Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, vous vous en souvenez très certainement, nous avons combattu la réforme constitutionnelle. Nous la considérions en bien des points antidémocratique et taillée sur mesure pour le nouveau Président de la République.
Le Gouvernement nous avait alors rétorqué que nous nous trompions et que cette réforme renforcerait au contraire les pouvoirs du Parlement. Le débat ne fut pas simple et de nombreux sénateurs et députés, au-delà des clivages politiques d’ailleurs, s'y opposèrent. Malgré tout, à quelques marchandages politiques près, la réforme fut votée, mais de si peu, de si peu !...
À la suite de ce débat qui fut difficile pour la majorité, nous aurions attendu du Gouvernement qu’il cherche à réaffirmer la légitimité de cette révision constitutionnelle et nous soumette en priorité les mesures phares de cette réforme : l'organisation du référendum abrogatif ; la liste des emplois pour lesquels le pouvoir de nomination du Président de la République est soumis à un avis préalable ; l'organisation de la délibération des projets de loi ; le droit d'amendement et l'exception d'inconstitutionnalité ; la pétition permettant la saisine du conseil économique, social et environnemental ; les compétences du défenseur des droits des citoyens. Or il n'en est rien !
Les deux premiers projets de loi relatifs à l'application de la réforme constitutionnelle ne sont qu'une basse manœuvre d'opportunisme politique au service du Gouvernement. Débattus avec beaucoup de discrétion et de hâte, ils doivent être efficients dès le prochain remaniement ministériel, qui s'annonce, il faut le dire, de plus en plus proche.
Le projet de loi organique que nous examinons vise à permettre aux ministres, en cas de démission, de retrouver leur siège de parlementaire sans se soumettre à nouveau au suffrage universel, comme c'était le cas depuis 1958 !
L'hypothèse d'un remaniement du Gouvernement dès janvier prochain explique sans aucun doute le dépôt en urgence de cette loi organique. Elle pourrait en effet profiter aux vingt-six ministres, dont le premier d’entre eux, détenteurs d’un mandat d’élu national.
Prouesse remarquable que cette construction juridique : non seulement prévue pour les députés ou les sénateurs qui deviendront ministres après le vote de la loi organique – ce que proposait le « comité Balladur » – cette disposition serait immédiatement applicable puisque cette loi bénéficierait d'un effet rétroactif ! La rétroactivité n’est habituellement pas tolérée car considérée comme anticonstitutionnelle, sauf exceptions de la plus haute importance... C’est sans doute le cas !
Mais quid des suppléants alors ? Seront-ils considérés comme des « sous-élus », des « faire-valoir » ? Ces parlementaires sont arrivés sous le régime d'une règle qui sera changée en cours de législature. Ils n'auront guère leur mot à dire si le ministre sortant désire regagner son siège.
Comment, et au nom de quel principe constitutionnel et démocratique, peut-on légitimer cette disposition ? La question reste sans réponse... En réalité, le Gouvernement se sert de la loi pour régler ses petites affaires personnelles au sein de sa propre famille politique, car le Président de la République veut éviter la fronde au sein de son parti et parmi des députés de la majorité. Ces derniers l'ont bien compris, et certains n'hésitent pas à le dire publiquement. Ainsi, selon votre collègue député UMP Jacques Myard, ce retour quasi automatique des ministres au Parlement consiste à « mettre les députés dans la main du Président de la République ». Un autre de vos confrères député, Jean-Pierre Grand, n'hésite pas à décrire cette réforme comme « la porte ouverte à l'instabilité gouvernementale en période de difficultés ». À ses yeux, « ce sera fatalement ressenti par l'opinion publique comme la mise en place par notre assemblée d'un « parachute politique doré » ».