Intervention de Laurent Béteille

Réunion du 1er avril 2008 à 16h00
Contrats de partenariat — Discussion d'un projet de loi

Photo de Laurent BéteilleLaurent Béteille, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat est donc saisi, en première lecture et en premier lieu, du présent projet de loi relatif aux contrats de partenariat.

Je rappelle qu'il s'agit de contrats par lesquels l'État, les collectivités territoriales ou leurs établissements publics confient à un tiers, pour une durée déterminée, une mission globale relative au financement d'ouvrages ou d'équipements ou de biens immatériels nécessaires au service public, à leur construction, à leur maintenance, à leur exploitation et, le cas échéant, à d'autres prestations de services concourant à l'exercice, par la personne publique, de la mission de service public dont elle est chargée.

Ce mode de dévolution de la commande publique a été utilisé avec succès depuis sa mise en place par le biais d'un certain nombre de textes, notamment l'ordonnance du 17 juin 2004. Pour autant, il n'a pas été employé dans une mesure importante. C'est pourquoi le Président de la République a souhaité que ce dispositif soit stimulé et qu'il trouve pleinement sa place dans la commande publique.

Sans remonter au canal du Midi, madame la ministre, je rappelle que des dispositifs analogues ont été créés en France dès 1987, avec la loi Chalandon, qui a autorisé la passation de contrats globaux pour la construction d'établissements pénitentiaires.

D'autres mécanismes ont été prévus : l'ordonnance du 4 septembre 2003 a ainsi permis la rénovation d'établissements hospitaliers et des textes adoptés en 2002 ont autorisé le recours à des marchés uniques pour la gestion d'établissements pénitentiaires et d'immeubles affectés à la police ou la gendarmerie nationales.

À l'étranger, un certain nombre de dispositifs ont eu beaucoup plus de succès que ceux qui ont été mis en oeuvre en France. Le private finance initiative britannique constitue un exemple assez remarquable. Représentant quelque 15 % de la commande publique au Royaume-Uni, il montre tout l'intérêt que peut avoir un tel dispositif dès lors qu'il n'est pas bridé.

C'est dans ce contexte qu'a été prise en France l'ordonnance du 17 juin 2004, dont l'objectif était de créer un outil qui puisse, dans certains cas, déroger aux règles habituelles des marchés publics : en permettant à une entreprise d'assurer à la fois la construction et l'exploitation d'un ouvrage, ce qui présente l'avantage de responsabiliser le constructeur par rapport à l'entretien ultérieur de la construction ; en transférant au partenaire privé la maîtrise d'ouvrage ; en prévoyant un versement au partenaire privé de loyers - ce terme n'est peut-être pas le meilleur - tout au long de l'exécution du contrat, alors que le code des marchés publics interdit, au contraire, toute clause de paiement différé.

L'ordonnance du 17 juin 2004 a été encadrée par une décision du Conseil constitutionnel qui a strictement défini les conditions de recours au contrat de partenariat. Le Conseil a considéré que cet outil, dérogatoire au droit commun de la commande publique, ne pouvait être mis en oeuvre que pour des motifs d'intérêt général tels que l'urgence ou la nécessité de tenir compte des caractéristiques techniques, fonctionnelles ou économiques d'un équipement ou d'un service déterminé. Aussi, l'ordonnance a prévu que les contrats de partenariat ne peuvent être conclus que dans deux cas seulement : l'urgence et la complexité.

Cette ordonnance de 2004 n'a pas rencontré le succès qu'on pouvait espérer. À ce jour, 29 contrats - 22 par des collectivités territoriales et 7 par l'État - ont été signés avec un partenaire privé. Ce chiffre est toutefois discutable, car il ne couvre que les contrats de partenariats prévus par l'ordonnance de 2004, alors que des dispositifs analogues ont permis de conclure d'autres types de PPP. Je citerai ainsi les baux emphytéotiques administratifs, les BEA, les baux emphytéotiques hospitaliers, les BEH, et les autorisations d'occupation temporaire-locations avec option d'achat, les AOT-LOA, qui ont été évoqués par Mme la ministre tout à l'heure.

Ce chiffre de 29 contrats est certes modeste. Pour autant, ces contrats de partenariat concernent des secteurs assez divers comme les établissements pénitentiaires, la fourniture d'énergie, l'éclairage public de communes - notamment de petites communes -, les déchets, la culture et l'informatisation. Les montants sont très variables, allant d'environ 2 millions d'euros pour l'éclairage public d'Auvers-sur-Oise à 765 millions d'euros pour le grand stade de Lille, dont le contrat a été conclu par la communauté urbaine de Lille.

On est en droit de s'interroger sur ce recours encore timide aux contrats de partenariat. En fait, il s'explique par des critères d'ouverture restrictifs et par un régime juridique et fiscal moins attractif que celui qui s'applique aux marchés publics

C'est pourquoi nous sommes amenés à examiner ce projet de loi relatif aux contrats de partenariat.

Premièrement, il élargit les conditions de recours à ces contrats. En effet, en dehors des cas de l'urgence et de la complexité, un contrat de partenariat pourrait désormais être conclu lorsque le bilan des avantages et des inconvénients apparaît plus favorable que celui d'autres contrats de la commande publique. Pourquoi se priver de la possibilité de conclure un contrat plus favorable ? Un tel contrat pourrait également conclu pour répondre aux nécessités de certains secteurs de l'action publique jugés prioritaires tels que l'enseignement supérieur, les implantations du ministère de la défense et les infrastructures de transport s'inscrivant dans un projet de développement durable ou la rénovation urbaine. Le projet de loi apporte toutefois un double tempérament, qui renforce le côté dérogatoire de ce type de contrat : cette voie d'accès n'est ouverte que jusqu'au 31 décembre 2012 et le rapport d'évaluation ne doit pas être « manifestement défavorable » au recours au contrat de partenariat.

Deuxièmement, le projet de loi cherche à établir une neutralité fiscale : conclure un contrat de partenariat ne doit pas conduire à se voir pénalisé par une fiscalité plus lourde que celle qui est applicable aux autres modes de commande publique.

Troisièmement, le projet de loi permet la dispense d'assurance dommages ouvrage.

Quatrièmement, il prévoit un certain nombre d'assouplissements du régime juridique des contrats de partenariat.

Il s'agit, d'abord, de la possibilité de conclure un contrat de partenariat sous la forme d'une procédure négociée, alors qu'actuellement il ne peut être lancé que sous la forme du dialogue compétitif, pour les projets complexes, et de l'appel d'offres, s'agissant des projets urgents. Cette troisième procédure offerte pour la conclusion de ces contrats est plus souple.

Il s'agit, ensuite, de l'instauration d'une prime de droit que percevront les candidats dès lors que, à raison de la complexité du projet, les demandes de la personne publique impliquent un « investissement significatif » de la part de ces candidats.

Cinquièmement, le projet de loi apporte un certain nombre de clarifications qui permettent d'améliorer la sécurité juridique.

Il s'agit, tout d'abord, de la possibilité d'exploiter le domaine de la personne publique. Le texte prévoit de prendre en compte les ressources complémentaires issues de l'exploitation du domaine pour répondre à d'autres besoins que ceux de la personne publique. Cette mesure vise à conférer une base légale à une pratique largement répandue et qui est l'un des principaux atouts de la formule du contrat de partenariat car elle permet au partenaire privé de rechercher des solutions d'optimisation de l'espace alloué par la personne publique.

Il s'agit, ensuite, de l'éligibilité aux subventions, qui constitue une avancée permettant de ne pas pénaliser ce type de commande publique.

Il s'agit, enfin, de la sécurisation du mécanisme de cession de créance.

Mes chers collègues, la commission des lois vous propose d'approuver les grandes orientations du projet de loi, dont la préparation a fait l'objet d'une consultation exemplaire des acteurs publics et privés de la commande publique. À cet égard, je salue la mission pour l'appui à la réalisation des contrats de partenariat, qui a été une instance de travail et d'écoute particulièrement efficace et féconde.

Il ne s'agit donc pas de remettre en cause l'équilibre du texte qui nous est soumis et ses dispositions qui nous paraissent extrêmement favorables. Pour autant, un certain nombre d'améliorations vous seront proposées, à la fois sur la forme, avec des amendements rédactionnels, de précision ou de coordination, et sur le fond.

La première piste d'amélioration consiste à préciser les conditions de recours aux contrats de partenariat. En premier lieu, la commission suggère de faire référence à une situation imprévisible, et non pas imprévue, pour définir le critère de l'urgence. En effet, une administration ne peut pas se prévaloir de ne pas avoir anticipé un problème pour arguer de l'urgence par la suite. En deuxième lieu, il est proposé d'encadrer davantage le recours sectoriel aux contrats de partenariat. En troisième lieu, la commission souhaite étendre à la réduction des émissions de gaz à effet de serre des bâtiments publics la liste des secteurs prioritaires.

La deuxième piste a trait aux possibilités d'exploiter le domaine privé de la personne publique, que nous avons déjà évoquées précédemment. Il s'agit d'élargir les opportunités de recettes complémentaires au-delà de la durée du contrat de partenariat.

La troisième piste revient à supprimer le dispositif de cession de créance spécifique aux contrats de partenariat et aux BEH. Comme j'ai pu le constater au cours des auditions auxquelles la commission a procédé, ce dispositif n'a pratiquement pas été utilisé, à une exception près. En effet, les partenaires publics et privés ont eu quasi systématiquement recours à la « cession Dailly », mécanisme bien connu et rôdé, qui a fait l'objet d'une jurisprudence désormais établie : il apporte, nous semble-t-il, une garantie juridique supérieure à celle du dispositif, certes intéressant, mais inutilement compliqué, prévu par le projet de loi.

C'est pourquoi la commission des lois a décidé de supprimer cette cession de créance spécifique, tout en reconnaissant l'intérêt que présente la possibilité de prévoir directement dans le contrat toutes les modalités de financement du projet, permettant ainsi à l'État de poser des conditions et garanties. Un dispositif inutilisé ne nous paraît pas devoir être maintenu.

De même, la commission des lois n'a pas été convaincue par l'instauration de la dispense d'assurance dommages ouvrage. Cette garantie peut parfois rendre service. Il convient de la maintenir. En outre, dans un certain nombre de cas, la dispense pourrait aboutir à des distorsions de concurrence.

Au-delà de ces dispositions juridiques, j'espère que ce contrat de partenariat pourra, à l'avenir, représenter une part significative de la commande publique, comme dans d'autres pays qui l'ont expérimenté avec succès. Mais il faut souligner qu'une politique ambitieuse de suivi et d'accompagnement sera nécessaire.

La capacité d'expertise des décideurs publics doit être renforcée, et cela vaut pour les contrats de partenariat, mais aussi pour toute forme de commande publique. Il faut insister, en particulier, sur la méthodologie des rapports d'évaluation, qui doivent faire apparaître les avantages attendus du recours à tel ou tel type de commande publique, qu'il s'agisse notamment du coût global du projet, des délais de réalisation prévisionnels ou de la qualité architecturale.

Il est également nécessaire d'évaluer les atouts du contrat de partenariat, sans complaisance, en mesurant bien ses effets, notamment en termes de réduction des délais. Ce contrat de partenariat peut permettre de réduire les délais de construction si on ne lui met pas trop de bâtons dans les roues. Il peut également permettre de réduire les coûts, à condition d'être attentifs à la méthodologie.

Ce type de commande publique permet d'obtenir de la part du constructeur qu'il ait une vision à long terme, et non pas immédiate, de la réalisation d'un ouvrage ou d'un équipement. D'habitude, le constructeur ne s'occupe pas de la manière dont l'ouvrage va vieillir au-delà d'une dizaine d'années. Effectuer l'entretien- dans certains cas, les bâtiments doivent même être chauffés et mis en état de fonctionnement - oblige à choisir les meilleures solutions, celles qui sont les plus innovantes et les plus performantes en matière de maintenance.

Enfin, un troisième point me semble devoir être travaillé, madame la ministre : il faudra que nous ayons un jour un véritable code de la commande publique, à la fois simplifié et rationalisé, de manière, d'une part, à clarifier le partage entre les dispositions législatives et réglementaires et, d'autre part, à harmoniser les procédures applicables entre les différentes formes de PPP elles-mêmes et entre ces dernières et les marchés publics.

Mes chers collègues, sous le bénéfice de ces observations et sous réserve de l'adoption des amendements qu'elle vous soumettra, la commission des lois vous propose de voter le projet de loi relatif aux contrats de partenariat.

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