Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voilà déjà quelque temps – pour ne pas dire depuis que le RMI existe, soit bientôt vingt ans – que d’aucuns, au sein de la majorité parlementaire actuelle, entendent pointer du doigt les allocataires et le coût qu’ils représenteraient pour les finances publiques, singulièrement pour celles des départements.
Lors de la discussion du projet de loi portant décentralisation en matière de RMI et créant un revenu minimum d’activité – je rappelle que ce dispositif avait été disjoint de la loi sur les responsabilités locales –, j’avais déjà eu l’occasion d’indiquer que, dès 1988, la droite sénatoriale s’était prononcée en faveur du transfert du RMI aux départements et que, durant les premières années, elle avait souhaité faire du RMI un nouveau dispositif, le RMA, ou revenu minimum d’activité. Il s’agissait ni plus ni moins de mettre sous conditions d’exercice d’une activité professionnelle, même réduite, le versement de l’allocation.
Le débat sur le RMA avait animé une partie de la discussion du projet de loi en 2003, nonobstant le fait que d’aucuns le trouvaient pourtant d’un intérêt plus que limité. De ce point de vue, si l’on fait le bilan du RMA, tout un chacun peut objectivement faire ce constat.
J’avais alors rappelé ceci : « En ce qui concerne tout d’abord le RMA, le moins que l’on puisse dire, c’est que ce nouveau contrat, qui vient s’ajouter à la panoplie déjà très large de contrats aidés, est très loin d’être satisfaisant, sauf peut-être pour les employeurs, qui bénéficieront indiscutablement d’une aide substantielle permettant de réduire significativement les coûts salariaux ; je me contente de citer M. le rapporteur.
« Les associations, pour leur part, sont unanimes à considérer que ce projet de loi est trop rigide et trop précaire – c’est notamment le cas de Martin Hirsch, d’Emmaüs – et que c’est un mauvais CES. »
Or, depuis tout ce temps, outre le devenir quasi confidentiel du RMA, nous avons vu apparaître le RSA, qui présente, qu’on le veuille ou non, des caractéristiques assez proches de celles que l’on pouvait trouver dans le revenu minimum d’activité.
À cet égard, je dois dire que j’ai approuvé une partie de l’intervention de mon collègue Éric Doligé concernant les conditions de mise en œuvre du RSA. Je fus le seul parlementaire à m’opposer à la création du RSA, lors de l’examen de projet de loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, ou TEPA, à la fin du mois de juillet 2007, expliquant que les conditions de remplacement du RMI, notamment, méritaient d’être discutées. Certains avaient alors avancé – c’est ce qui avait provoqué ma colère et mon vote négatif – qu’il conviendrait de supprimer les droits connexes ou, tout au moins, de les prendre en compte. Or je constate que, aujourd’hui, des présidents de conseil général éminents tirent eux-mêmes la sonnette d’alarme – pas plus tard que cet après-midi, dans le cadre de la mission commune d’information sur la pauvreté et l’exclusion, les auditions sont venues conforter ce point de vue –, afin que ne soient pas imposées la mise en place du RSA et sa généralisation avant que les expérimentations soient terminées et que l’on en ait tiré toutes les conséquences.
Le postulat idéologique de départ sous-tendant la proposition de loi qui nous est soumise est connu : les allocataires du revenu minimum d’insertion, comme d’ailleurs les allocataires de n’importe quel minimum social – il s’agit là d’un point qui nous oppose, Michel Mercier et moi-même, depuis pas mal de temps –, se complairaient dans l’assistanat et refuseraient de mener les parcours d’insertion que notre société, où chacun a sa chance, se fait pourtant un plaisir de leur tracer ! Ainsi M. le Président de la République a-t-il confié à Martin Hirsch la mission de substituer le RSA à tous les minima sociaux existants, notamment les plus importants d’entre eux, qu’il s’agisse du RMI, de l’allocation de parent isolé ou de l’allocation de solidarité spécifique.
Les allocataires de minima sociaux seraient au pire des fraudeurs : voilà qui reprend le grand discours d’Eric Woerth sur la lutte contre la fraude. Pourtant, à en croire le directeur général de la Caisse nationale d’allocations familiales, c’est infinitésimal. Au mieux, les allocataires de minima sociaux seraient des paresseux et des fainéants qui profitent du travail des autres ! Il y a là une stigmatisation que nous ne pouvons accepter !
Il semble que l’on veuille ainsi faire d’une pierre deux coups, à savoir, d’une part, montrer qu’il n’est pas si facile que cela de bénéficier des prétendues largesses de la collectivité nationale – personnellement, je n’y vois pas d’inconvénient, étant moi-même pour la rigueur dans ce domaine –, ce qui explique en grande partie le renforcement des contrôles prévu par la loi dont nous débattons et, d’autre part, tenter, par cette affirmation d’autorité, de dissuader certains de solliciter les allocations concernées, en attendant, bien entendu, qu’un autre texte ou une autre réforme de plus grande ampleur vienne mettre fin à certains des minima sociaux existants ou en réduire la portée, avant que d’en confier la gestion intégrale aux départements. Je mentionnerai pour mémoire le rapport de MM. Michel Mercier et Henri de Raincourt sur les minima sociaux d’insertion, concernant notamment la réforme de l’API, ainsi que le transfert, voire la gestion même, de l’ASS.
C’est dans ce cadre idéologique que s’inscrit la proposition de loi de Michel Mercier ! En réalité, il ne fait pas bon être RMIste ou chômeur dans La France d’après, la France de M. Sarkozy !
En effet, si l’on est RMIste, on risque fort, outre le fait d’être soumis à un contrôle de plus en plus tatillon – sauf, évidemment, si le Gouvernement manifeste son intention de ne pas retenir les attendus de cette proposition de loi ; mais, de toute évidence, l’adoption de ce texte semble en bonne voie –, d’être bientôt contraint d’accepter tout et n’importe quoi au fil d’un parcours d’insertion dont le cheminement s’arrêtera rapidement sur le segment d’un revenu de solidarité active devenu un espace de précarité renforcée.
Ainsi, derrière certains discours sur le RSA et sa possible généralisation se profile l’émergence d’un sous-emploi massif qui cantonnerait des centaines de milliers de personnes sur certains segments d’activité : je pense notamment aux besoins émergents en matière d’aide à domicile et d’aide aux personnes âgées, au travail le dimanche, la nuit ou le week-end, domaines dans lesquels le secteur marchand ne peut fonder sa rentabilité que sur l’écrasement des conditions d’emploi et de rémunération, autrement dit sur la prise en charge par la collectivité d’une part plus ou moins élevée de la rémunération. Tel est l’enjeu.
Quand on est chômeur, les choses ne sont guère plus positives.
En effet, après la réforme du service public de l’emploi fusionnant l’ANPE et les ASSEDIC, après la modernisation du marché du travail, voici que se fait jour la vérité des intentions gouvernementales : la gestion de la demande d’emploi par la mise en œuvre de la notion d’offre valable d’emploi, véritable machine à exclure les personnes sans emploi du droit à allocation et trappe à déqualification et à sous-rémunération des personnes privées d’emploi ! La situation, à peine caricaturée, pourrait se résumer ainsi : « Ne pas accepter telle ou telle proposition aboutit à ne plus être indemnisé ! »
Derrière le discours de M. le Président de la République, abondamment relayé par le secrétaire d’État chargé de l’emploi, M. Laurent Wauquiez, il y a cette illusion populiste qui voudrait que, si les gens ne trouvent pas d’emploi leur convenant, c’est qu’ils ne font pas preuve des efforts suffisants pour en trouver un !
Dois-je rappeler à ce jeune secrétaire d’État promis, peut-on penser, à un bel avenir au premier rang des dirigeants futurs de la droite française que, pour que des personnes sans emploi en trouvent un, il faudrait déjà que les secteurs souffrant le plus d’un déficit de main-d’œuvre commencent par embaucher durablement les intérimaires dont ils viennent de suspendre les missions ?
Ainsi, alors que l’enquête « Besoins de main-d’œuvre 2008 », réalisée par les ASSEDIC, établit que le secteur du BTP entend recruter près de 146 000 salariés cette année, le Gouvernement commence par supprimer, par arbitrage en faveur des heures supplémentaires défiscalisées de la loi TEPA, plus de 9 000 postes de salariés intérimaires en décembre 2007. Telle est la réalité !
D’ailleurs, s’agissant de la situation des chômeurs dans notre pays, il faut revenir à l’essentiel : loin de profiter abusivement de prestations généreusement et aveuglément distribuées, ils sont 50 % à ne bénéficier d’aucune allocation de la part du régime d’assurance chômage !
Le chômage constitue la principale angoisse, la première préoccupation de nos compatriotes. La peur de l’exclusion, découlant de la perte de l’emploi ou d’un travail nettement moins rémunéré, est aujourd’hui une réalité et l’un des vecteurs de cette « paix armée » que l’on constate sur le front social.
Dans l’idéologie de la droite, le chômage joue pleinement son rôle : on vitupère et on stigmatise les chômeurs, mais ceux-ci servent aussi à faire accepter aux actifs les sacrifices, les reculs, les abandons et les restrictions de garanties collectives chèrement acquises par le passé ! Et tous les actifs cotisent à un régime d’assurance chômage qui ignore tout bonnement les droits de la moitié des personnes qui pourraient y prétendre ! Ce n’est pas moi qui l’affirme de façon gratuite : c’est ce que l’on observe à la simple lecture du document remis par le Gouvernement aux organisations syndicales de salariés lors de la réunion tripartite de la semaine dernière.
Ce document exemplaire nous en apprend beaucoup. Mes chers collègues, je ne lirai pas tous les passages que j’ai relevés, car je sens que je vous lasserais, je ne vous en livrerai qu’une partie :
« Le potentiel indemnisable est constitué de l’ensemble des demandeurs d’emploi (indemnisés ou non indemnisés) inscrits en catégories 1, 2, 3, 6, 7 et 8, auquel s’ajoutent les DRE – les dispensés de recherche d’emploi – indemnisés. Le potentiel indemnisable mesure en effet l’ensemble des personnes susceptibles de percevoir une indemnisation au titre du chômage. Il s’agit tout d’abord des demandeurs d’emploi inscrits à l’ANPE qui sont en recherche effective d’un emploi (ce qui exclut les demandeurs d’emploi en catégories 4 et 5). En outre, parmi les dispensés de recherche d’emploi, seuls les indemnisés, parce qu’ils continuent à percevoir leurs indemnités au titre du chômage, sont ajoutés à l’ensemble des demandeurs d’emploi pour constituer le « potentiel indemnisable ».
Mes chers collègues, je n’entrerai pas dans le détail des chiffres qui nous ont été donnés par ce document.