Intervention de Annie David

Réunion du 9 avril 2008 à 15h00
Lutte contre les discriminations — Discussion générale

Photo de Annie DavidAnnie David :

… elles connaissent parfaitement l’inégalité de traitement !

Aussi, doit-on parler de discrimination, d’inégalité de traitement ? C’est sur ce point, madame Dini, que je ne pourrai vous suivre : pour moi, la cause est bien la discrimination, et le résultat l’inégalité de traitement !

Ce débat aurait pu être aussi l’occasion de présenter un bilan de l’application des textes existants en matière d’emploi. La persistance manifeste des inégalités, notamment professionnelles et salariales, entre les femmes et les hommes devrait inciter le Gouvernement à ne pas borner son ambition au perfectionnement de l’arsenal juridique de lutte contre les discriminations déjà existant, mais à s’attacher dorénavant à en améliorer l’application concrète. C’est d’ailleurs l’objet de l’une des recommandations que Mme Hummel a formulées au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, recommandation que j’ai votée.

La liste des discriminations possibles est malheureusement bien longue, d’autant plus longue que l’État lui-même participe à ce mouvement discriminatoire.

Je pense par exemple au maintien de la non-équivalence pour certains diplômes de médecine, d’ailleurs dénoncé par la HALDE, situation à laquelle le Gouvernement a refusé de mettre un terme durant l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, alors que nous en faisions la proposition.

Je pense encore au droit de vote pour les résidents extracommunautaires. Elles, ils sont des milliers, régulièrement installés en France, à être exclus du processus démocratique. Ils participent, dans les associations de quartier ou de parents d’élèves, dans les organisations politiques et syndicales, à la démocratie locale, à l’enrichissement des idées et des projets, mais lorsqu’il s’agit de se doter de l’exécutif local et du projet municipal pour les appliquer, on leur retire tout droit ! Je me souviens pourtant avoir entendu un candidat à l’élection présidentielle se déclarer favorable au droit de vote pour les étrangers. Ce même candidat affirmait : « Je dis ce que je fais, et je fais ce que je dis. » Voilà encore une promesse que, une fois élu, il aura bien vite oubliée !

Les situations que je viens de décrire ne sont pas issues de mon imagination, d’autres avant moi s’y sont d’ailleurs référés : elles se retrouvent dans les résultats d’une enquête menée en France de fin 2005 à mi-2006 sous l’égide du Bureau international du travail et de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, qui a mis au jour ce que nous savions déjà mais dont la dimension devrait tous nous alerter.

Les conclusions de cette enquête, remises en mars 2007, nous apprennent que « près de quatre fois sur cinq, un candidat à l’embauche d’origine hexagonale ancienne sera préféré à un candidat d’origine maghrébine ou noire ». Cette étude publique a suscité la rédaction commune de recommandations par la HALDE et le Bureau international du travail, dont on peut regretter qu’elles n’aient pas toutes été suivies par le Gouvernement.

La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité a par ailleurs reçu, en 2006, plus de 4 000 réclamations. Le chiffre est important, mais sans doute en deçà de la réalité. Comment pourrait-il en être autrement, quand on sait l’ambiance qui règne dans certaines entreprises, mais également dans la fonction publique ? Comment pourrait-il en être autrement, quand l’existence de la HALDE est trop souvent méconnue, quand les missions, les compétences, les moyens et l’organisation de cette autorité sont insuffisants pour qu’elle puisse répondre aux attentes ?

Ainsi, on découvre dans le rapport remis par la HALDE pour l’année 2006 que 35 % des réclamations étaient fondées sur des motifs liés à l’origine du requérant, près de 16 % sur son état de santé, 6 % sur son âge, 5 % sur son sexe, 3 % sur son activité syndicale. On le voit, le champ des discriminations est large ! Il est important et évolutif, du fait de l’émergence de nouvelles formes de discrimination ou de l’expansion de plus anciennes, comme celles qui sont liées au harcèlement au travail. Cette évolution a d’ailleurs été remarquée par M. Louis Schweitzer, président de la HALDE, qui constate « l’importance des réclamations portant sur le harcèlement au travail » et précise que ce dernier « est pratiqué par l’employeur, ou bien par les collègues des salariés ».

Pour autant, et malgré la reconnaissance – unanime dans cette enceinte, je dois le souligner – dont jouit la HALDE, le projet de loi ne répond pas aux recommandations que celle-ci a émises à son sujet !

Puisque les discriminations évoluent, il semble clair que notre législation doit en faire autant. Tel n’est pas suffisamment le cas avec ce texte, nul ici ne peut le nier, et les actions lancées par la Commission européenne à l’encontre de la France sont là pour nous le rappeler : deux mises en demeure, un avis motivé, un ultimatum pour la mi-août. Mme Dini, dans son rapport, en fait état : « À trois mois de la présidence française de l’Union, le texte vise donc avant tout, de l’aveu même du Gouvernement, à mettre la France à l’abri de ces procédures judiciaires. »

Si je veux bien admettre que, en soi, cet objectif n’est pas contestable, il ne peut être le seul. Au regard de la transposition, dont chacun s’accorde à dire qu’elle est minimaliste et manque d’ambition, cet argument est à mes yeux irrecevable : le projet de loi est la conséquence de l’ultimatum européen plus que d’une réelle volonté de faire avancer la lutte contre toutes les discriminations.

Par ailleurs, lorsque je vous ai interrogée en commission, madame la secrétaire d’État, sur le caractère quelque peu précipité de cette transposition, vous avez répondu que la France voulait éviter d’être une nouvelle fois sanctionnée, et ce d’autant plus qu’elle s’apprête à assurer la présidence de l’Union européenne. Il faut donc sauvegarder les apparences d’une France qui répond aux exigences européennes.

Peu importe si les transpositions ont huit ans de retard : ce qui compte, c’est que le jour « J », le jour où tous les regards seront braqués sur la France, nous soyons à jour de cette transposition.

Peu importe alors si les associations, les organisations syndicales, n’ont pas été consultées.

Peu importe si les représentants de celles et ceux qui subissent au quotidien les discriminations n’ont pas été associés. Ils auraient pourtant pu apporter aux rédacteurs du projet de loi un peu du vécu des milliers de nos concitoyennes et concitoyens pour qui la discrimination est non pas un vain mot, mais une souffrance au quotidien. Je crois sincèrement que, si l’on avait procédé ainsi, le texte qui nous est présenté aujourd’hui n’en aurait été que meilleur.

Peu importe si les dispositions de ce projet de transposition ne sont pas codifiées et viennent se superposer aux textes existants. On passe ainsi outre à une autre des recommandations de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, qui « déplore que le dispositif proposé par le projet de loi risque d’ajouter à la complexité du droit français dans un domaine où il est pourtant indispensable que le droit puisse être bien compris par les justiciables. Elle invite donc le Gouvernement à améliorer la cohérence des régimes juridiques applicables et, notamment, à rechercher une meilleure harmonisation des différents critères de discrimination utilisés dans le droit français, qu’ils soient ou non issus du droit européen. »

Dans ces conditions, je fais miens les propos de Mme Hummel : même si la solution retenue par le Gouvernement constitue sans doute la voie la plus rapide et la plus prudente, j’estime que des progrès restent à accomplir pour rendre le dispositif de lutte contre les discriminations plus accessible et plus compréhensible par les victimes de celles-ci.

Que ce soit en raison de l’urgence ou à cause du manque de concertation, force est de constater que le Gouvernement se cantonne à une transposition qui se veut stricte, mais ne l’est même pas toujours. En effet, si je veux bien admettre, là encore, l’argument selon lequel vous avez voulu transposer la directive en des termes identiques, pourquoi, alors, avoir refusé de transposer dans son intégralité la définition européenne du harcèlement sexuel ? Cet exemple, que je déplore d’ailleurs, est la preuve que « transposition » ne signifie pas « stricte reproduction » de la directive européenne !

Les gouvernements nationaux, vous le savez bien, disposent d’une certaine latitude pour modifier le texte initial. Je rappelle à ce propos les termes du premier alinéa de l’article 6 de la directive 2000/43 : « Les États membres peuvent adopter ou maintenir des dispositions plus favorables à la protection du principe de l'égalité de traitement que celles prévues dans la présente directive. » On peut donc faire mieux !

Qui plus est, quelques mois nous séparant encore de la date d’échéance pour la transposition de la dernière directive, vous auriez pu mettre ce délai à profit pour enrichir votre projet de loi. Vous auriez pu, par exemple, réfléchir au renforcement de la HALDE par l’extension de ses missions, par l’augmentation de ses ressources, ou encore par l’établissement d’un représentant dans chacune des régions. Je regrette à ce propos que la commission des finances ait invoqué l’article 40 de la Constitution contre un amendement que j’avais déposé et qui visait à créer des délégations régionales de la HALDE. Je ne pourrai donc pas le défendre tout à l’heure, ce que je déplore vivement.

Rien non plus ne figure dans le projet de loi sur la question des négociations triennales obligatoires sur l’égalité professionnelle, alors qu’on sait qu’elles ne sont pas toujours menées et qu’elles ne conduisent que rarement à des évolutions concrètes, se limitant presque toujours à de simples constats. Pourtant, l’accablant rapport publié il y a peu sur ce thème par le Conseil économique et social aurait dû vous alerter : non seulement les femmes demeurent moins bien payées que les hommes, mais les emplois qu’elles occupent sont aussi plus « flexibles » et plus précaires.

Je regrette également que vous ayez eu recours au mot « race », dont l’utilisation dans la formule « discriminer à raison de la race » laisse supposer qu’il y aurait plusieurs races. Avec mes collègues, je m’inscris en faux contre cette idée qui, de fait, renvoie à une possible différence non fondée en droit mais permettant la survivance de thèses des plus révisionnistes, des plus xénophobes, au nom desquelles tant de crimes ont déjà été commis.

Pour conclure, j’indiquerai que, s’il reste en l’état, ce texte, attendu par les associations, ne résoudra pas la majorité des difficultés que rencontrent nos concitoyens, d’autant que, ici même, la majorité gouvernementale a décidé d’abaisser de trente ans à cinq ans les délais de prescription en matière civile.

Ainsi, la période durant laquelle un de nos concitoyens ou une de nos concitoyennes victime de discrimination pourra faire valoir ses droits devant la juridiction civile se trouvera considérablement réduite. J’ai bien entendu les propos de M. Hyest et pris connaissance de l’amendement qu’il a déposé à ce sujet, j’ai bien compris que, pour la réparation, il serait tenu compte de la durée totale de la discrimination subie, mais un délai de cinq ans me paraît malgré tout trop court. J’y reviendrai lorsque cet amendement sera examiné.

De plus, il me semble que la conjonction du présent projet de loi et du texte réaménageant les délais de prescription pourrait se résumer par cette expression : « Ce que je donne d’une main, je le reprends de l’autre. » Cela est d’autant plus vrai que l’article 1er du projet de loi que nous examinons aujourd’hui organise de fait une hiérarchisation des discriminations. Là encore, j’y reviendrai lors de la discussion des articles.

En d’autres termes, ce projet de loi n’est pas réellement créateur de droits. C’est la raison pour laquelle mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen et moi-même avons déposé un certain nombre d’amendements visant à l’améliorer. Vous comprendrez donc, mes chers collègues, que du sort que vous leur réserverez dépende la position de mon groupe sur l’ensemble du texte.

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