Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, à en croire le Gouvernement, nous serions tirés d’affaire, comme en témoigne l’augmentation du produit intérieur brut de 0, 3 % au deuxième et au troisième trimestre de l’année 2009.
Notons d’emblée qu’une telle progression signifie une croissance positive de 1, 5 milliard d’euros. Or, cette année, il y a eu un jour ouvré de plus qu’au cours de l’été 2008, puisque le 15 août est tombé un samedi.
Mme la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi se déclare satisfaite. Mais, selon nous, les communiqués victorieux et les satisfecit à bon compte de Nicolas Sarkozy et de quelques ministres ont pour seuls objectifs de valider le cap suivi depuis le début de la crise et d’accréditer l’idée qu’il n’y aurait pas besoin de changer de politique gouvernementale ou de mode de gestion des entreprises. En d’autres termes, il s’agit de faire croire que tout a changé pour que rien ne change et que tout recommence…
Voilà des discours bien éloignés de la réalité vécue par les dizaines de milliers de salariés qui ont perdu leur emploi au troisième trimestre, par les centaines de milliers de salariés qui se trouvent au chômage depuis un an et par les salariés et les retraités qui souffrent de la baisse du pouvoir d’achat. Et je ne parle même pas de la crise morale qui mine de plus en plus le pays. Or nous n’avons rien entendu de tout cela dans vos propos de ce matin. C’est d’autant plus singulier devant le spectacle indécent de la richesse, de la fortune, de l’argent, du « bling-bling » et des passe-droits !
Pour tous, la reprise, quand elle viendra, se mesurera à l’aune des emplois et des salaires, c’est-à-dire des changements qu’attendent les Françaises et les Français.
Par ailleurs, tempèrent les experts, la consommation des ménages, traditionnel moteur de la croissance, a stagné au troisième trimestre, tandis que l’investissement a continué à reculer de 0, 7 % pour les entreprises et de 2, 9 % pour les ménages.
Ainsi que le confirment les chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE, la croissance économique en France s’explique, comme au trimestre précédent, par la hausse des exportations.
Si rien ne change d’ici à la fin de l’année, nous aurons une décroissance de 2, 5 % en 2009, avec une forte baisse de 7 % de l’investissement des entreprises et la suppression d’un demi-million d’emplois dans les secteurs marchands non agricoles !
Selon M. Éric Heyer, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, tout laisse penser que les entreprises vont « continuer à ajuster leurs effectifs » à la baisse pour s’adapter à l’activité, regagner en productivité et restaurer leurs marges, ce qui crée les conditions d’« une reprise sans création d’emplois ».
Comme le disait si bien Carlos Ghosn, le PDG de Renault, dans une interview au Financial Times au mois d’avril dernier : « Nous pouvons faire des choses que nous n’aurions jamais pu faire il y a quelques années » !
Plus récemment, c'est-à-dire jeudi dernier, le groupe PSA Peugeot Citroën a annoncé que la suppression de 10 % des effectifs du groupe en France, soit 6 000 postes, était « nécessaire » d’ici à 2012 pour améliorer sa productivité.
Grâce à l’injection de milliards d’euros d’argent public, les difficultés ont été de courte durée pour les secteurs financiers, qui affichent des bénéfices considérables et s’apprêtent à distribuer des dividendes importants aux actionnaires...
Ainsi, Wall Street est sur le point de reverser 160 milliards de bonus aux traders et dirigeants de banques d’affaires et de sociétés d’investissement, tandis que près de la moitié des bénéfices des entreprises du CAC 40 seront, cette année encore, transformés en dividendes. Toujours la vieille lune de la mutualisation des pertes et de la privatisation des profits !
Sur le fond, depuis trente-cinq ans désormais, nous connaissons une crise durable du système économique libéral, à peine marquée par de courtes phases de rémission, et surtout porteuse de longues périodes de ralentissement et de récession.
Un demi-point à trois quarts de point de croissance, ce n’est pas la reprise, madame la ministre ! La reprise, mes chers collègues, ne sera une réalité que lorsque nous connaîtrons une véritable réduction du chômage, associée à de réels progrès économiques et sociaux pour l’ensemble du pays.
Nous devons nous méfier de certains indices, au motif, entre autres, que la croissance, telle qu’elle a été longtemps conçue, n’a pas toujours été respectueuse de l’environnement – je ne citerai pas tous les exemples, trop nombreux, au risque de lasser l’auditoire – ou n’a pas toujours été marquée par une juste répartition de la richesse créée.
Aussi, plutôt que de nous féliciter d’indices trompeurs, vaudrait-il mieux nous arrêter sur la réalité de la crise durable de notre économie et de notre société pour concevoir, dès maintenant, les éléments qui nous permettront, dans les années à venir, une fois que le pays aura été débarrassé des politiques libérales dont il paie le prix chaque jour, de définir une nouvelle croissance, plus juste et plus durable.
Aujourd’hui, la France compte plus de 2, 5 millions de chômeurs officiels – grâce au travail statistique demandé à Pôle emploi, la réalité est en partie masquée, nous le savons tous – et que fait-on ? On invente la taxe carbone et on supprime la taxe professionnelle ! Comme si les 11, 7 milliards d’euros attendus de cette mesure allaient suffire à trouver le moyen de créer les milliers d’emplois qu’attendent les habitants de notre pays ! En réalité, mobiliser 11, 7 milliards d’euros pour une croissance en valeur s’établissant entre 10 milliards d'euros et 15 milliards d’euros constitue un très faible effet de levier !
L’État est fortement endetté : le niveau de la dette publique atteint 1 000 milliards d’euros, et que fait-on ? On laisse courir les pertes de recettes fiscales, en aménageant à la baisse le produit de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF, en continuant à appliquer les mesures du paquet fiscal de l’été 2007 – 15 milliards d’euros de pertes de recettes en année pleine, je le rappelle – et, dans le même temps, la direction générale des finances publiques tient « table ouverte » pour que les entreprises puissent récupérer, sans contrôle excessif, les acomptes d’impôt sur les sociétés, la TVA déductible ou encore les multiples crédits d’impôt dont est truffée notre législation.
Il y a des déficits car les rentrées fiscales sont insuffisantes. En effet, on défiscalise, d’importants cadeaux sont consentis au patronat. Je reviendrai sur ce point dans quelques instants.
Comment ne pas pointer du doigt, comme l’a fait le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, les 20, 5 milliards d’euros de bonus fiscal accordés à 6 200 grandes entreprises avec la mise en place progressive de l’exonération des plus-values de long terme, véritable prime à l’externalisation et aux délocalisations ?
En effet, 20, 5 milliards d’euros perdus en trois ans, c’est pratiquement la somme que l’État s’apprête à lever sur les marchés financiers pour atteindre l’objectif des 35 milliards d’euros du grand emprunt Rocard-Juppé ! Tout se passe comme si, pour une part, le Gouvernement attendait que la reprise permette, par des effets mécaniques, de réduire les déficits et, plus encore, de prouver par l’exemple que les choix mis en œuvre depuis le printemps 2007 – et, pour une grande part, depuis 2002 – étaient les seuls possibles.
Ce gouvernement qui a prêté, sans contraintes excessives ni prise de participation au capital, plusieurs milliards d’euros aux banques françaises, cultive quelque peu ce que l’on peut qualifier de foi inébranlable dans les vertus de la « main invisible du marché ».
Il faut la foi du charbonnier pour croire que tout ira mieux dans le meilleur des mondes parce que les « stabilisateurs » du marché se remettront bientôt à fonctionner avec beauté et harmonie !
Une question se pose : les demandeurs de logement, les personnes privées d’emploi, les travailleurs précaires, les salariés stressés qui mettent parfois fin à leurs jours, les jeunes diplômés qui ne trouvent pas d’emploi à la fin de leurs études vont-ils attendre que toute cette belle mécanique se mette effectivement à fonctionner ?
Les choix effectués par le Gouvernement dans le présent projet de loi de finances montrent que l’on est fort loin de la prise en compte des besoins collectifs.
Suppression de la taxe professionnelle, invention de la taxe carbone – véritable TVA sociale repeinte en vert –, alourdissement de l’impôt sur le revenu, hausse prévisible et attendue des impositions locales, suppression massive d’emplois publics : tels sont les choix opérés par le Gouvernement et sa majorité.
Aux difficultés d’emploi que rencontrent des milliers de jeunes de notre pays, l’État répond en supprimant 35 000 emplois publics, au nom d’une idéologie surannée particulièrement inadéquate ces temps-ci.
Le schéma d’un système fiscal de plus en plus injuste, pesant sur le revenu des ménages, sur la consommation populaire au sens large, et quittant de plus en plus le lieu de production de richesses – l’entreprise, pour mémoire – est à l’œuvre. Comment ne pas s’en rendre compte encore à l’examen de ce projet de loi de finances ? On supprime la taxe professionnelle et on crée la taxe carbone dans le même élan, ce qui montre bien l’inflexion prise.
La taxe carbone est sans doute le plus mauvais tour que l’on ait joué à la cause de l’environnement. Ceux qui en soutiennent le principe – même s’ils peuvent être en désaccord sur les modalités – en seront bientôt comptables devant l’opinion.