Intervention de Annie David

Réunion du 9 avril 2008 à 21h30
Lutte contre les discriminations — Article 1er

Photo de Annie DavidAnnie David :

Je fais miens, bien sûr, les propos qui viennent d’être tenus, mais je souhaite formuler quelques remarques supplémentaires.

Il y a de cela moins d’un mois se déroulait la journée internationale de lutte contre le racisme. Mme Létard l’a rappelé tout à l’heure, l’année 2007 fut d’ailleurs officiellement déclarée année de lutte contre le racisme.

Or force est de constater que, malgré la volonté affichée de toutes et de tous, la lutte contre le racisme reste encore aujourd’hui d’une cruelle actualité.

L’adoption de l’amendement que je vous présente au nom du groupe communiste républicain et citoyen ne suffira certes pas, à elle seule, à endiguer toute forme de racisme ; elle contribuera cependant à faire changer les mots et, peut-être même, les discours. La discussion que nous avons eue en commission à ce propos démontre d’ailleurs que beaucoup d’entre vous, mes chers collègues, partagent l’avis que je vais exprimer dans un instant.

En effet, que proposons-nous ? Ni plus ni moins de faire de nos lois, à commencer par celle-ci, un élément exemplaire de lutte contre la discrimination, en supprimant de leur rédaction le mot « race ».

Les avancées scientifiques, dont certaines ont été évoquées à l’instant, doivent constituer, pour le législateur, de réels points d’appui. Nous devons utiliser les connaissances nouvelles pour rompre définitivement avec une page de notre histoire au fil de laquelle, nous le savons bien, afin d’asseoir la domination d’une société sur l’autre, on a tenté d’établir une hiérarchie en recourant notamment à la notion de « race ».

Aujourd’hui, ce concept n’a plus la moindre légitimité scientifique et, depuis près de quarante ans, de nombreux chercheurs ont démontré que, dans la famille humaine, il n’y avait pas de « races ».

Rappelons-nous, cela a déjà été souligné lors de la discussion générale, que c’est en 1939 qu’est apparue une telle notion dans notre législation, mais que c’est sous le régime de Vichy que le mot « race » a trouvé une définition juridique, dans les lois du 3 octobre 1940 et du 2 juin 1941.

Depuis, dans notre pays, le législateur n’a eu de cesse –dans une volonté de progrès, je le concède – de recourir à cette notion pour proscrire justement les discriminations fondées sur la « race », ce qui a eu pour effet, au final, d’entériner l’existence de cette notion.

Pis encore, dans les différentes lois où ce mot apparaît, il est suivi ou précédé des mots « religion », « nation », « ethnie » ou « origine ». Autrement dit, pour le législateur, la « race » est une donnée objective, aussi objective que l’appartenance à une religion, à une nation ou à une ethnie.

Supprimer le mot « race » de la rédaction de ce projet de loi ne permettra pas à un juge peu scrupuleux de se réfugier derrière cette absence pour ne pas sanctionner des comportements racistes. D’autres notions – en particulier celles de « nation », d’« origine », d’« ethnie » – suffisent à donner aux juges les outils nécessaires pour sanctionner les pratiques visées par le présent texte. Il n’y a donc pas d’inquiétude à avoir de ce côté, et je rejoins sur ce point ma collègue Bariza Khiari.

Certes, l’objet de cet amendement va au-delà d’une transposition stricto sensu de la directive européenne concernée, mais nous avons ici la possibilité de faire progresser dans les textes le combat acharné contre les discriminations que nous menons, toutes et tous me semble-t-il.

La Commission européenne elle-même prend soin de préciser que la référence aux « races » ne peut être employée et qu’il faut préférer la notion de « race » au singulier.

Si c’est effectivement là une avancée, on conviendra avec moi que cela ne suffit pas. Comment utiliser le mot « race » en sous-entendant qu’il n’y en a qu’une seule, puisque le recours au pluriel est proscrit, et interdire de discriminer en fonction de cette seule et unique « race » ?

Par cet amendement, nous entendons donc suivre la logique de la Commission européenne, en supprimant du vocabulaire des projets de loi toute référence à une notion insoutenable, s’agissant en particulier d’un texte dont l’objet même est de combattre les discriminations.

C’est en quelque sorte, mes chers collègues, une petite révolution que je vous demande d’approuver. J’ai conscience que cela ne sera sans doute pas facile, mais une telle disposition me semble à la hauteur de l’enjeu que nous nous sommes fixés, à savoir bannir à jamais toute thèse qui soutiendrait l’existence d’une « race supérieure », au nom de laquelle beaucoup de crimes pourraient être commis ou ont malheureusement déjà été commis.

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