Intervention de Roland Courteau

Réunion du 28 septembre 2010 à 14h30
Nouvelle organisation du marché de l'électricité — Article 1er

Photo de Roland CourteauRoland Courteau :

Avant toute discussion sur cet article 1er, nous souhaitons aborder une question qui nous préoccupe et qui pourrait être une source d’insécurité juridique à l’échelon européen : il s’agit de la portée de la clause de destination qui figure, même si d’aucuns ne veulent pas le reconnaître, à l’alinéa 7 de l’article 1er.

Cet alinéa dispose que les fournisseurs accédant à la rente nucléaire devront justifier d’un portefeuille de clients équivalent sur le territoire national. Il s’agit là, de toute évidence, de l’introduction d’une clause de destination qui oblige les fournisseurs à revendre leur électricité sur le territoire français.

Nous nous interrogeons sur la question de savoir si cette clause va résister au couperet du droit communautaire, même si, comme le dispositif de l’ARENH, elle est transitoire.

Cette clause est a priori contraire au droit communautaire, ce que rappelle la Commissaire européenne Neelie Kroes dans sa lettre de réponse au Premier ministre, échange peu conventionnel qui a été revendiqué comme étant un accord.

Dans sa réponse, celle-ci a averti la France : « Il est en effet nécessaire d’éviter que ces modalités techniques, que vous proposez de définir ultérieurement avec les parties prenantes, s’écartent des principes généraux définis dans le courrier et contreviennent, de ce fait, par certains de leurs aspects, au droit communautaire et en particulier aux règles relatives à la concurrence et au fonctionnement du marché intérieur. »

Elle fait ensuite état du nécessaire « respect des dispositions de l’article 29 du Traité CE » qui prévoient l’interdiction de quotas ou de mesures visant à limiter quantitativement l’importation ou l’exportation de certaines marchandises.

En effet, la Commission européenne a toujours considéré que les clauses de territorialité ou de destination étaient « anticoncurrentielles », et cela encore en juillet 2007 concernant des contrats avec l’Algérie. Bien que les déclarant illégales, la Commission européenne n’a pas pour autant remis en cause le principe des contrats à long terme.

Ces clauses de destination ont été toutefois abrogées fin 2003 par Gazprom dans ses contrats de fourniture, notamment avec E.On.

Cette clause non seulement introduit une insécurité juridique du système proposé dans ce projet de loi, mais fait peser une menace de non-conformité au droit communautaire sur l’ensemble du texte.

Même si certains pourront arguer du fait que la lettre et le texte actuel ne sont pas en contradiction immédiate avec le droit communautaire, ce sont plus les effets collatéraux à l’échelon européen de ce projet de loi qui sont à craindre. En effet, lorsque des clients industriels allemands voudront bénéficier du même prix de l’électricité que les Français, rien ne les empêchera d’aller devant la Cour de justice de l’Union européenne pour arguer d’une restriction à la libre circulation.

Et si l’introduction de cette clause tient à un accord conclu dans deux lettres, elle ne résistera pas dans le temps, en tout cas à notre avis.

Cette crainte est également confirmée par l’un des membres de la Commission Champsaur, Jacques Percebois, qui, en mai 2009, notait que « la Commission de Bruxelles peut y voir une “clause de destination”, laquelle est contraire au droit européen ».

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, a remarqué que les deux commissaires européens ne s’étaient pas trop engagés pour la Cour de justice européenne. D’ailleurs, une actualité récente tend à montrer le degré de menace qui pèse sur ce projet de loi.

Ainsi GDF Suez et E.On ont-ils été condamnés, le 9 juillet 2009, pour entente illégale, à verser une amende de 553 millions d’euros chacun, après une enquête ouverte en 2007. L’un des principaux reproches de la Commission concerne notamment les clauses de destination qui sont incluses dans un accord passé en 1975 avec Gazprom et qui empêchent l’acheteur de revendre le gaz en dehors d’une zone géographique déterminée.

Nous considérons ainsi que l’accord Fillon-Kroes, sur lequel repose ce projet de loi, ne sera pas suffisant pour éviter tout risque de recours devant la Cour de justice de l’Union européenne. Qui empêchera des clients ou des producteurs et fournisseurs d’un autre État membre, lorsqu’ils voudront bénéficier des tarifs français, en théorie plus bas, de porter plainte pour discrimination en matière de tarifs ?

Qu’en pense le Gouvernement ? Qu’en pensez-vous monsieur le rapporteur ?

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