M. Cahuzac est le président – socialiste – de la commission des finances de l'Assemblée nationale, un homme de grande qualité, au verbe tonique.
Nous avons eu avec lui des débats vertueux qui ont permis d'éclairer l'Assemblée nationale afin de lui permettre de se prononcer en connaissance de cause. Mais, que je sache, il ne s’engage pas pleinement aux côtés du Gouvernement à chacun de ses votes… Ou alors cela m'aurait échappé ! Car nous avons eu des désaccords manifestes, la semaine dernière, lors des jours et des nuits – qui se sont même prolongées jusqu’à sept heures du matin ! – passés dans l’hémicycle de l’assemblée à débattre de la réforme fiscale, dont nous discuterons au Sénat dans quelques jours.
Sur la question de l’initiative parlementaire, nous avons trouvé à l'Assemblée nationale un point d'équilibre, qui convient à toutes les commissions, notamment à la commission des lois et à la commission des finances. Ce point d'équilibre est inspiré d'un article de la Constitution qui permet au président de l’assemblée concernée ou au Gouvernement d’opposer l’irrecevabilité d’un amendement qui ne relève pas du domaine de la loi, c'est-à-dire qui est de nature réglementaire. On doit à la vérité de dire que cet article n’a été que rarement utilisé. De mémoire, je parle sous le contrôle du président Hyest, il ne l’a été qu’une seule fois, sous le gouvernement Raffarin lors de la grande réforme des retraites.
Je me souviens que nous avions passé des jours et des nuits à discuter de ce sujet. Le développement des nouvelles technologies avait rendu possible le dépôt de dizaines de milliers d'amendements. Le président de l’Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, avait saisi le Conseil constitutionnel pour faire déclarer irrecevables un très grand nombre d'amendements inutiles, qui relevaient simplement de la flibusterie parlementaire traditionnelle.
Puisque nous avons réussi à trouver avec l'Assemblée nationale un point d'équilibre acceptable, alors que les débats ont été de même nature et de même intensité qu’ici et tout aussi respectables, je ne vois pas pourquoi il n’en irait pas de même avec le Sénat.
Monsieur Hyest, je tiens à saluer votre implication dans la défense légitime des intérêts de la commission des lois, particulièrement en matière constitutionnelle. Vous avez proposé une formule de compromis, à laquelle semble s’être rallié le rapporteur général de la commission des finances. Je respecte votre position, mais le Gouvernement ne peut être favorable à votre amendement, et ce pour plusieurs raisons.
Vous proposez d’instituer un rendez-vous qui, certes, correspond à notre souhait d’attribuer aux textes financiers un monopole ou une exclusivité de l’examen des mesures fiscales ou sociales, mais qui, en réalité, nous en éloignera grandement. En effet, si l’on prend le cas de figure de textes qui seraient votés, sous votre impulsion, en janvier ou en février, ils ne pourront entrer en vigueur que quatre mois plus tard, lors de l’adoption d’un texte financier.
Imaginez un instant, mesdames, messieurs les sénateurs, l'instabilité juridique, fiscale, voire sociale, engendrée par un tel dispositif ! Une telle disposition contribue-t-elle vraiment au renforcement du travail parlementaire ? Je ne le crois pas. D’autant que ce véritable trou noir de quatre mois accentuera les difficultés que nous avons justement en matière fiscale à créer un environnement durable et stable.
Vous voulez renforcer le travail parlementaire et veiller au droit d’initiative. L'histoire récente le montre, le Gouvernement a désormais un rendez-vous avec le Parlement au mois de juin pour examiner un projet de loi de finances rectificative ou un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Nous sommes actuellement en plein dans cette période. Si nous devions être dans l'obligation de rédiger des textes pour valider ou non des dispositions votées quelques mois auparavant, je ne suis pas certain que le travail parlementaire en serait renforcé.
Quant au sous-amendement présenté par M. Emorine, il supprime le seul élément qui allait le sens du monopole, c'est-à-dire le délai de quatre mois au-delà duquel les dispositions devenaient caduques. Il faut être clair, il n'y aurait alors plus d'exclusivité des dispositifs de nature fiscale ou sociale dans les lois de finances. Je vois bien à leur mine réjouie que certains le souhaitent, y compris au sein de la majorité. Mais nous ne pouvons être d’accord avec une telle proposition, car – je le répète – nous devons poursuivre la mise en place de normes supplémentaires contraignantes.
Permettez-moi de vous faire remarquer, mesdames, messieurs les sénateurs, que si vous avez l’impression que ces contraintes vous visent, elles s’imposent en réalité d'abord et avant tout au Gouvernement puisque l'essentiel ou, en tout cas, une proportion exorbitante – 80 %, 90 %, voire 95 % – des dispositifs de nature fiscale est d’origine gouvernementale.
Ces contraintes s’imposeront donc au Gouvernement actuel et naturellement à ses successeurs puisqu’il y aura à l’avenir d'autres gouvernements, comme il y aura certainement d'autres présidents de commissions. C'est ainsi, la roue tourne…
Ce qui nous rassemble aujourd'hui, c’est la situation de nos finances publiques : elle exige que, dans l’intérêt général, nous soyons d’accord sur les trois objectifs à poursuivre en commun.
Il s’agit de fixer trois éléments : d’abord, un cadre lisible, triennal, avec des rencontres régulières pour suivre la trajectoire de réduction des déficits et atteindre l'équilibre ; ensuite, un rendez-vous au printemps pour discuter des économies envisageables pour atteindre nos objectifs en termes de déficits publics, ce qui renforcerait le rôle du Parlement ; et une méthode, car c'est bien de cela qu’il s’agit, qui confère une exclusivité aux textes financiers pour l’examen des mesures de nature fiscale.
Notre idée n’est pas d’accorder un monopole pour se débarrasser de telle ou telle proposition en toutes circonstances, mais simplement de renvoyer à l’examen des textes financiers – en juin ou à l’automne – les dispositions fiscales qu’un parlementaire aura toujours la possibilité de faire figurer dans les propositions de loi qu’il déposera.
Est-ce vraiment si grave ? Au regard de la situation de l’Europe et des finances publiques de notre pays, une telle proposition est-elle si éloignée de la conception que l’on peut se faire de l’initiative parlementaire ?
Voilà le sens de la révision de la loi fondamentale que nous proposons. À ce stade du débat, autant acter que nous sommes en désaccord. Nous reviendrons devant l'Assemblée nationale pour rediscuter de ce texte, mais le Gouvernement ne s'éloignera pas de sa position. Nous devrons de toute façon, sous une forme ou sous une autre, trouver des modalités de consensus. Nous y sommes parvenus à l'Assemblée nationale, nous devrions pouvoir y parvenir au Sénat. Mesdames, messieurs les sénateurs, j'entends votre message, je l’interprète plutôt comme un appel à un dialogue interne. Je fais confiance à votre honorable assemblée pour, après encore quelques journées de travail et de réflexion commune, trouver, le moment venu, les modalités d’un accord.
En toute logique, le Gouvernement émet un avis défavorable sur l'amendement n° 61.
Sur l'amendement n° 1 rectifié, je précise que je suis favorable à la disposition concernant les lois-cadres, qui ne pose pas de difficultés, mais défavorable à celle qui porte sur le monopole ou l’exclusivité des textes financiers. Je me permets d’ailleurs de vous indiquer que celle-ci menace de façon sous-jacente l’équilibre global des pouvoirs entre le Gouvernement et le Parlement : le Parlement est dépendant de la date de dépôt des projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale pour l'entrée en vigueur des dispositions fiscales. Avec cet amendement, la situation serait inversée et l’on s’éloignerait de l'esprit général du rôle de l'exécutif dans la préparation des textes financiers.
Le Gouvernement est également défavorable à l’amendement n° 7 rectifié, porté par M. Vasselle et défendu par Mme Dini. En revanche, il est favorable à l'amendement n° 29, notamment sur la nouvelle formulation concernant le plancher de mesures nouvelles.
Pour finir, il est défavorable aux amendements n° 41 et 74, 58, 62 rectifié, 59, 51 rectifié, 60, 52 et 53. Emporté par mon élan, j’allais dévoiler que nous sommes également défavorables à l'amendement n° 36, ce qui est ainsi fait !