C’est bien là que le bât blesse !
Seuls les traités internationaux adoptés dans des formes adéquates peuvent limiter, dans un cadre précis, la souveraineté nationale.
En l’occurrence, le traité de Lisbonne ne prévoit pas de budget triennal européen, et l’Europe ne dispose pas d’un instrument constitutionnel – le traité constitutionnel européen est mort-né en tant que tel.
Le projet qui nous est soumis ajoute donc, en quelque sorte, une « règle » au traité de Lisbonne – sans traité – pour limiter la souveraineté du peuple.
M. le rapporteur cite un exemple éclairant : la Grande-Bretagne s’était dotée en 1997 d’un code de stabilité budgétaire au cours du cycle 1997-2007 de dix ans. La crise a fait voler en éclat cet équilibre.
Peut-on imaginer, avec votre dispositif constitutionnel, que le Conseil constitutionnel – qui a compétence liée – annule une disposition prise par un gouvernement face à une crise ?
Peut-on sérieusement penser interdire à une majorité, par des lois-cadres de trois ans minimum – peut-être davantage –, d’adapter sa politique financière et fiscale aux conditions du moment ?
Est-ce le Conseil constitutionnel – organe non élu démocratiquement – qui va en décider ?
Peut-on sérieusement penser que, quand le peuple français change de majorité et de gouvernement parce qu’il désavoue les précédents, il va accepter que la « camisole financière européenne » empêche la nouvelle majorité de faire quoi que ce soit ?
C’est une atteinte grave à la volonté démocratique, et, comme par hasard, un an avant les échéances électorales qui pourraient faire changer la majorité…
On comprend l’intérêt des marchés financiers. C’est vrai pour la France, c’est vrai pour d’autres pays européens où les peuples pourraient rejeter les plans d’austérité.
C’est en quelque sorte une garantie contre un éventuel changement de politique, un moyen d’interdire que quiconque s’avise de faire payer les crises aux marchés financiers !
Un tel projet, d’ailleurs, se conçoit très bien dans la logique de l’harmonisation européenne ultralibérale dont le traité constitutionnel européen était l’instrument : inscrire dans le marbre constitutionnel la rentabilité du capital au détriment des dépenses utiles.
Mais vous n’y êtes pas tout à fait parvenus. Il n’y a pas de Constitution européenne qui s’impose aux États, et le traité de Lisbonne, même s’il reprend le contenu du traité constitutionnel européen, que le peuple français a rejeté, ne prévoit pas l’encadrement triennal des gouvernements.
Le caractère antidémocratique du projet qui nous est soumis n’échappe pas à certains membres de votre majorité. Notamment, il n’a pas échappé à M. le rapporteur de la commission des lois que le projet voté par l’Assemblée nationale n’était pas suffisamment respectueux des droits du Parlement.
Pis, on peut lire dans son rapport que « le Gouvernement et le Parlement abandonnent une part de leur liberté ». Il indique « les graves inconvénients [qui en résulteraient] pour la cohérence des travaux parlementaires et le droit d’initiative des députés et sénateurs… »
Nous ne pouvons que souscrire à ces propos, mais l’affaiblissement du Parlement en matière financière est déjà bien entamé par l’irrecevabilité financière, le monopole du Gouvernement, le vote de l’article d’équilibre avant la discussion des crédits, les lois de programmation des finances publiques, comme vous le dites vous-même, monsieur le rapporteur.
Nous partageons l’idée que le projet dont nous discutons va plus loin – c’est le but recherché – et entrave toute initiative du Gouvernement et du Parlement, toute réforme, toute action répondant à des nécessités.
Imaginez des émeutes sociales pendant lesquelles un gouvernement voudrait prendre des mesures d’urgence. Qui pourrait l’en empêcher ?
Monsieur le rapporteur, vous n’apportez pas de remède au mal annoncé.