Intervention de Bariza Khiari

Réunion du 9 avril 2008 à 15h00
Lutte contre les discriminations — Discussion générale

Photo de Bariza KhiariBariza Khiari :

Cette initiative, heureusement écartée par le Conseil constitutionnel, est la caricature d’une certaine pensée en matière de lutte contre les discriminations.

Toutefois, cette mauvaise volonté nationale manifeste doit néanmoins s’accommoder des obligations européennes. Ainsi, la création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, qui s’est imposée comme un instrument majeur de lutte contre les discriminations, est issue d’une obligation européenne et non pas d’une volonté politique nationale.

C’est donc à coup d’éperons européens, et non en conséquence d’une mobilisation nationale, que nous sommes amenés à débattre de cette question. Le souci de ne pas risquer de faire l’objet d’une procédure judiciaire pendant la présidence française de l’Union européenne explique le dépôt de ce projet de loi de transposition.

C’est dans ces circonstances, madame la secrétaire d’État, que le Parlement hérite d’un projet de loi élaboré à la hâte et qu’il lui revient de discuter en urgence. Or, étant donné les difficultés de forme et de fond posées par ce texte, une navette parlementaire complète aurait été nécessaire.

Depuis la loi de 2001 relative à la lutte contre les discriminations et la création de la HALDE, notre droit s’était appliqué à uniformiser les dispositifs, mettant au même niveau les peines encourues et les procédures à suivre, quel que soit le motif de la discrimination.

Ainsi, la présente transposition pose non seulement un problème de lisibilité, mais aussi un problème de principe : la hiérarchisation et la différenciation des discriminations vont à l’encontre de la tradition de notre droit, qui fait de l’égalité un principe commun d’unité. Ce point est d’ailleurs fortement souligné par Mme le rapporteur, qui évoque même des dérives communautaristes possibles.

À titre d’exemple, en première lecture à l’Assemblée nationale, une disposition autorisant l’organisation d’enseignements non mixtes a été adoptée et inscrite à l’article 2. Or cette disposition, en soi si contraire à nos pratiques et à nos valeurs, ne figure dans aucune des directives européennes à transposer ! Nous demanderons donc la suppression de cette disposition, mais cela en dit long sur la logique qui sous-tend ce projet de loi.

De même, toujours à l’article 2, il est rappelé que le texte ne fait pas obstacle à la possibilité, pour les sociétés d’assurance, de mettre en place des tarifs différenciés selon le sexe et en fonction des prestations.

Cette disposition a déjà été transposée dans notre droit interne en décembre 2007, sans susciter davantage de débat. Or il convient de rappeler que cette exception du tarif différencié au principe de l’égalité de traitement ne devait pas figurer dans la directive et que ce n’est qu’après un intense lobbying des assureurs qu’elle y a été intégrée.

Dès lors, et bien que l’article L. 111-7 du code des assurances encadre ces possibilités de dérogations, il faut s’interroger sur le bien-fondé de cette exception : on sait, par exemple, que les jeunes conductrices ont moins d’accidents de voiture que les jeunes conducteurs ; on pourrait justifier qu’elles puissent bénéficier d’un tarif inférieur. De ce point de vue, une telle inégalité de traitement serait plus juste qu’un tarif commun. Un raisonnement similaire peut être tenu concernant l’assurance-vie.

Cet exemple touche directement à la distinction délicate entre l’inégalité de traitement et la discrimination. On peut arguer que le tarif différencié, établi à partir de données actuarielles, de tables de risques et d’éléments étrangers au conducteur, constitue une discrimination dans la mesure où il méconnaît le comportement individuel de la personne. Par ailleurs, il faudra un jour s’interroger sur la prise en considération de données statistiques et prétendument prédictives dans la loi.

À l’inverse, d’autres soutiennent que le tarif différencié est non seulement juste, mais optimal, dans la mesure où il est légitimé par les calculs de risques. Selon ce raisonnement, l’inégalité de traitement n’est plus une discrimination, alors que l’égalité de traitement en serait une.

Il est vrai que la distinction est difficile à établir et que notre réflexion n’est pas complètement aboutie. Il est vrai également que l’introduction dans notre droit de la notion de discrimination ne va pas sans produire des tensions fortes avec notre conception de l’égalité républicaine.

Dans votre rapport, madame Dini, vous évoquez également les problèmes posés par l’absence de codification des définitions portant sur les discriminations directes et indirectes. C’est une préoccupation que je partage.

Je conteste, pour ma part, la logique de différenciation entre les discriminations : en instituant des régimes de protection différenciés, le projet de loi, qui se contente de « copier-coller » les directives, établit une hiérarchie entre les discriminations.

Notre code pénal retient, quant à lui, quinze motifs de discrimination. En matière civile, seuls sept critères de discrimination seront donc retenus. Cette dissymétrie sera source de confusion. On notera aussi l’absence du critère portant sur l’état de santé, qui représente aujourd’hui un motif important de saisine de la HALDE.

Je partage certaines de vos réserves, madame le rapporteur, sans toutefois vous suivre concernant l’aménagement de la charge de la preuve, que vous présentez comme la généralisation d’une présomption de culpabilité. Les études attestant de l’ampleur des pratiques discriminatoires sont légion, les dernières en date étant celle du Bureau international du travail de mai 2007 et celle de l’INSEE intitulée Femmes et hommes-Regards sur la parité, parue en février 2008.

Nous sommes dans une société où les pratiques discriminatoires sont massives et, en dépit de nos efforts, elles sont encore considérées comme naturelles. Il suffit, pour s’en convaincre, de compter, sur les doigts d’une main, les plaintes au pénal qui aboutissent en matière de discrimination, en dépit d’un arsenal juridique important.

C’est pourquoi la généralisation de l’aménagement de la charge de la preuve, quel que soit le motif de la discrimination, est une disposition qui constitue une avancée importante. Elle est, à mon sens, indispensable pour que les employeurs et les bailleurs réfléchissent à leurs façons de procéder et se départissent ainsi de leurs mauvaises pratiques.

C’est également dans cet esprit que je défendrai un amendement tendant à l’intégration d’un nouveau chapitre dans le bilan social des entreprises, portant sur la lutte contre les discriminations et la promotion de l’égalité.

J’avais souhaité déposer un amendement au code des marchés publics, afin que l’engagement d’une entreprise en faveur de la lutte contre les discriminations devienne, tout comme son engagement en matière de développement durable, l’un des critères d’attribution d’un marché. Or le code des marchés publics n’est plus modifiable par la voie parlementaire. Des dispositions autrefois législatives sont devenues réglementaires et le législateur, dont l’intervention serait pourtant opportune en la matière, n’a plus la possibilité d’agir.

Par ailleurs, nous avons déposé un amendement visant à supprimer du texte le mot « race ».

La notion de « race » est apparue pour la première fois dans notre droit sous le régime de Vichy. Utiliser ce terme, fût-ce pour prohiber les discriminations, concourt à légitimer son existence, alors même que des travaux récents de biologie et de génétique ont conclu à l’inexistence de toute race dans l’espèce humaine.

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