Intervention de Annie David

Réunion du 9 avril 2008 à 21h30
Lutte contre les discriminations — Article 1er

Photo de Annie DavidAnnie David :

Mme Dini, rapporteur, signale, dès les premières pages de son rapport, que ce projet de loi présente bien des lacunes. Je cite ses propres mots : « La recherche d’efficacité semble avoir conduit le Gouvernement à négliger des problèmes de forme, préoccupants, et à sous-estimer des difficultés de fond, ce qui est plus inquiétant ».

Je m’associe à ce constat, tout en précisant que je ne souscris pas à l’ensemble du rapport de Mme Dini, comme je l’ai dit dans la discussion générale.

L’intérêt de cette transposition, outre le fait de nous éviter une condamnation certaine par la Cour de justice, réside, ou plutôt devrait résider dans l’intégration en droit national des définitions contenues dans les textes communautaires.

Malheureusement, la rédaction des définitions du harcèlement, telle que proposée par ce gouvernement, ne reprend que partiellement les directives communautaires : la directive 2002/73 /CE apporte en matière de harcèlement une définition, ou plutôt deux définitions qui n’ont pas fait l’objet d’une transposition correcte en droit interne et qui ne seraient pas non plus correctement transposées si ce texte était adopté en l’état. Nous risquerions donc une nouvelle réprimande de la Commission européenne.

Vous avez retenu certains éléments de la directive, mais vous n’avez pas adopté l’intégralité de son contenu, puisque l’article 2-2 de cette directive introduit deux formes de discriminations fondées sur le genre : une discrimination que l’on pourrait qualifier de sexiste : il s’agit de l’alinéa 3 de l’article 2-2 ; et une discrimination sexuelle dans un sens plus attendu, tel que défini à l’alinéa 4 de cette même directive.

Dans le cadre de l’alinéa 3, qui vise la discrimination sexiste, il s’agit, en fait, d’offrir aux États membres un outil juridique permettant de sanctionner les agissements d’un individu ou d’un groupe d’individus autour d’une personne, l’élément « fondateur » de ce harcèlement résidant dans « le genre » de la victime. Un tel outil est aujourd’hui inexistant en droit français.

Il s’agit, pour faire simple, de sanctionner les situations que subissent des milliers de citoyennes et de citoyens dans notre pays. Ce sont, par exemple, les propos machistes, inappropriés, relatifs aux capacités professionnelles, ou encore portant sur l’aspect physique ou les tenues vestimentaires. Aujourd'hui, cela ne peut pas faire l’objet de sanctions dans le monde de l’entreprise, le code du travail ne contenant pas de dispositions en ce sens.

Quant à la définition contenue à l’alinéa 4 de l’article 2-2 de la directive, elle apporte une précision supplémentaire en droit français. Il s’agit, dès lors, de sanctionner non plus les seuls « actes dont le but est d’obtenir pour soi ou pour un tiers des faveurs sexuelles », mais tous les agissements non désirés liés au sexe.

On le voit, ces deux définitions sont complémentaires en droit communautaire et doivent l’être en droit national. Or, la rédaction du projet de loi ne transpose pas la première définition et ne transpose que partiellement la seconde. La définition proposée par le Gouvernement reprend en partie, il est vrai, la définition contenue au quatrième alinéa, tout en supprimant les notions d’actes exprimés « physiquement, verbalement ou non verbalement ».

La réalité du droit français est telle que les procès pour harcèlement sur le lieu de travail aboutissent régulièrement à une non-condamnation, quand ce n’est pas à une condamnation de la plaignante aux dépens. Nous avons d’ailleurs déploré cette réalité lors de l’examen en commission du rapport. Non pas que les juges éprouvent des réticences particulières à recourir à cette notion, mais les lois sont tellement restrictives qu’elles n’offrent que peu de points d’appui pour les juges prud’homaux.

Cet amendement vise donc à transposer intégralement dans l’actuel projet de loi les définitions contenues dans les directives européennes. Il s’agit, pour mon groupe, d’une part, d’éviter une transposition incorrecte pouvant déboucher sur une nouvelle sanction communautaire, d’autre part, d’offrir aux victimes de harcèlement un outil plus protecteur que celui qui est défini dans ce projet de loi.

Madame la secrétaire d’État, vous ne pourrez pas me soutenir le contraire, vous qui venez de nous dire que, si la France ne transpose pas au mot près, la Commission agira en manquement ! Il faut donc adopter cet amendement, qui vous permettra de respecter notre obligation de transposition !

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