Intervention de Bernard Frimat

Réunion du 15 juin 2011 à 22h15
Nouvelle-calédonie — Discussion en procédure accélérée et adoption d'un projet de loi organique dans le texte de la commission modifié, amendements 3 8

Photo de Bernard FrimatBernard Frimat :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, sur ce sujet difficile, il ne faut jamais oublier de rappeler le contexte historique. Bien qu’enseignant les sciences économiques, j’avais coutume de dire à mes étudiants que s’ils ne connaissaient pas l’histoire, ils ne pourraient rien comprendre.

En l’occurrence, d’où vient-on ? M. Cointat faisait allusion, à l’instant, à la mission que nous avons menée ensemble en Nouvelle-Calédonie, en septembre 2010. Je tiens à évoquer, en présence de Simon Loueckhote, la visite que nous avons effectuée à Ouvéa à cette occasion, pour y déposer, au nom du Sénat, deux gerbes, l’une à la gendarmerie, en présence des représentants kanaks de la commune, l’autre au pied du monument à la mémoire des victimes kanaks des événements de 1988. Il s’agissait, de part et d’autre, de jeunes hommes qui avaient leur vie à construire mais ont trouvé la mort, à Ouvéa, dans des circonstances qui les dépassaient. Par ce geste de paix, nous avions le sentiment de représenter la République dans ce qu’elle a de plus généreux.

La Nouvelle-Calédonie a cette caractéristique d’être, au Sénat, notre bien commun – j’utilise ce terme à dessein –, que nous siégions à droite ou à gauche de cet hémicycle. On ne peut évoquer la Nouvelle-Calédonie sans rappeler le rôle joué par les Premiers ministres Michel Rocard et Lionel Jospin dans les accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa, ou celui qu’a tenu notre ancien collègue Louis Le Pensec.

Voilà d’où l’on vient. Les hommes ont su dépasser leurs divergences, leurs oppositions, pour essayer de construire un destin commun, un destin de paix. Les difficultés étaient pourtant nombreuses et les différences importantes, par exemple entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur.

Je sais gré aux différents gouvernements qui ont succédé à celui de Lionel Jospin et que j’ai pourtant, sur nombre d’autres sujets, combattus avec la plus grande détermination, d’avoir tenu le cap s'agissant de la Nouvelle-Calédonie, d’avoir été fermes sur le gel du corps électoral, sur le respect des transferts de compétences, d’avoir su procéder, récemment, à des aménagements des articles 21 et 23 de la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, tout en restant fidèles à l’esprit des accords. Ils ont considéré qu’il y avait là un trésor à conserver pour la République. C’est grâce à cette fidélité que nous pouvons trouver un point d’accord.

Nous savons donc d’où l’on vient, mais où va-t-on ? La période 2014-2018 est marquée par une interrogation : une fois les transferts de compétences achevés, en 2014, procèdera-t-on à des transferts de compétences régaliennes, se dirigera-t-on ou non vers l’indépendance ? Quelle voie les Calédoniens choisiront-ils, par le biais du référendum, pour construire leur avenir ? Ce débat est devant nous : personne ne peut le préempter, ni le trancher d’avance ; il appartient d’abord aux Calédoniens de le mener.

Nous sentons bien que plus on se rapproche de cette échéance, plus l’enjeu pèse sur les comportements. À mon sens, cela explique pour partie l’instabilité récente constatée en Nouvelle-Calédonie, ce détournement de procédure – appelons les choses par leur nom – consistant à utiliser la démission de membres du gouvernement pour renverser ce dernier, qui a la particularité d’être collégial. Mais c’est bien ce principe de collégialité du gouvernement qui a permis de maintenir l’accord entre les différentes parties, en évitant qu’une majorité puisse écraser une minorité.

À l’issue des dernières élections au congrès de la Nouvelle-Calédonie, une alliance s’est nouée entre le Rassemblement-UMP, Avenir ensemble et Calédonie ensemble, donnant lieu à une répartition des postes de pouvoir. Or nous constatons aujourd'hui que, sans que le peuple ait été consulté, un changement d’alliances est survenu de facto : les présidences du congrès, du gouvernement et de la province Sud sont désormais assurées respectivement par un membre de l’Union calédonienne, un membre d’Avenir ensemble et M. Pierre Frogier, du Rassemblement-UMP. Le déclenchement de la crise, provoqué par la démission collective des élus de la liste Union calédonienne pour renverser le gouvernement Gomès, relève de la même logique. Un gouvernement a été élu la semaine dernière : on voit bien que la répartition des portefeuilles amène à s’interroger sur la réalité de la collégialité. Or si les Calédoniens ne parviennent pas à faire vivre une réelle collégialité, les difficultés réapparaîtront bientôt. Des désaccords politiques fondamentaux ne peuvent pas être réglés par une solution institutionnelle.

Le groupe socialiste soutiendra la position de la commission des lois. L’article 121 de la loi organique du 19 mars 1999 ne saurait devenir une machine à renverser les gouvernements, au prix d’une instabilité permanente.

Nous appuyons l’idée d’instaurer une période de latence, durant laquelle les membres du gouvernement démissionnaires auraient la possibilité de retrouver leur siège, sans qu’il soit besoin de procéder à une nouvelle élection par le congrès. Ce moyen de limiter l’instabilité pourrait certes être lui-même détourné de sa fin si telle est la volonté des différents acteurs, mais il s’agit néanmoins d’une démarche pragmatique.

Nous approuvons également les légères amodiations apportées par la commission des lois, qui nous paraissent s’inscrire parfaitement dans l’esprit de l’accord de Nouméa. En particulier, la rédaction proposée au travers de l’amendement n° 3, visant à préciser que, pour provoquer la démission de plein droit du gouvernement, la démission collective des membres d’une liste devra être « motivée », me semble meilleure que celle qu’avait adoptée la commission le 8 juin dernier, faisant référence à une démission « en cas d’atteinte au principe de collégialité ». Cette dernière formulation était en effet plus déclaratoire que normative.

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