socio-économique engendrent donc de facto une croissance soutenue du nombre de bénéficiaires du RMI. Parallèlement, la part d’étrangers hors CEE touchant cette allocation dépasse 45 %, c’est-à-dire la proportion la plus élevée de tous les départements français. Cette manne financière, loin de remplir son rôle d’insertion sociale, contribue au contraire à alimenter des flux d’immigration en provenance du Brésil, du Surinam, du Guyana, ou des Antilles voisines. Les allocations ainsi versées ne font le plus souvent que transiter sur le territoire guyanais, pour être aussitôt transférées vers les pays d’origine de ces bénéficiaires. Doit-on en conclure que la solidarité nationale a vocation à se substituer à l’aide au développement de la France à nos voisins ? L’aide sociale aux Guyanais et aux étrangers régulièrement installés pourra-t-elle longtemps subsister dans ces conditions ?
Vous comprendrez par conséquent tout l’intérêt que trouvent les élus locaux guyanais dans cette proposition de loi, qui tend à renforcer les contrôles et la transparence. Toutefois, le dispositif proposé par la commission des finances ne va pas sans poser un certain nombre de questions pour ce qui concerne la Guyane et, plus largement, l’outre-mer.
Qu’en sera-t-il, ainsi, de l’Agence départementale d’insertion, qui, en Guyane, par exemple, a accès aux fichiers FILEASC pour les contrats d’insertion ? Doit-on lui transposer l’action et les compétences des comités locaux d’insertion ? Ce flou juridique mériterait d’être clarifié.
De la même façon, les articles 3 et 5 du texte prennent un relief particulier en Guyane, au vu des statistiques sur le nombre de bénéficiaires étrangers réputés habiter en Guyane ou sur le type de foyers majoritairement bénéficiaires, dont on peut extirper un nombre important de fraudes.
Le département a engagé un processus de recouvrement des indus, soit 700.000 euros en 2007, et a déposé un certain nombre de plaintes. Mais il se heurte à des difficultés légales que le présent texte pourrait résoudre seulement en partie. Il semble, en effet, nécessaire d’élargir les confrontations de fichiers avec les fichiers de la CNRACL et de l’IRCANTEC. La CAF se contente trop souvent d’opposer un refus de confrontation avec ce dernier organisme, alors que sa mission est identique à celle du premier, mais pour les agents non titulaires. L’argument du refus d’agrément de la CNIL ne se vérifie pas souvent.
Enfin, la nature des relations entre les employeurs et les services fiscaux ne permettent pas toujours d’identifier à temps un fraudeur et cette lacune doit être résolue.
La proposition de loi de notre collègue Michel Mercier telle que complétée par notre commission va incontestablement dans le bon sens pour les conseils généraux. Je salue également le travail de notre rapporteur. Plutôt que de légiférer à la hâte, il a souhaité disposer de davantage de temps pour approfondir son analyse, encore que je n’aie pas entendu parler de l’outre-mer.
Néanmoins, il serait sans doute utile, à terme, d’aller plus loin pour les départements d’outre-mer. L’existence des agences d’insertion apparaissait pleinement légitime à l’époque où l’État payait lui-même l’allocation. Mais depuis la décentralisation du RMI en 2003 et le retrait total de l’État, les missions de ces agences n’ont jamais été adaptées aux nouveaux dispositifs légaux et réglementaires. Les relations entre les différentes instances méritent aujourd’hui d’être clarifiées. Des moyens juridiques nouveaux doivent aussi mettre fin à l’inapplicabilité des règles issues des derniers transferts de compétences.
Pour l’heure, la majorité du groupe du RDSE suivra les conclusions de notre rapporteur.