Intervention de Guy Fischer

Réunion du 11 février 2010 à 9h00
Indemnités journalières versées aux victimes d'accident du travail — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Guy FischerGuy Fischer, coauteur de la proposition de loi :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que le groupe CRC-SPG vous présente aujourd’hui et qui est due à l’initiative d’Annie David a pour objectif d’améliorer l’indemnisation versée aux victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles.

Nous entendons revenir sur la fiscalisation partielle des indemnités journalières versées aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, adopter la réparation intégrale de l’ensemble des préjudices subis par ces victimes et instituer une mesure fiscale concernant l’assiette de l’impôt sur les sociétés qui devrait inciter les entreprises à réduire efficacement leur sinistralité et qui rapporterait des recettes à l’État.

Cependant, notre proposition de loi se donne également pour objectif de mettre en lumière la mutation et l’aggravation des risques professionnels qui existent aujourd’hui dans le travail.

Ces nouveaux risques professionnels, que nous vous exposerons, justifient que de nouveaux droits soient accordés aux salariées et aux salariés, dont la réparation intégrale de tous les accidents et maladies professionnels.

Lors du vote de la loi de finances pour 2010, majorité parlementaire et Gouvernement ont adopté une mesure tendant à la fiscalisation des indemnités journalières versées aux victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles, instituant ainsi une « double peine ».

Nous avions bien entendu dénoncé une telle disposition, que nous jugions injuste et indécente, et voté contre ce nouveau recul des droits des salariées et des salariés.

Une fois de plus, la majorité, en usant d’exemples caricaturaux et de raisonnements biaisés, tentait d’opposer les salariés entre eux, les victimes d’accidents du travail, d’une part, et les personnes en arrêt pour maladie ou en congé de maternité, d’autre part. Elle essayait de comparer des situations très différentes.

De plus, non seulement les discours qui ont accompagné cette adoption étaient choquants, mais ils étaient inexacts. Ils illustrent tout à la fois l’ignorance des réalités vécues par les accidentés du travail et une grande méconnaissance du régime d’indemnisation de ces derniers.

Nous avons fait un triple constat.

Premièrement, au regard du régime actuel d’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles, les AT-MP, la fiscalisation des indemnités journalières n’est fondée ni en droit ni en équité.

Deuxièmement, le régime d’indemnisation appliqué à ces victimes est le plus défavorable qui soit. De surcroît, il est totalement dépassé au regard des nouvelles réalités juridiques, sociétales et de celles du monde du travail.

Troisièmement, la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, déjà insuffisante, n’est pas encouragée, du fait de l’existence d’une anomalie fiscale : les entreprises déduisent en effet de leurs bénéfices le montant des cotisations qu’elles versent au titre des AT-MP. Par conséquent, plus une entreprise est dangereuse pour ses employés, moins elle paie d’impôt sur les sociétés.

Cette proposition de loi aborde ces trois questions, que nous vous présenterons tour à tour. Nous envisagerons ensuite l’aspect financier des mesures proposées, aspect financier que nous dépasserons en démontrant qu’il s’agit avant tout d’un vrai choix politique.

Le premier point que je souhaite aborder est l’abrogation de la fiscalisation des indemnités journalières.

Nous proposons l’abrogation de la fiscalisation partielle des indemnités journalières, qui aggrave la situation des victimes déjà peu indemnisées. Cette mesure, votée à la suite d’un débat tronqué qui n’exposait pas l’ensemble des éléments de la question, est indécente au regard des salariés concernés.

La fiscalisation des indemnités journalières nous a été présentée comme une mesure d’équité fiscale. Laissez-moi vous démontrer qu’il n’en est rien. Pour cela, je reviendrai sur le mécanisme tel qu’il existe.

À la suite d’un accident du travail, deux périodes doivent être distinguées.

Lorsque l’accident vient de se produire, le salarié est arrêté et l’étendue de son incapacité de travail n’est pas encore connue. À ce stade, on parle d’ « incapacité temporaire ». C’est ici qu’intervient le versement des indemnités journalières dont la fiscalisation a été votée : dès le lendemain de l’accident, et pendant les vingt-huit premiers jours de l’arrêt, le salarié recevra des indemnités journalières qui représenteront 60 % de son salaire de référence ; ensuite, et jusqu’à la stabilisation de son état, il percevra 80 % de son salaire de référence. Il est donc faux de prétendre que seuls les arrêts de courte durée seront fiscalisés.

Ensuite, soit le salarié est rétabli et il reprend son emploi, soit sa situation est « consolidée ». Le médecin fixera alors son taux d’incapacité permanente. À ce stade, la victime touchera une réparation forfaitaire pour le préjudice subi soit sous forme de capital si le taux d’incapacité est inférieur à 10 %, soit sous forme de rente si le taux d’incapacité est supérieur à 10 %.

Au regard de la faiblesse de son montant – il s’agit d’une réparation forfaitaire – et de son objet – il s’agit de la réparation d’un préjudice subi –, cette indemnisation n’est pas fiscalisée. Néanmoins, pour entretenir la confusion et arguer de l’égalité fiscale, l’expression « réparation forfaitaire » a été employée sans opérer de distinction entre ces deux phases.

Le Gouvernement a ainsi pu prétendre que les victimes d’accidents du travail étaient des privilégiés qui percevaient 60 % puis 80 % de leur salaire alors qu’un malade ou une femme en congé de maternité ne perçoivent que 50 % de leur salaire.

C’est feindre d’oublier que l’objet de ces indemnités est la réparation du préjudice subi. C’est également feindre d’ignorer qu’un accidenté du travail, après la consolidation de sa situation, ne perçoit qu’une rente ridiculement faible ne réparant que partiellement certains dommages, lesquels ne sont pas tous pris en compte !

Ce rappel est nécessaire pour comprendre pourquoi les indemnités journalières versées aux victimes d’un accident du travail n’étaient pas soumises à l’impôt sur le revenu. L’idée était de contrebalancer un tant soit peu le régime de réparation scandaleusement défavorable servi aux victimes d’un accident du travail ou aux personnes atteintes d’une maladie professionnelle.

Pourtant, malgré le tollé déclenché dans l’opinion publique – 96 % des personnes sondées, toutes tendances politiques confondues, étaient opposées à la fiscalisation –, le Gouvernement et la majorité ont fiscalisé ces indemnités.

Non, les victimes d’accident du travail n’étaient pas des privilégiés ! Elles étaient et restent des victimes, trop souvent marquées dans leur chair et dont la vie bascule à la suite d’un événement tragique.

C’est pourquoi l’article 1er de la proposition de loi que nous présentons aujourd'hui vise à supprimer la fiscalisation créée par le Gouvernement et sa majorité, et à affirmer le statut de victime de ces salariés.

Et la fiscalisation partielle des indemnités journalières, présentée comme un rendez-vous d’équité, ayant au contraire fait ressortir l’insuffisance de la réparation versée à ces victimes, nous réitérons notre proposition tendant à la réparation intégrale de tous les préjudices.

Je rappellerai que la solution de compromis trouvée par la loi de 1898, qui était à l’époque favorable aux victimes, pouvait s’expliquer. Replaçons ce mécanisme dans l’histoire.

La Révolution industrielle du xixe siècle a profondément changé les conditions dans lesquelles le travail s’effectue.

Quand, à cette époque, une machine à vapeur explosait dans une usine ou dans un atelier, personne n’était considéré comme responsable. L’accident était fortuit et, en l’absence de faute prouvée de l’employeur, le salarié ne percevait aucune indemnisation.

Face à ces injustices fut mise en place une responsabilité sans faute « pour risques professionnels créés par l’employeur ».

À l’époque, pour contrebalancer l’automatisme de la réparation, la victime dut se contenter d’une réparation forfaitaire à la charge des employeurs. C’est ainsi que nous aboutîmes au compromis de la loi de 1898 sur les accidents du travail, complétée par la loi de 1919 sur les maladies professionnelles. En 1945, cela devint la branche AT-MP de la sécurité sociale.

Cependant, au fil des années, cette réparation forfaitaire est devenue très défavorable au regard d’autres régimes de réparation, grâce auxquels les victimes obtenaient réparation intégrale des dommages corporels même en l’absence de faute prouvée.

De nombreux rapports ont souligné la nécessité d’abandonner cette réparation forfaire : le rapport de Roland Masse de 2001, le rapport de Michel Yahiel, de 2002, ainsi que le rapport de la Cour des comptes de 2002 qui a qualifié le dispositif actuel de couverture des victimes d’accidents du travail d’obsolète, de complexe, de discriminatoire, d’inéquitable et de juridiquement fragile.

Alors que la plupart des victimes sont indemnisées à 100 %, ce dont nous nous réjouissons, pourquoi existe-t-il une telle inégalité ? Attention, nous n’entendons nullement opposer les victimes entre elles, puisque nous souhaitons au contraire une réparation intégrale pour toutes les victimes.

Pouvons-nous accepter que subsistent des inégalités dans la réparation, par exemple, de la perte d’une jambe par un salarié selon que cette jambe aura été écrasée par une voiture dans la rue – réparation intégrale – ou écrasée par un ascenseur au travail – réparation forfaitaire ? Pourquoi le salarié ayant contracté un cancer professionnel sera-t-il traité différemment selon qu’il a été exposé à des poussières d’amiante – réparation intégrale – ou à des poussières de bois – réparation forfaitaire ? Ces différences n’ont pas de sens.

Plusieurs décisions du Conseil constitutionnel affirment le principe de la réparation intégrale : « aucun élément du préjudice indemnisable ne peut être exclu, conformément à ce qu’implique le principe d’égalité devant les charges publiques ».

L’argument est intéressant, le principe d’égalité devant les charges publiques venant ici plaider en faveur d’une réparation intégrale.

Le droit et la société ont donc changé, mais surtout – j’insiste sur ce point – les risques professionnels se sont eux aussi modifiés et, d’une certaine manière, aggravés.

En effet, trop souvent, l’accident, événement en principe imprévisible, a toutes les chances de survenir tant les conditions dans lesquelles le travail est exécuté se sont dégradées.

Depuis les années quatre-vingt, au nom de la compétition mondiale et de la performance économique, nous assistons à un transfert sur les salariés des risques à la fois économiques et professionnels. Ainsi, en plus de reporter sur les salariés les incertitudes du marché ou les risques économiques – c’est la flexibilité à l’extrême –, on fait aussi peser sur lui les risques professionnels. L’organisation du travail lui est entièrement déléguée.

Cette « désimplication » des employeurs dans l’organisation du travail et la réduction des dépenses de sécurité qui accompagne cette démarche aggravent fortement les risques physiques et psychologiques auxquels le salarié est exposé. Que ce soit dans l’industrie ou dans les services, le salarié doit accomplir son travail seul, plus vite qu’avant et pour un moindre coût. Cela crée pour lui stress, souffrance, et est cause d’accidents et de maladies.

Il faut d’ailleurs noter que le travailleur victime d’un accident du travail est statistiquement plutôt jeune, salarié précaire et employé dans une PME effectuant de la sous-traitance, c'est-à-dire là même où la présence syndicale est faible, voire inexistante.

Ces nouvelles méthodes de management dans les services ou cette absence totale d’organisation dans certaines très petites entreprises créent évidemment d’énormes et nouveaux risques professionnels.

L’existence de ces risques nouveaux, ou plutôt cette aggravation des risques professionnels qui avaient fondé la loi de 1898, doit se traduire par une nouvelle législation en faveur des salariés, d’où le nécessaire passage vers l’indemnisation totale des salariés victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.

Cependant, notre proposition de loi ne vise pas simplement à revenir sur la fiscalisation des indemnités journalières et à proposer une réparation intégrale. Elle tend également à se situer en amont de l’accident du travail afin d’améliorer la prévention. Elle prévoit pour ce faire une mesure innovante qui va dans le bon sens, à savoir la soumission à l’impôt sur les sociétés du montant des cotisations AT-MP versées par les entreprises.

Le troisième objet de cette proposition de loi est d’instaurer une mesure de nature à mieux inciter les entreprises à œuvrer pour limiter la survenance d’accidents du travail.

Le taux de sinistralité d’une entreprise doit à notre avis avoir des conséquences immédiates et directes sur le montant des cotisations AT-MP qu’elle verse. C’est certes déjà un peu le cas avec le système dit du « bonus-malus », mais ce n’est pas suffisant.

Pour aller plus loin dans cette logique incitative, nous proposons que les cotisations d’accidents du travail et de maladies professionnelles versées par les entreprises ne soient plus traitées comme une charge déductible au regard du paiement de l’impôt sur les sociétés.

Aujourd’hui, cette défiscalisation des cotisations AT-MP de l’impôt sur les sociétés a en effet un effet pervers : certes, plus les entreprises connaissent d’accidents du travail, plus leurs cotisations AT-MP sont élevées. Cependant, dans la mesure où les cotisations sont déduites de leur chiffre d’affaires, les entreprises payeront moins d’impôt sur les sociétés. La réintroduction de ces sommes dans l’assiette de l’impôt sur les sociétés aurait des conséquences directes sur les profits de ces dernières et les inciterait à agir immédiatement pour diminuer leur sinistralité.

Étant persuadés que l’incitation à la prévention des accidents du travail est le levier sur lequel il faut intervenir pour faire diminuer de manière significative le nombre des AT-MP, nous pensons que cette mesure irait dans le bon sens.

Vient maintenant la question du coût financier des dispositions que nous proposons. Je ne doute pas que d’aucuns nous opposeront l’argument financier : « cette réforme coûtera cher », nous diront-ils. C’est pourquoi je veux dire un mot du financement et des choix politiques.

Je ferai remarquer, en préalable, que l’argent dépensé pour indemniser les victimes d’AT-MP ou pour sauver des vies est de l’argent bien dépensé. L’être l’humain doit toujours être placé en premier, avant les banques, par exemple !

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