Intervention de Claude Domeizel

Réunion du 20 juin 2006 à 21h45
Protection de l'enfance — Article 4

Photo de Claude DomeizelClaude Domeizel :

Mon intervention consistera en fait en un commentaire sur l'ensemble du titre II.

L'intitulé de ce titre, qui fait référence aux « liens entre protection sociale et protection judiciaire de l'enfance », est tout à fait évocateur.

Dans l'exposé des motifs de votre projet de loi, monsieur le ministre, il est question d' « évaluation des risques de danger pour l'enfant » et d' « articulation entre la protection sociale et la protection judiciaire de l'enfance » ; par ailleurs, il est indiqué qu'il faut « faire en sorte que le parcours de vie » de l'enfant « ne soit pas chaotique ».

Je partage votre point de vue, monsieur le ministre, car notre justice - je dis « notre » parce que c'est nous qui votons la loi - n'est pas toujours adaptée aux enfants.

Lors de nos débats en commission, j'avais illustré ce propos par deux exemples. Je n'en exposerai ici qu'un seul, celui du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes.

Je dois tout d'abord préciser que l'inscription à ce fichier est automatique, en fonction non pas de la peine infligée, mais de la peine encourue.

La première conséquence de cette inscription est l'obligation de se présenter une ou deux fois par an à la gendarmerie ou à la police pour confirmer son domicile, cela pendant vingt ou trente années.

En outre, il me paraît indispensable de souligner que le fichier peut être consulté par les autorités judiciaires, la police et la gendarmerie, mais aussi par les préfets et les administrations de l'État désignées par décret.

Cela signifie qu'un jeune inscrit à ce fichier pourra se voir refuser l'accès à certaines professions, telles que celles d'animateur, d'enseignant, de médecin.

Or les mineurs ne peuvent pas être traités de la même façon que les personnes majeures. Ne perdons pas de vue que l'enfance et l'adolescence sont des périodes difficiles, sensibles pour le mineur en pleine construction physique et psychologique.

Certes, les débordements des mineurs doivent être punis, mais l'inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes entraîne des conséquences préjudiciables pour le présent et l'avenir des jeunes concernés.

Pour chaque individu, la période de l'enfance et de l'adolescence est marquée par la découverte de la sexualité, avec tous les questionnements qu'elle engendre, par le début de l'approche du partenaire.

Cette approche peut se faire de façon maladroite et parfois excessive, pour s'affirmer, peut-être pour prouver son orientation sexuelle, ou pour masquer inhibitions ou timidité. Peut-on imaginer que, pour des actes maladroits, certes répréhensibles, le mineur soit inscrit sur un tel fichier, soit contrôlé, surveillé, suspecté pendant vingt ou trente ans ?

Il est évident que l'obligation de signaler sa résidence une à deux fois par an peut avoir de très lourdes conséquences, pour l'enfant comme pour sa famille, car elle enfonce l'enfant dans la culpabilité. Cette formule va à l'encontre de toute construction de l'enfant sur le plan psychologique, alors qu'une sanction a déjà été prise.

Il est également évident que ces contraintes n'ont aucune valeur éducative. L'inscription sur ce fichier, d'une part, et l'éducation, d'autre part, sont totalement contradictoires.

Imaginez un homme adulte contraint de se signaler pour des faits qui se sont déroulés dans une cour de collège ou une classe, alors qu'il avait treize ou quatorze ans et se trouvait en pleine crise d'adolescence. Cela ne peut que provoquer mise à l'écart, colère et révolte, sentiment d'injustice, interrogations et méfiance quant au sens des relations sexuelles, interrogations et méfiance à l'égard de la société en général.

Cela étant, en cas d'acte grave, nous ne nous opposons pas à l'inscription des mineurs audit fichier. Je présenterai néanmoins un amendement tendant à la limiter, à seule fin de protéger l'enfant.

Mes collègues du groupe socialiste et moi-même nous considérons qu'une telle disposition a tout à fait sa place dans le texte que nous examinons aujourd'hui. Elle permettra que des enfants ne soient pas gagnés par une culpabilisation à long terme. Appliquer une telle peine à des mineurs est tout simplement cruel.

Défendre les droits de l'enfant, c'est aussi protéger ce dernier des excès de nos choix politiques qui, au lieu de l'aider à s'en sortir, risquent de le maintenir à long terme dans l'échec. Comme l'a exposé à plusieurs reprises notre collègue Claire-Lise Campion, quand on parle de protection de l'enfance, le maître mot est l'éducation.

Pour conclure mon propos, je livre à votre réflexion, monsieur le ministre, mes chers collègues, une interrogation qui est toujours, consciemment ou non, présente à l'esprit des enseignants, mais qui vaut aussi pour le monde de la justice, pour nous législateur, pour vous, monsieur le ministre, et pour tous les parents : l'éducateur doit-il être un potier ou un jardinier ? Elle a toute sa place dans notre discussion, alors que nous abordons l'examen du titre II de ce projet de loi.

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