Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question qui nous est posée aujourd'hui a trait à l'aide aux producteurs de fruits et légumes, particulièrement éprouvés en 2004 sur la quasi-totalité de leurs productions. Cette question interpelle naturellement le Gouvernement sur ses intentions en matière d'aide aux producteurs, les décisions précédentes n'ayant eu que très peu d'effets.
La question s'élargit ensuite à la nécessaire réforme de l'Organisation commune de marché et à la mise en place d'un véritable dispositif de gestion de crise à l'échelon européen.
Malgré l'urgence de décisions efficaces, cette question est un round de préparation aux lois à venir ayant trait à la modification de la loi Galland, dans le cadre de la loi Jacob, ainsi qu'à la future loi d'orientation agricole. Disons qu'au mieux nous pouvons espérer l'amorce de l'esquisse de propositions à la fin de l'année 2005 ou au début de l'année 2006.
C'est une question qui intervient à un moment privilégié, dans la mesure où nous débattons actuellement du développement des territoires ruraux et où la notion de coefficient multiplicateur vient d'être adoptée par le Sénat.
Espérons d'ailleurs que cet amendement relatif au coefficient multiplicateur en cas de crise survivra à la commission mixte paritaire. Nous y serons très attentifs, mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, d'autant que M. le secrétaire d'Etat à l'agriculture, à l'alimentation, à la pêche et à la ruralité a affirmé que le dispositif du coefficient multiplicateur disparaîtrait de toute façon.
La crise que nous vivons touche toutes les régions de France, tout particulièrement les régions du sud de la France et du nord de la Bretagne - Côtes d'Armor, Finistère et Ille-et-Vilaine - où la récente crise du chou-fleur a montré, une fois de plus, les contradictions du système économique libéral en place.
Cette crise se distingue par son ampleur et sa durée. Selon l'INSEE, les prix des fruits et légumes en juillet 2004 étaient en recul de 26, 5 % par rapport à 2003. La perte pour les producteurs sur le plan national est estimée à 600 millions d'euros par an, et cette crise dure et s'accentue depuis plusieurs années.
Souvent mises en avant, les causes conjoncturelles des crises sont multiples et servent à cacher le vrai mal qui se situe dans les causes structurelles de l'organisation même du marché. L'abondance de l'offre, ou surproduction, et la faiblesse de la demande sont souvent évoquées pour masquer la réalité des importations abusives à bas prix et celle d'une France qui ne produit que 65 % de sa consommation.
La faiblesse de la demande a elle-même ses causes qui s'appellent baisse du pouvoir d'achat et défaut d'incitation des pouvoirs publics à la consommation de ces produits naturels.
Le défaut d'organisation des producteurs face à la grande distribution, lui aussi souvent évoqué, soulève le problème de la faiblesse des aides gouvernementales à l'Organisation commune de marché et son laxisme à l'égard des pratiques scandaleuses des grandes et moyennes surfaces, les GMS, et des centrales d'achat. Rappelons également que ces productions ne bénéficient pas des aides de la politique agricole commune.
A propos des aléas climatiques, les effets de ces derniers peuvent être contraires : à titre d'exemple, la douceur du climat breton a favorisé la production des choux-fleurs et avancé leur arrivée sur le marché ; le tout bien combiné avec des importations massives de choux-fleurs de Pologne, il en est résulté une belle crise !, le mauvais temps, le gel et la neige font parfois flamber les prix de produits difficiles à extraire du sol.
Cela pose en grand la nécessité d'avancer vite en matière d'assurance récolte et de calendriers d'importation, national, communautaire et extracommunautaire.
Les causes les plus profondes des crises sont purement structurelles.
Elles s'appellent : « Racket des GMS et pratiques mafieuses des marges arrière, rabais, ristournes, déréférencement ».
Elles s'appellent : « importations abusives et distorsions de concurrence intracommunautaire et extracommunautaire » en vue du dumping économique.
Elles s'appellent : « découplage des aides » dans la nouvelle PAC et permettent de produire autre chose que le produit pour lequel des primes sont perçues. Pourquoi ne pas produire des fruits et légumes en lieu et place des céréales ? C'est la « désorganisation organisée » du marché qui se met en place.
Parlons maintenant des effets dévastateurs de ces crises qui frappent avant tout des femmes, des hommes, des familles.
En région Provence-Alpes-Côte d'Azur, 250 producteurs sont au bord du dépôt de bilan, ce qui signifie la disparition de milliers d'exploitations sur le plan national et des dizaines de milliers de nouveaux chômeurs dont la reconversion est très compliquée. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, la spéculation foncière et immobilière s'en trouve stimulée.
La crise frappe durement les plus petits producteurs, mais elle n'épargne pas les entreprises maraîchères de taille respectable, plombées par leurs investissements.
La crise frappe aussi l'emploi des saisonniers dont le statut, déjà précaire, est peu enviable. Les emplois saisonniers sont également menacés à terme par la directive Bolkestein qui s'apprête à fournir légalement en France une main-d'oeuvre très bon marché, dépendant de la législation sociale de son pays d'origine.
La crise, ce sont aussi des économies régionales mises à mal, un affaiblissement de la biodiversité végétale par les standards imposés des GMS. Enfin, à terme, c'est l'indépendance alimentaire du pays qui est menacée.
Face à cette crise, le Gouvernement n'a pas eu grand-chose à mettre sur la table, préférant l'austérité budgétaire à toute autre considération qui serait pourtant vitale pour notre pays. Certes, 10 millions d'euros ont été dégagés, à la fin de l'été 2004, en aides directes de trésorerie, 50 millions d'euros en prêts de consolidation - à rembourser ultérieurement - et 10 millions d'euros à venir en direction de l' ONIFLHOR, le tout agrémenté par quelques mesures en faveur de la publicité hors des lieux de vente, l'utilisation des médias et des dispositions fiscales en direction des salariés.
Pour être objectif, il faut rapprocher ces dispositions des 600 millions d'euros de perte annuelle de la profession ou des 530 millions d'euros de cadeaux à la grande distribution et à la boucherie dans le cadre de la suppression de la taxe d'équarrissage.
Quant au grand coup de bluff de M. Sarkozy sur la baisse des prix à la consommation, les consommateurs ne l'ont pas ressentie. En revanche, les producteurs ont affiché une nette baisse de leurs prix. Il a été fréquemment constaté cet été que les fruits et légumes étaient nettement moins chers sur les marchés locaux que dans la grande distribution.
Les dispositions proposées et adoptées par le Gouvernement dans le cadre du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux ne suffiront pas si le dispositif du coefficient multiplicateur n'est pas validé. Je rappelle que ce dispositif présente un double avantage : d'un côté, en évitant les pratiques de marges abusives de la grande distribution, il tire vers le haut les prix à la production, ce qui permet aux producteurs, en particulier aux petits producteurs, d'afficher des prix rémunérateurs. De l'autre côté, il tire vers le bas les prix à la consommation en préservant ainsi le pouvoir d'achat des consommateurs.
Ce type d'indexation des prix d'achat aux producteurs et des prix aux consommateurs permet non seulement d'éviter les comportements prédateurs de la distribution, mais aussi de favoriser la transparence en matière de fixation des prix !
Nous savons bien que les prix à la consommation des fruits et légumes sont parfois trop élevés et créent des difficultés d'écoulement et des surproductions sur certains marchés. Mais, dans la majorité des cas, ce niveau trop élevé des prix est le résultat des ponctions opérées par la grande distribution, par le biais de marges abusives et par des importations à des prix bradés, véritables prix de dumping.
Dès lors, dans le contexte actuel de crise de la filière fruits et légumes, comment ne pas s'étonner de l'analyse menée par la commission Canivet, laquelle voit dans l'insuffisante baisse des prix des produits de grande consommation des obstacles à la libre concurrence ?
Ainsi, tout en prenant en compte la spécificité des produits agricoles, le rapport rejette les propositions du coefficient multiplicateur et des prix minima parce que contraires aux règles européennes.
Dans les cent trente pages du rapport, il n'y a pas un mot sur les conditions de travail et de rémunération des employés des grands magasins ni sur les milliers de petits paysans surexploités, qui n'arrivent pas à vivre de leur travail et qui sont de plus en plus acculés à la faillite. Faire abstraction de ces données et croire que l'on peut, grâce à la libre concurrence et donc à la suppression de la législation et de la réglementation actuelles, relancer la consommation au moyen de la baisse des prix est non seulement un leurre, mais également une grave erreur.
La remise en cause de la loi Galland, de la loi Raffarin et de la loi relative aux nouvelles régulations économiques mérite plus ample réflexion.
Certes, la loi Raffarin de 1996 n'a pas ralenti le rythme de disparition du petit commerce qu'elle était censée protéger et elle n'a pas freiné l'extension et la concentration des grandes enseignes. Entre autres facteurs explicatifs, la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat, la TACA, n'a-t-elle pas été détournée des objectifs pour lesquels elle avait été créée, à savoir l'aide au maintien du petit commerce ?
L'interdiction de revente à perte instituée par la loi Galland constitue, au final, un dispositif protecteur pour les fournisseurs, et c'est la raison pour laquelle les agriculteurs ont toujours protesté d'en être exclus.
Avec la suppression de ces lois, ce sont autant de dispositions comme les seuils de revente à perte, les obligations de transparence et de non-discrimination dans les relations entre fournisseurs et distributeurs, le gel administratif d'implantation de nouvelles surfaces de vente supérieure à 300 mètres carrés qui disparaîtraient.
Les propositions du Gouvernement qui ont été avancées dans le cadre du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux et celles qui sont notamment relatives aux dispositifs de sanction prévus en cas de pratique de prix abusivement bas ne sont-elles pas bien pâles et beaucoup moins protectrices face à l'interdiction de vente à perte qu'il aurait fallu étendre aux agriculteurs plutôt que la supprimer ?
Ce sont les centrales d'achat et les grandes et moyennes surfaces qui n'ont eu de cesse de contourner la législation, entraînant le développement des marges arrière qui représentent jusqu'à 30 % du prix officiel affiché sur les factures des fournisseurs, ce qui constitue au fond un véritable « racket organisé ».