Intervention de Annie David

Réunion du 9 avril 2008 à 21h30
Lutte contre les discriminations — Article 2

Photo de Annie DavidAnnie David :

Bien que cet amendement soit identique aux deux précédents, je vais le défendre, parce que, n’appartenant pas au même groupe que mes deux collègues, je parle d’une voix différente et j’exprime ici l’opinion d’un grand nombre de personnes.

Madame la secrétaire d’État, l’examen de l’avant-dernier alinéa de l’article 2 n’avait pas manqué de m’interpeller quant à l’intention réelle de votre gouvernement, et j’ai été saisie d’une grande colère quand j’ai compris l’objectif non avoué. Cette colère a été décuplée tout à l’heure par le revirement de la commission des affaires sociales et par le rejet des deux amendements identiques.

Autant vous dire d’emblée que le dernier alinéa du même article n’est pas mieux. Il prévoit en effet d’exclure le contenu des médias et des publicités des domaines affectés par cet article, à savoir l’interdiction de toute discrimination fondée sur le sexe. L’industrie des médias pourrait donc continuer à discriminer à loisir les femmes, trop grosses, trop vieilles, trop maigres, à les humilier, à les placer dans des situations dégradantes, offensantes, à porter atteinte à leur dignité pour de l’argent ! Autrement dit, les médias et la publicité seraient une zone de non-droit au regard de la législation relative à la lutte contre les discriminations.

Cet alinéa me met également très en colère, et pour plusieurs raisons. Madame la secrétaire d’État, vous balayez d’un revers de main le rapport rendu sur ce thème l’an dernier par Mme Gautier, au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, dont l’avant-propos est intitulé « L’image de la femme dans les médias et plus particulièrement dans la publicité : des atteintes persistantes à la dignité de la personne humaine et des représentations souvent stéréotypées. » L’une de ses sept recommandations est d’« accroître les moyens d’actions des associations de défense des droits des femmes en matière de lutte contre la publicité sexiste ». Ce rapport a mis en évidence des situations inacceptables contre lesquelles nous ne pourrons pas lutter si le Sénat adopte ce texte en l’état.

Comme nous le savons toutes et tous, le rôle des médias et de la publicité, dans une logique purement commerciale, consiste à accroître les bénéfices des sociétés pour lesquelles ils travaillent, de provoquer l’accroche, et certainement pas d’élever les consciences. Qui n’a jamais croisé de publicité dans laquelle une femme, à moitié nue, est réduite à jouer, au choix, le rôle d’esclave sexuelle ou de femme soumise ? Qui n’a jamais vu de publicité, dans le métro, aux arrêts de bus, dans laquelle une femme est réduite à un corps, magnifique de préférence, plutôt qu’à une tête ? Et encore cette femme n’aurait-elle pas à se plaindre par rapport à telle autre qui serait réduite à une seule partie de son anatomie, ses jambes, ses fesses ou sa poitrine, bref, une femme objet ! Or, réduire les femmes à un rôle utilitaire, qu’il soit sexuel ou « ménager » – sur ce sujet, il y aurait encore de quoi dire –, participe directement au machisme ambiant de notre société.

L’association La Meute dénonçait d’ailleurs déjà en 2002 l’argument esthétique utilisé par bon nombre de publicitaires pour justifier le recours à des femmes objets. Il me semble important de citer ses propos, anciens, certes, mais, malheureusement, toujours de grande actualité: « Si une publicité sexiste semble belle, elle n’en est que plus efficace, mais la beauté n’est pas son but. Il ne s’agit pas d’art, et, s’il est invoqué, c’est comme alibi. La publicité relève du commerce : il s’agit de vendre un objet, de faire connaître un nom. D’ailleurs, si la publicité n’avait aucun impact, pourquoi des entreprises dépenseraient-elles autant d’énergie et d’argent ? ». Tout est dit, je crois.

Une chose cependant reste à préciser. Le dernier alinéa de l’article 2 est en total décalage avec les évolutions de notre société. Le Bureau de vérification de la publicité, le BVP, qui, en 2007, a rendu son rapport d’activité pour l’année précédente, révélait un paradoxe : une baisse notable de la publicité litigieuse, mais des publicités toujours plus provocantes autour de la construction appelée « porno chic », qui ressemble plus, en fait, à du « porno choc ».

Alors que la logique voudrait que l’on renforce les pouvoirs du BVP – une autre des recommandations du rapport de la délégation –, en faisant en sorte, notamment, que son contrôle soit a priori et non a posteriori, en rendant ses avis obligatoires et incontournables, et également publics, vous nous proposez, au contraire, une disposition rétrograde, qui limite considérablement l’intérêt de cette transposition.

Nous savons pourtant tous, dans cette enceinte, que les premiers à être marqués dans leur imaginaire par la télévision – premier vecteur médiatique – et par les affiches sont précisément les plus jeunes. Là encore, le rapport préconisait de prévoir « dans les programmes scolaires une sensibilisation aux stéréotypes véhiculés par les médias sur les rôles respectifs des femmes et des hommes ».

Parce que nos jeunes sont l’avenir de notre pays, nous nous devons de leur offrir un autre schéma, débarrassé des stéréotypes sexués. De telles évolutions ont eu lieu au Canada et en Suède où, sous la pression des consommateurs, les publicitaires ont dû réviser leurs méthodes de communication.

Avec l’alinéa en question, vous passez un grand coup de torchon sur toutes les études que nous avons pu réaliser sur ce sujet, faisant fi du travail parlementaire accompli, de notre implication sur ce thème bien connu et dont il n’est plus à prouver qu’il concerne l’un des secteurs les plus discriminants, peut-être même aussi discriminant que le domaine politique !

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