Intervention de Christian Cointat

Réunion du 15 juin 2011 à 22h15
Nouvelle-calédonie — Discussion en procédure accélérée et adoption d'un projet de loi organique dans le texte de la commission modifié

Photo de Christian CointatChristian Cointat, rapporteur :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les accords de Matignon, puis de Nouméa, ont apporté à la Nouvelle-Calédonie une stabilité institutionnelle qui lui permet de construire son avenir avec confiance.

Ces accords mettent en avant une idée force, le « rééquilibrage ». Ce rééquilibrage comporte de multiples facettes, puisqu’il concerne aussi bien l’économique que le social, le culturel ou le politique. C’est la raison pour laquelle, sur ce dernier point, l’accord de Nouméa prévoit que l’exécutif de la Nouvelle-Calédonie est constitué par un gouvernement collégial, élu par le congrès et responsable devant lui. Ce gouvernement est collégial pour que toutes les composantes représentatives du congrès soient conduites à travailler ensemble.

Lors d’une mission en Nouvelle-Calédonie menée en septembre 2010 au nom de la commission des lois, notre excellent collègue Bernard Frimat et moi-même avons pu observer que cette organisation institutionnelle permettait effectivement au territoire de mettre en œuvre avec efficacité les transferts de compétences, ainsi que le rééquilibrage entre le Nord et le Sud.

La collégialité, qui renvoie au « consensus océanien » –pour reprendre une formule utilisée par l’un de nos interlocuteurs de Nouvelle-Calédonie –, est un principe fondateur de l’équilibre défini par l’accord de Nouméa. Aussi la loi organique a-t-elle précisé les conséquences de la démission des membres du gouvernement, au-delà du dispositif classique et démocratique permettant au congrès de renverser le gouvernement par l’adoption d’une motion de censure à la majorité absolue de ses membres.

L’article 121 de la loi organique du 19 mars 1999 prévoit en effet que, lorsqu’un membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie démissionne, « le candidat suivant de la liste sur laquelle il a été élu le remplace ». S’il n’existe pas de suivant de liste, le gouvernement, dans son ensemble, est démissionnaire de plein droit, car la collégialité n’est plus assurée, et un nouveau gouvernement doit être élu dans un délai de quinze jours.

Or, force est de constater que cette disposition a été détournée de son esprit ces derniers mois, avec pour conséquence une crise institutionnelle, commencée en février 2011.

C’est pourquoi, confronté à une impasse, alors que, pour la troisième fois en six semaines, la démission de l’ensemble des membres d’une liste avait provoqué la démission de plein droit du gouvernement calédonien, le congrès a adopté, le 1er avril 2011, une résolution demandant « au Gouvernement de la République de proposer au Parlement, dans les meilleurs délais possibles, une modification de l’article 121 de la loi organique susvisée du 19 mars 1999 visant à encadrer et à limiter la possibilité de provoquer la démission du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie par démission de l’un ou plusieurs de ses membres ». C’est ce qui nous conduit à légiférer aujourd’hui, le Gouvernement ayant donné suite à cette demande en déposant un projet de loi organique.

Votre rapporteur a souhaité s’assurer, par différentes auditions, que la modification envisagée par ce texte rassemblait un large accord et respectait le mieux possible l’esprit de l’accord de Nouméa. Tel est le cas pour l’essentiel.

Pour mieux comprendre l’origine de la crise institutionnelle, il convient de rappeler que le point 1.5 de l’accord de Nouméa prévoit que « des signes identitaires du pays, nom, drapeau, hymne, devise, graphismes des billets de banque, devront être recherchés en commun, pour exprimer l’identité kanak et le futur partagé entre tous ». Si la devise, l’hymne et le graphisme des billets ont pu être choisis sans trop de difficultés, la question du drapeau fut beaucoup plus épineuse. Aussi notre collègue député Pierre Frogier, président de la province Sud et président du Rassemblement-UMP, a-t-il proposé, au début du mois de février 2010, d’associer le drapeau tricolore au drapeau du FLNKS.

Reprenant cette idée, le Comité des signataires de l’accord de Nouméa, lors de sa réunion du 24 juin 2010, a recommandé que le drapeau tricolore et celui du FLNKS flottent côte à côte en Nouvelle-Calédonie, « dans la perspective des prochains jeux du Pacifique et dans l’esprit de la poignée de main entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou ». Je précise que, à l’occasion de l’un de mes passages en Nouvelle-Calédonie, Pierre Frogier m’a montré une photographie où Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur se serrent effectivement la main, chacun tenant le drapeau correspondant à sa vision des choses.

Lors de sa visite en Nouvelle-Calédonie, le Premier ministre, M. François Fillon, a assisté à la levée des deux drapeaux dans l’enceinte du haut-commissariat de la République, le 17 juillet 2010.

Toutefois, les deux drapeaux qui flottent désormais au fronton des édifices publics ne font pas l’unanimité au sein de la classe politique calédonienne ; il faut en être conscient. Certains élus considèrent en effet que cette solution ne répond pas à l’objectif d’un drapeau commun tel que prescrit par l’accord de Nouméa.

En janvier 2011, des élus de l’Union calédonienne ont reproché au président du gouvernement de l’époque de ne pas être d’accord avec le choix des deux drapeaux comme emblème de la Nouvelle-Calédonie. Ils considéraient qu’il portait une responsabilité dans l’absence du drapeau du FLNKS au côté du drapeau tricolore au-dessus des édifices publics de trois communes de la province Sud.

Le 17 février 2011, les trois membres du gouvernement élus sur la liste présentée par le groupe UC-FLNKS, ainsi que l’ensemble des suivants de cette liste, ont démissionné, provoquant la chute du gouvernement et le début de la crise. En effet, les représentants du groupe Calédonie Ensemble ont ensuite décidé de procéder à des démissions collectives à répétition, après chaque élection d’un nouveau gouvernement, pour le faire chuter systématiquement, dans le dessein « de bloquer les institutions afin d’obtenir un décret de dissolution du congrès pour susciter de nouvelles élections », comme l’indique l’étude d’impact jointe au projet de loi organique.

La situation est ainsi devenue très préoccupante, d’autant que les importants transferts de compétences qui restent à réaliser dans des délais relativement brefs exigent que les prérogatives du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ne soient pas limitées à l’expédition des affaires courantes.

Les institutions de la Nouvelle-Calédonie connaissent donc un véritable blocage, dans tous les sens du terme, car il est évidemment exclu de porter atteinte aux principes de consensus et de pluralité politique qui fondent l’équilibre institutionnel défini par l’accord de Nouméa, préservent les droits des minorités et assurent la participation des loyalistes et des indépendantistes au gouvernement.

Ainsi, la démission de plein droit du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, telle que la prévoit l’article 121 de la loi organique, permet, comme l’a rappelé Mme la ministre, à un groupe minoritaire au sein du congrès de faire démissionner l’exécutif, par dérogation à la règle de majorité prévue pour l’adoption d’une motion de censure par l’article 95 de la même loi.

La coexistence, dans le statut de la Nouvelle-Calédonie, de deux procédures aussi différentes pour renverser le gouvernement – à savoir la démission d’une liste ou l’adoption d’une motion de censure – n’est nullement incohérente. La première se fonde sur l’obligation de respect de la collégialité au sein du gouvernement, la seconde sur le fonctionnement démocratique du congrès.

Il s’agit de deux concepts différents, mais complémentaires et non concurrentiels. Cette approche originale montre que seule une atteinte au fondement même de la collégialité peut justifier le recours à la démission de l’ensemble des membres d’une liste pour faire chuter le gouvernement. Dans tous les autres cas, la motion de censure s’impose, car elle s’inscrit dans le respect des normes démocratiques.

Avant février 2011, ce mécanisme de démission collective a déjà été appliqué, mais de manière sporadique, ne remettant pas en cause l’esprit de l’accord de Nouméa : le gouvernement de M. Pierre Frogier est tombé en 2002 après la démission des élus du parti de l’Union calédonienne, qui dénonçaient les difficultés de mise en œuvre de la collégialité ; le premier gouvernement de Mme Marie-Noëlle Thémereau a été renversé en juin 2004, sur l’initiative du Rassemblement-UMP ; quant au gouvernement de M. Harold Martin, il est tombé, en 2007, après la démission collective des élus de la liste unique indépendantiste.

C’est donc pour la première fois, cette année, que le mécanisme de la démission de plein droit a été utilisé par un groupe politique de façon répétée et totalement indépendante de difficultés liées à l’exercice de la collégialité, afin d’empêcher le fonctionnement normal des institutions calédoniennes et de créer ainsi les conditions d’une dissolution du congrès. Il s’agit d’un détournement manifeste de la procédure définie à l’article 121 de la loi organique, qui ne correspond nullement à l’esprit de l’accord de Nouméa ni à la volonté exprimée par le législateur organique, car on ne peut lire l’article 121 indépendamment de l’article 95, relatif à la motion de censure, ou de l’article 110, portant sur la désignation du gouvernement.

Certes, une lecture littérale du texte n’interdit pas explicitement de telles pratiques – je rejoins sur ce point l’analyse de Mme la ministre. Toutefois, ainsi que je l’ai rappelé précédemment, l’article relatif à la motion de censure n’aurait aucun sens si la minorité, pour des raisons purement politiques, étrangères au fonctionnement de la collégialité, pouvait, par simple démission, renverser le gouvernement. De telles pratiques ne pouvaient être envisagées, par simple respect de la démocratie. Si la collégialité protège la minorité, les règles démocratiques garantissent, elles, le fait majoritaire.

Cette analyse rend donc souhaitable non seulement une modification, mais aussi une clarification de l’article 121, pour que le mécanisme qui vise à assurer une représentation équilibrée des forces politiques du congrès demeure compatible avec la stabilité gouvernementale comme avec les principes fondamentaux de la démocratie.

Le projet de loi organique qui nous est soumis réécrit donc l’article 121 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, afin de maintenir la possibilité, pour un groupe politique, de démissionner du gouvernement, tout en empêchant que des démissions collectives répétées ne fassent obstacle à l’exercice par l’exécutif de ses prérogatives.

Aussi l’article 1er du projet de loi organique prévoit-il que si les membres d’une liste démissionnent collectivement et provoquent ainsi la démission de plein droit du gouvernement, ce dispositif ne peut plus être mis en œuvre pendant un délai de dix-huit mois. Pendant ce délai, toute nouvelle démission qui ne pourrait être compensée par l’arrivée au gouvernement des suivants de liste des membres démissionnaires n’entraînerait donc pas la démission d’office du gouvernement.

Afin de préserver la participation des différentes forces politiques calédoniennes au gouvernement, l’article 1er du projet de loi organique permet aux groupes démissionnaires qui auraient perdu leur représentation au sein de l’exécutif de la rétablir, malgré l’absence d’élection d’un nouveau gouvernement pendant au moins dix-huit mois.

À cette fin, le groupe qui ne serait plus représenté au gouvernement pourrait déposer à tout moment une nouvelle liste de candidats et rétablir sa participation. S’il ne faisait pas usage de cette faculté, le gouvernement serait de toute façon réputé complet, dans la mesure où le nombre de postes vacants reste minoritaire. Ainsi, le Gouvernement entend respecter le principe de collégialité prévu par l’accord de Nouméa et donne toute possibilité à chaque courant politique d’être représenté, même si ses représentants démissionnent.

La commission des lois approuve largement le dispositif proposé par le Gouvernement, car il concilie l’encadrement du mécanisme permettant à un groupe minoritaire au congrès de provoquer la chute du gouvernement et la garantie d’une représentation de la minorité au sein du gouvernement calédonien.

Toutefois, madame la ministre, il ne faudrait pas que ces dispositions visant à limiter les abus n’altèrent quelque peu l’esprit de l’accord de Nouméa. Il serait inopportun que le mécanisme proposé puisse apparaître, en définitive, comme une « incitation à la débauche » – je vous prie d’excuser la trivialité de cette expression –, en ouvrant tous les dix-huit mois un « droit de tirage » sur la démission du gouvernement. Cela reviendrait à dénaturer l’essence même de l’article 121, ainsi que sa cohérence avec l’article 95 relatif à la motion de censure.

La commission des lois a donc adopté un amendement de clarification pour bien préciser, afin d’éviter toute équivoque, que le recours à la démission simultanée des membres d’une liste ne peut intervenir que dans le cadre d’une atteinte au principe de collégialité, car la voie normale, pour « renverser » un gouvernement, ne peut qu’être – et se doit de rester – la motion de censure.

Cette modification permet, en outre, d’inscrire explicitement dans la loi organique l’objectif initial de la procédure de démission de plein droit du gouvernement, tel qu’il a été confirmé à votre rapporteur par plusieurs signataires de l’accord de Nouméa.

Cependant, pour éviter toute imprécision juridique dans les termes retenus, la commission des lois a déposé un amendement de modification de son propre texte, pour insister, en définitive, sur l’obligation de motivation de toute démission collective, à la lumière de la lecture conjointe des articles 95 et 121 qui viennent d’être rappelés.

La commission des lois a également adopté un amendement de précision, afin de lever une ambiguïté quant à la procédure permettant à un groupe de rétablir sa participation au gouvernement. Il importe, en effet, d’indiquer clairement que la liste présentée par le groupe ayant démissionné est réputée adoptée à l’issue des contrôles de légalité.

Avec ces quelques aménagements, la commission des lois vous invite, mes chers collègues, à approuver ce projet de loi organique, pour que ce beau pays qu’est la Nouvelle-Calédonie puisse enfin fonctionner normalement !

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