Monsieur le ministre, en refusant jusqu’à l’amendement de la commission des lois qui tentait de remédier à un défaut du projet que nous considérons majeur, à savoir son irrecevabilité, vous avez particulièrement éclairé le problème que pose votre projet de loi.
Un projet de loi constitutionnelle peut, lui aussi, dans certaines circonstances, faire l’objet d’une irrecevabilité. Je le dis à ceux qui n’en seraient pas convaincus. Cela pose un énorme problème. Vos propos, monsieur le ministre, le confirment.
D’abord, le projet s’assoit sur le principe d’annualité budgétaire, qui est tout de même un principe issu de pratiques anciennes. C’est pour moi un motif de surprise ; mais c’est aussi, sans doute, un motif d’irrecevabilité.
Pis, vous vous asseyez sur ce qui fonde la légitimité du Parlement, de la majorité parlementaire et du Gouvernement qui en est issu, c’est-à-dire la volonté populaire.
En effet, votre projet tend à instituer, non de simples lois de programmation, mais de véritables lois-cadres, ayant donc une valeur supérieure aux lois, y compris aux lois de finances. Vous considérez par conséquent qu’il est possible de déterminer des règles contraignantes sur une période qui pourrait excéder la législature issue d’un choix populaire. Cela me paraît irrecevable.
Le peuple décide ; il élit des majorités censées répondre à la volonté populaire qu’il exprime et qui déterminent la composition des gouvernements. Il est donc impossible que le Parlement, non seulement aliène sa liberté, mais s’assoie en quelque sorte sur sa légitimité. On se retrouverait dans une situation où un changement de majorité, et donc de gouvernement, n’aurait aucune incidence parce qu’il aurait précédemment été décidé que, pendant une période donnée, on ne peut rien changer au cadre budgétaire. Cela me paraît irrecevable. Telle n’est pas, en effet, la mission des parlementaires.
Peut-être faudrait-il d’ailleurs consulter le peuple pour savoir s’il est d’accord avec le fait que des parlementaires puissent ainsi se débarrasser de la légitimité qui est la leur, c’est-à-dire la légitimité populaire.
En outre, s’agissant des collectivités locales, que vous voulez faire passer sous les fourches caudines de ces lois concernant les prélèvements fiscaux et sociaux, se pose également un gros problème : comment accepter qu’une assemblée élue localement, et qui tire donc, elle aussi, sa légitimité d’une élection, renonce à sa liberté et à la représentativité qu’elle tient du peuple du fait d’une loi, décidée par une autre majorité, qui encadre son action ?
La commission des lois, et notamment son président, ont essayé de pallier, tant bien que mal, ce redoutable inconvénient. Or, monsieur le ministre, vous nous expliquez que vous ne voulez pas d’un tel aménagement !
Je le répète, j’estime que, sur ce point, votre projet est totalement irrecevable. Il serait grave que des parlementaires s’aliènent de la sorte. Ce point doit absolument être tranché.