Intervention de Isabelle Pasquet

Réunion du 11 février 2010 à 9h00
Indemnités journalières versées aux victimes d'accident du travail — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Isabelle PasquetIsabelle Pasquet :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de la présentation de la proposition de loi, mon collègue Guy Fischer vous a expliqué l’ensemble des motivations qui nous ont conduits à déposer ce texte.

Je voudrais à mon tour insister sur le caractère choquant de la fiscalisation, même partielle, des indemnités journalières dont nous parlons. Au-delà des sommes dérisoires que cette mesure est censée rapporter, c’est la logique qui la sous-tend qui nous semble indécente.

Je voudrais vous soumettre un simple calcul : en fiscalisant les indemnités journalières versées aux victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles – au nombre de 900 000 aujourd’hui –, l’État espère récupérer 135 millions d’euros par an. Dans le même temps, nous avons le bouclier fiscal, qui coûte 500 millions d’euros aux finances publiques et qui concerne 18 000 personnes en France.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes et la disproportion est éloquente ! Je vous le demande : qui coûte le plus cher aux finances publiques ?

De plus, imposer les salariés sur les indemnités journalières qu’ils vont percevoir à la suite d’un accident du travail, c’est traiter ces sommes comme un salaire de remplacement alors que, tout le monde le sait, les indemnités journalières ne comprennent pas les primes de sujétion. C’est ainsi nier le fait que le salarié dont nous parlons a été victime d’un accident qui lui a occasionné un dommage corporel. Il a payé de son corps et restera très souvent mutilé – voire pis ! – pour le restant de ses jours.

Il y a une logique qui sous-tend cette fiscalisation : après tout, si le salarié s’est blessé, c’est aussi sa faute. Il n’avait qu’à faire attention. Le coût des risques professionnels doit être partagé entre l’employeur et le salarié ; obliger le salarié à payer des impôts sur ses indemnités journalières, c’est le responsabiliser…

Permettez-moi de vous dire que cette approche est totalement contraire au code du travail et particulièrement choquante pour qui connaît les réalités du monde du travail.

Le contrat de travail est fondé sur un principe : le salarié est payé pour accomplir un travail et accepte pour cela de se placer sous la subordination juridique de son employeur. En vertu de ce principe, c’est l’employeur qui est responsable de l’organisation du travail et c’est sur lui que pèse une obligation de sécurité pour ses salariés sur leur lieu de travail. C’est la loi !

Or, pour maximiser les profits et réduire les coûts de réalisation du travail, on constate depuis des années une tendance très grave au transfert des risques professionnels sur le salarié. C’est à lui que l’on délègue entièrement l’organisation du travail. On affirme finalement qu’il est responsable individuellement de la bonne marche de l’entreprise et qu’il doit veiller lui-même à sa sécurité. Le but du jeu est d’atteindre les objectifs fixés par l’employeur à n’importe quel prix.

Le travailleur doit accomplir seul, car il est souvent livré à lui-même, plus vite et au moindre coût une quantité de travail impossible à fournir. Cela crée pour lui stress, souffrance, accidents et maladies. Pour atteindre les objectifs que sa hiérarchie lui assigne et pour ne pas perdre son travail, il est bien souvent conduit à prendre des risques et à se mettre en danger.

Cette « désimplication » des employeurs dans l’organisation du travail et la réduction des dépenses de sécurité qui l’accompagne aggravent fortement les risques physiques et psychologiques auxquels le salarié est exposé. Ces nouvelles méthodes communément appelées new management, qui pressurisent tant les salariés, deviennent mortifères.

Cette absence d’organisation est source de nombreux dangers pour les salariés, si bien que de nouveaux accidents du travail et de nouvelles maladies professionnelles apparaissent. C’est littéralement ce que l’on pourrait appeler « se tuer au travail ».

Malheureusement, les exemples sont nombreux. Je voudrais précisément vous en citer un pour illustrer mon propos.

Un jeune de vingt et un ans, en contrat de qualification, est entièrement seul pour « surveiller et gérer le flux » d’une chaîne, en l’occurrence un tapis roulant sur lequel circulent des biscuits au chocolat ; il s’aperçoit que, depuis quelques minutes, le nappage au chocolat des biscuits se gondole à la suite d’un problème de buse.

Les consignes sont claires : en aucun cas, le flux ne doit s’arrêter, car cela coûte trop cher. Mais ce jeune travailleur sait aussi que les gâteaux défectueux ne seront pas vendables. Que faire, alors, quand on est entièrement seul ?

Le jeune homme décide de monter sur la chaîne pour repositionner la buse. Malheureusement, ses vêtements sont happés et il se retrouve broyé par une autre machine. Son corps sans vie ne sera retrouvé que quatre heures plus tard !

Lors des auditions, des responsables diront que le jeune homme aurait évidemment dû arrêter le flux ; mais tout le monde sait que, s’il avait agi ainsi, il aurait été licencié en raison des coûts occasionnés par la perte de production. Voilà à quelles aberrations on arrive : perdre la vie au nom de la rentabilité extrême !

Comme tant de salariés, il était soumis à une injonction contradictoire. Il devait de lui-même se comporter en auto-entrepreneur et savoir prendre la meilleure décision non seulement sur le plan économique – garder le flux – et qualitatif – l’aspect du produit –, mais aussi en termes de sécurité.

Ces exemples, que je pourrais multiplier pendant des heures, ne se rencontrent pas uniquement dans l’industrie.

Dans le secteur des services, on fait vivre certains salariés dans un stress permanent en vertu d’une organisation savamment pensée. Dans des open space, on fait en sorte qu’il y ait moins de meubles de bureau que de salariés, ce qui oblige ces derniers à arriver plus tôt au travail pour être sûrs d’être assis et les contraint en somme à une compétition perpétuelle.

Stress, précarisation, dépression, certains salariés sont brisés par cette « ultramoderne violence professionnelle ».

L’existence de ces risques nouveaux, ou plutôt cette aggravation des risques professionnels, doit se traduire par une nouvelle implication financière des entreprises et de l’État. Voilà pourquoi il est vraiment nécessaire d’adopter aujourd’hui un régime d’indemnisation totale des salariés victimes de ces accidents du travail et de ces maladies professionnelles.

Telles sont les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, je vous demande de voter notre proposition de loi.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion