Intervention de Jacqueline Alquier

Réunion du 9 avril 2008 à 15h00
Lutte contre les discriminations — Discussion générale

Photo de Jacqueline AlquierJacqueline Alquier :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui a pour objet de mettre en conformité le droit français avec le droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Il s’agit de transposer la directive mettant en œuvre le principe de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes en matière de fourniture de biens et services et d’accès à ceux-ci, ainsi que de compléter la transposition déjà opérée, mais estimée insuffisante par la Commission européenne, de trois directives relatives à l’égalité de traitement.

Cela étant, une nouvelle fois, c’est dans l’urgence et sans véritable concertation avec les associations, en particulier les syndicats, que nous devons travailler. C’est visiblement le mode de fonctionnement de ce gouvernement, qui, depuis qu’il est au pouvoir, fait passer tous les textes importants en urgence, empile des lois qui ne s’appliquent finalement pas faute des moyens ou des décrets nécessaires.

Cela ne nous convient pas. Nous travaillons dans l’urgence, donc, et sous la pression de l’Europe. En effet, il aura fallu pas moins de trois procédures d’action en manquement lancées par la Commission européenne à l’encontre de la France pour aboutir enfin à l’examen de ce projet de loi. C’est dire l’empressement du Gouvernement et sa volonté d’agir dans ce domaine !

Pourtant, la situation montre qu’il reste bien du chemin à parcourir pour que l’égalité de traitement entre dans les mœurs et n’ait plus besoin de faire l’objet de lois, règlements ou conventions.

Je citerai quelques chiffres à cet égard.

La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité a enregistré 6 222 réclamations en 2007, contre 4 058 l’année précédente, soit une progression de plus de 50 %.

L’emploi est le premier domaine concerné, avec plus de la moitié des réclamations, devant le fonctionnement des services publics, l’accès aux biens et services privés, le logement et l’éducation.

L’origine est le critère de discrimination le plus souvent évoqué, suivi de près par la santé et le handicap. L’âge est l’un des premiers critères retenus en matière d’embauche. Alors comment faire quand le Gouvernement nous oblige à travailler plus, plus longtemps, pour gagner plus, mais aussi pour avoir droit à nos retraites ? Les entreprises veulent des salariés jeunes !

Une enquête du Bureau international du travail sur « les discriminations à partir de “l’origine” dans les embauches en France » effectuée par testing montre que seulement 10 % des employeurs ont respecté tout au long du processus de recrutement une égalité de traitement entre les candidats. Dans plus de 85 % des cas, la discrimination intervient avant même que le postulant ait pu obtenir un entretien.

Globalement, la HALDE dénonce le défaut d’accords anti-discrimination dans les entreprises. Elle constate que, dans 76 % des cas, l’action de l’employeur se limite à une information des salariés, et que 8 % seulement des employeurs associent les syndicats à une politique d’égalité des chances, ce qui est particulièrement décevant alors que l’accord interprofessionnel sur la diversité de 2006 avait fait l’unanimité.

Par ailleurs, les testings réalisés dans le secteur du logement ont révélé une forte prégnance des pratiques discriminatoires de la part des agences immobilières, 38 % des victimes ne parlant pas des discriminations qu’elles peuvent subir. On peut s’étonner de la persistance de ces comportements dans nos sociétés modernes.

En Europe, les situations sont très différentes d’un État à l’autre, mais force est de constater que la France ne fait pas vraiment figure d’exemple !

Pourquoi une telle résistance alors que les dispositions auxquelles on nous demande de nous adapter, depuis 2005 pour certaines d’entre elles, vont plutôt dans le sens d’une meilleure protection de nos concitoyens ?

On sent là encore l’existence d’une mauvaise volonté, celle-là même que le Gouvernement met à publier le décret relatif au CV anonyme alors que la disposition législative correspondante a été votée en 2006, à donner les moyens d’application à la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, à faire appliquer celle du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations ou celle du 23 mars 2006 concernant l’égalité salariale entre les femmes et les hommes.

En effet, des textes, il y en a eu de nombreux depuis celui, fondateur, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, qui affirme, rappelons-le, que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » !

Si, en ce domaine, l’Union européenne s’est engagée depuis l’année 2000 de manière plus prononcée dans des actions en faveur de l’égalité de traitement, qui se traduisent dans les directives, alors la France doit réagir et se donner les moyens d’être un État moteur dans la lutte contre les discriminations, et non l’État qu’il faut rappeler à l’ordre et qui « traîne les pieds ».

C’est pourquoi l’occasion était belle de faire le point sur notre politique en matière de discriminations, de chercher à comprendre pourquoi la situation reste aussi préoccupante alors que nous nous sommes dotés d’outils, de réfléchir à ce problème de société, reflet d’un état d’esprit et de pratiques encore bien peu sanctionnés, en un mot d’avoir un véritable débat et non cette transposition a minima, dans l’urgence, presque en catimini.

Il s’agit d’une transcription a minima, donc, mais qui n’est pas sans soulever des difficultés, tant sur la forme que sur le fond !

En effet, si, à première vue, le texte semble se conformer aux exigences européennes, il présente cependant des insuffisances, voire une remise en cause d’une partie de notre droit du travail. Ce projet de loi a d’abord été mal rédigé : à l’Assemblée nationale, la rapporteur a dû présenter de nombreux amendements pour l’améliorer. Ensuite, il est imprécis et ne correspond pas toujours à ce que les directives prévoient. Si l’on veut transcrire a minima, autant transcrire au plus près des directives !

Un premier problème tient à ce que ce texte nous semble ajouter de la complexité et de la confusion au droit existant. Il aurait été souhaitable qu’un travail d’harmonisation donne de la cohérence à un ensemble dans lequel persisteront des critères différents entre, par exemple, le code pénal et le code du travail.

Nous pouvons reprendre, à cet égard, l’illustration donnée par M. Louis Schweitzer, président de la HALDE, lors de son audition devant la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Il a cité l’apparence physique, qui constitue un motif de discrimination prohibé par le droit français, mais non par les directives européennes. Estimant qu’un effort d’harmonisation et de codification aurait été le bienvenu, il a déploré la complexité d’un système dans lequel les règles applicables varieraient en fonction du motif de la discrimination, au risque de dérouter les justiciables.

Ce texte, en raison sans doute d’une rédaction trop rapide, ne précise pas certaines notions juridiques dans les différents codes auxquels il renvoie et omet d’intégrer certaines avancées de la directive dans le code pénal. Ainsi, certaines définitions continueront à coexister dans notre droit, ce qui entraînera diverses possibilités d’interprétation.

Ce projet de loi donne le sentiment d’avoir été élaboré uniquement pour rattraper un retard dérangeant en matière de transposition de directives à la veille de la prochaine présidence française de l’Union européenne, et non pour définir un droit lisible et accessible, dans l’intérêt des victimes.

Le deuxième problème majeur est que ce texte reste en deçà des exigences européennes.

En effet, il « oublie » d’ouvrir aux associations de lutte contre les discriminations la possibilité d’agir auprès des tribunaux si la victime est un agent de la fonction publique. C’est pourtant une exigence expresse posée par la directive. Nous souhaitons que l’accord qui s’est dégagé sur ce point au sein de la commission des affaires sociales soit pris en compte par le Gouvernement.

Si, à la demande des victimes, les associations peuvent agir au pénal ou devant les conseils de prud’hommes, elles ne peuvent toujours pas le faire devant la justice administrative. Cette lacune de la législation française a été soulignée explicitement, mais rien dans le texte ne vient y remédier.

Le troisième problème est que, dans certains domaines, le présent projet de loi va au contraire au-delà des exigences européennes et introduit des régressions inadmissibles, sous couvert de la transposition des directives.

Il est pourtant bien clair que la mise en œuvre des directives ne peut « en aucun cas constituer un motif d’abaissement du niveau de protection contre la discrimination déjà accordé par les États membres ». Or, dans ses articles 2 et 8, le projet de loi transpose un certain nombre de limitations nouvelles au principe d’égalité de traitement. Pourtant, notre droit du travail limite strictement les dérogations au principe d’égalité en matière d’embauche. Il est plus protecteur que les normes minimales retenues dans les directives.

En outre, l’article 2 tend à permettre la ségrégation sexuelle à l’école. Jamais la Commission européenne n’a demandé à la France, qui pratique la mixité depuis longtemps, de transposer cette disposition qui ouvre une faille risquant d’être exploitée par les communautaristes, les intégristes et les réactionnaires les plus misogynes !

De la même façon, les deux définitions de la discrimination données par les deux directives n’ont pas été synthétisées. On a ainsi séparé les discriminations liées à l’origine et à la race, d’un côté, et les autres discriminations, de l’autre. Le champ d’application des premières est large, puisqu’il couvre tous les domaines de la vie courante, alors que celui des secondes se restreint aux domaines de l’emploi et du travail.

S’agit-il d’une précipitation irréfléchie ou d’une volonté de mettre en concurrence les victimes ? Le résultat est là : on introduit une hiérarchie dans les discriminations !

À l’article 3, l’ajout de la notion « de bonne foi » au texte protégeant d’actes de représailles les personnes ayant témoigné en justice en réduit la portée et risque d’induire des contentieux portant sur cette notion plutôt que sur les faits.

Le projet de loi prévoit également d’autoriser les différences de traitement dans le contenu des médias et de la publicité, considérés comme des exceptions en matière de fourniture de biens et de services et d’accès à ceux-ci. Or il nous semble que c’est souvent bien là que les stéréotypes culturels relatifs à l’image de la femme sont relayés, stéréotypes qui constituent un frein important à l’évolution des femmes, notamment en matière professionnelle.

Ainsi ce texte laisse la plupart d’entre nous insatisfaits, et ce au-delà même des clivages politiques.

La rapporteur du projet de loi pour la commission des affaires sociales, Mme Dini, nous a fait part des difficultés de fond qu’il soulève : amalgame entre inégalité de traitement et discrimination, insécurité juridique.

Les recommandations faites par la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes vont également dans le sens de nos réserves en ce qui concerne la nécessité de renforcer la cohérence des régimes juridiques, d’améliorer l’application concrète des lois existantes ou d’abroger les dispositions précitées qui nous font régresser dans un domaine où, déjà, bien du retard s’est accumulé.

Nous présenterons donc des amendements visant à pallier les lacunes et insuffisances de ce texte, à lui donner plus de cohérence, à en retirer ce qui ne nous paraît pas aller dans le bon sens.

Nous abordons ces débats dans l’idée qu’une transposition plus satisfaisante des directives est possible ; nous espérons y contribuer par le biais de nos propositions. Il va sans dire que notre vote tiendra compte du sort qui sera réservé à nos amendements.

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