Intervention de Jacqueline Alquier

Réunion du 9 avril 2008 à 21h30
Lutte contre les discriminations — Article 1er

Photo de Jacqueline AlquierJacqueline Alquier :

Durant des décennies, on a cru pouvoir définir l’humanité, la segmenter, voire la hiérarchiser, au travers d’une appartenance raciale. Cette supposée théorie, mise en exergue dès 1853 par Gobineau dans son Essai sur l’inégalité des races humaines, a été en Europe et, plus globalement, dans l’ensemble du monde occidental, au fondement des pages les plus noires de notre histoire collective.

Dans les années cinquante, l’UNESCO demandait que le terme confus et dépourvu de fondement scientifique de « race » soit abandonné au profit de celui d’« ethnie ». Deux décennies plus tard, les connaissances en génétique et en anthropologie physique ont permis d’invalider le concept de « race ».

Ainsi, en 1992, le généticien André Langaney s’exprimait en ces termes : « Au début des recherches en génétique, les scientifiques, qui avaient en tête des classifications raciales héritées du siècle dernier, pensaient qu’ils allaient retrouver des gènes des Jaunes, des Noirs, des Blancs... Eh bien, pas du tout, on ne les a pas trouvés. Dans tous les systèmes génétiques humains connus, les répertoires de gènes sont les mêmes. »

Quant à Tahar Ben Jelloun, officier de la Légion d’honneur, il écrivait que « le mot “race” ne doit pas être utilisé pour dire qu’il y a une diversité humaine. Le mot “race” n’a pas de base scientifique. Il a été utilisé pour exagérer les effets de différences apparentes, c’est-à-dire physiques. On n’a pas le droit de se baser sur les différences physiques – la couleur de la peau, la taille, les traits du visage – pour diviser l’humanité de manière hiérarchique, c’est-à-dire en considérant qu’il existe des hommes supérieurs par rapport à d’autres hommes qu’on mettrait dans une classe inférieure. Je propose de ne plus utiliser le mot “race”. »

Certains argueront que le vocable de « race » est non seulement présent dans notre droit et, plus symboliquement, à l’article 1er de notre Constitution, mais qu’il constitue aussi parfois le fondement de notre droit positif. Il en va ainsi des circonstances aggravantes applicables à certaines infractions portant atteinte aux personnes et aux biens lorsque leur mobile est raciste. Ainsi, renoncer à ce terme reviendrait à se priver d’un instrument puissant de notre droit positif.

D’autres objecteront que, s’il revient à la philosophie d’énoncer la vérité, il revient à la loi d’instaurer des règles, et que ces dernières doivent être rédigées avec des termes communs et compréhensibles de tous.

Or, à l’occasion de l’adoption de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, le législateur avait choisi de préférer le terme d’« ethnie » à celui de « race ». Ce choix important, même s’il ne concernait pas nos textes fondamentaux, constituait une illustration parfaite d’un droit en cohérence avec la réalité scientifique. Qui plus est, cette rédaction n’a empêché, pendant dix-huit ans, aucun magistrat de qualifier une discrimination de « raciste ».

Enfin, c’est parce que je considère qu’il revient au législateur d’être parfois à l’avant-garde de la société et de faire preuve de détermination que je vous propose de ne pas retenir le terme de « race » dans la rédaction proposée.

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