Intervention de Yves Daudigny

Réunion du 14 juin 2011 à 21h45
Équilibre des finances publiques — Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle

Photo de Yves DaudignyYves Daudigny :

Quel sens donner à ce projet de loi constitutionnelle visant à inscrire dans notre loi fondamentale une règle obligeant la représentation nationale à respecter une trajectoire de rétablissement de l’équilibre des finances publiques ? Il s’agit en effet de retenir des principes s’opposant à toutes les décisions assumées par les gouvernements successifs et leur majorité depuis une mandature !

Le double langage, autrement dit l’écart entre la parole et les actes, serait-il l’essence même de l’action politique ? L’incapacité de traduire en actes responsables des principes énoncés dans les discours traduit-elle la facilité avec laquelle la classe politique, de décennie en décennie, céderait à la tentation de ne pas assumer les décisions difficiles ?

La Fédération française d’addictologie vient de se réunir à Paris. Comment ne pas établir un parallèle entre la démarche ici proposée et celle du joueur qui, incapable d’exercer sa propre volonté, demande à la société de lui interdire, en tout état de cause, l’accès au casino ? Or, on le sait, le seul moyen de vaincre véritablement les addictions est de cesser de chercher à échapper au travail de fond que la guérison requiert, fût-il inconfortable, déplaisant et dépourvu de bénéfice immédiat.

Les trois mesures phares que comporte ce projet de loi constitutionnelle ont été largement exposées : création de lois-cadres d’équilibre pluriannuelles des finances publiques, s’imposant dans certaines de leurs dispositions aux lois de finances et de financement ; monopole de celles-ci quant à l’ensemble des mesures fiscales, y compris en matière de fiscalité locale ; transmission au Parlement des projets de programme de stabilité.

J’insisterai pour ma part sur une quatrième mesure : elle est d’importance puisqu’elle conditionne l’application des trois premières. Il s’agit de la date d’entrée en vigueur de la réforme, prévue à l’article 13 du projet. Or, de date d’entrée en vigueur, il n’y en a pas ! Le soin de la fixer, en effet, est renvoyé à une loi organique à venir, dont nul ne sait quand elle interviendra…

Cette méthode n’est pas cohérente. Si, comme les ministres l’affirment, ce projet de loi constitutionnelle est absolument indispensable au rétablissement de l’équilibre de nos finances et de la crédibilité de notre pays, il faut s’empresser de le mettre en œuvre au plus tôt, c'est-à-dire dès 2012 !

En l’état, la « nouvelle ère budgétaire » que la réforme promet se réduirait au seul alinéa 20, nouveau, de l’article 34 de la Constitution, qui est d’application immédiate – sous réserve, bien sûr, que ce projet de loi constitutionnelle aboutisse, mais il n’est même pas sûr que vous souhaitiez le voir aboutir dans sa totalité… – donc à l’institution d’un monopole des lois financières, de nature à mettre un terme à une supposée dispersion des sources d’initiative, laquelle serait à l’origine de la ruine du budget de l’État.

Espérez-vous faire croire qu’il est indispensable, pour assurer l’équilibre des finances publiques, que le Parlement se saborde ?

En réalité, conférer un tel monopole aux lois financières aura à peu près autant d’effet sur l’équilibre des comptes publics qu’un cautère sur une jambe de bois ! Mais, de fait, toute initiative parlementaire sera rendue impossible et, à elle seule, cette disposition rend votre réforme inacceptable.

En l’état du droit et de la pratique, l’argument que vous avancez est doublement fallacieux. L’irrecevabilité financière prévue à l’article 40 de la Constitution et l’irrecevabilité sociale prévue par l’article LO 111-3 du code de la sécurité sociale, en interdisant toute réduction de recette et tout accroissement non gagé de dépense, limitent déjà fortement l’initiative parlementaire.

Par ailleurs, si le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 24 juillet 1991, a rejeté le principe d’un monopole accordé aux lois de finances, le jugeant contraire au droit d’amendement, un monopole existe déjà, dans le cas des lois de financement de la sécurité sociale, pour certaines dispositions fixées par les lois organiques de 1996 et de 2005 ; celui-ci n’a d’ailleurs pas empêché le mitage des ressources, dénoncé aujourd’hui par ceux-là mêmes qui en sont les adeptes…

Les faits confirment cette analyse : 85 % des dispositions ayant entraîné des pertes de recettes ont été votées en loi de finances ou de financement de la sécurité sociale, et la plupart n’étaient pas d’origine parlementaire.

En réalité, l’instauration d’un tel monopole au bénéfice des lois financières n’empêchera nullement un Gouvernement de continuer, comme l’ont fait ceux qui se sont succédé depuis dix ans, à amputer les recettes de l’État et de la sécurité sociale par des réformes coûteuses et sans contrepartie, quel que soit le véhicule législatif et au risque de multiplier les lois financières rectificatives.

J’en veux pour preuve la récente et soudaine annonce, en cours d’année budgétaire, d’une prime de 1 000 euros pour les salariés, que la plupart ne toucheront pas ou dont ils perdront l’équivalent par un ralentissement de leur progression salariale.

Faut-il rafraîchir la mémoire défaillante du Gouvernement ? L’adoption du « paquet fiscal » en 2007 s’est soldée pour l’État par une perte de recettes supérieure à 4 milliards d’euros. La baisse de la TVA dans le secteur de la restauration, adoptée de surcroît au détour d’un projet de loi sur le tourisme, s’est traduite part une perte de recettes de 3 milliards d’euros. La réforme de la taxe professionnelle, pour sa part, a coûté 7 milliards d’euros. Et toutes ces mesures furent financées par un recours toujours plus massif à l’endettement !

Faut-il aussi rappeler la politique de réduction systématique des ressources de la sécurité sociale ? « Tuyautages », « siphonnages » et multiplication des exonérations et des transferts d’assiette saignent un système qui, du coup, a évidemment tendance à beaucoup moins bien fonctionner.

Je citerai quelques illustrations récentes de cette méthode : ponction de 0, 2 % de CSG sur le Fonds de solidarité vieillesse en 2009 ; ponction sur la branche famille ; épuisement avant terme du Fonds de réserve des retraites en 2010 pour financer les transferts de dette à la CADES ; tentative de suppression pour supprimer, à travers l’article 21 du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, le principe de compensation des exonérations sociales ; transfert de charges de la branche vieillesse vers l’assurance chômage résultant de fait des mesures d’âge prises dans le cadre de la réforme des retraites.

C’est au point d’ailleurs que le Conseil constitutionnel a jugé nécessaire, dans sa décision du 10 novembre 2010 portant sur la loi organique relative à la gestion de la dette sociale, de rappeler au Gouvernement qu’il ne lui est pas possible de puiser dans les ressources destinées à la sécurité sociale pour financer le remboursement des dettes transférées à la CADES. Au bout du compte, cette réserve d’interprétation rendra nécessaire ce devant quoi vous reculez toujours : le recours aux prélèvements obligatoires.

La création, avec la loi-cadre d’équilibre des finances publiques, d’un nouvel outil juridique destiné à remplacer les lois de programmation des finances publiques, dont l’existence, pourtant, a été inscrite dans la Constitution seulement en 2008, suffira-t-elle à empêcher cette politique de gribouille ?

L’appréciation et la sanction du non-respect de l’objectif d’équilibre ne laissent pas susciter des interrogations sur le rôle que jouera le Conseil constitutionnel et sur la nature de son contrôle. En effet, sauf à l’ériger en comptable pointilleux, la question de l’opportunité des mesures qui lui seront soumises se posera nécessairement à lui. Or le Conseil constitutionnel n’est pas un conseil politique. C’est là une preuve supplémentaire, s’il en était besoin, que l’équilibre des finances publiques ne peut pas constituer un objectif en soi ; il est seulement l’outil indispensable à la réalisation d’un projet, que l’on cherche aujourd’hui en vain.

L’avantage d’un contrôle de l’équilibre exercé par le Conseil constitutionnel serait peut-être que celui-ci rappelle la nécessité préalable de la sincérité des comptes. À cet égard, on ne peut totalement se féliciter du respect de l’ONDAM, obtenu en réalité au prix d’un débasage dont la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie fait les frais.

La prise en compte de circonstances exceptionnelles montre encore les limites de l’exercice : la crise financière et économique de 2008, qui expliquerait tout, fait de toute manière « sauter le verrou ».

D’ailleurs, de quelle crise, parle-t-on ? Peut-être aurez-vous relevé comme moi la première phrase des trois rapports de nos collègues députés : celui de la commission des finances explique tout par la crise de 2008, celui des affaires sociales se réfère à 1983 et celui de la commission des lois remonte à 1975… Pourquoi ne pas aller jusqu’à 1850, lorsque Gustave Flaubert, dans son Dictionnaire des idées reçues, inscrivait en face du mot « budget » : « toujours en déficit » ?

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