Intervention de Bernard Vera

Réunion du 19 novembre 2009 à 15h00
Loi de finances pour 2010 — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de Bernard VeraBernard Vera :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 22 juin dernier, le Président de la République, devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles, déclarait : « C’est au nom de ce choix stratégique en faveur du travail et de la production que la taxe professionnelle doit être supprimée. Cette réforme sera l’occasion de repenser notre système de fiscalité locale, qui en a bien besoin.

« C’est avec la même détermination que je souhaite que nous allions le plus loin possible sur la taxe carbone. Plus nous taxerons la pollution et plus nous pourrons alléger les charges qui pèsent sur le travail. C’est un enjeu immense. C’est un enjeu écologique. C’est un enjeu pour l’emploi. »

Eh bien, mes chers collègues, avec ce projet de loi de finances pour 2010, nous sommes face à une déclinaison remarquable de ce discours présidentiel, avec l’ensemble de ce qui constitue le « grand écart » entre les mots et les choix.

Car il nous faut rappeler ici que ce n’est pas la production de richesses qui est l’objet principal des impositions d’État ou des impositions locales ! Ce sont les droits indirects, pesant sur la consommation, qui constituent encore aujourd’hui l’essentiel des recettes fiscales de l’État et une part croissante des ressources de la sécurité sociale.

Celui qui est effectivement mis à contribution, c’est le consommateur salarié, car les achats de biens et de services de la vie quotidienne sont régulièrement ponctionnés par la TVA, et son salaire sert de base d’évaluation du financement de la protection sociale. Mais le salaire n’est qu’une utilisation parmi d’autres de la richesse créée, de la somme des valeurs ajoutées que constitue le PIB. Il est manifeste que d’autres formes d’utilisation de cette valeur ajoutée, comme les dividendes ou les frais bancaires par exemple, sont très faiblement mises à contribution dans notre législation fiscale et sociale.

S’agissant des impositions locales, nous le savons de longue date, elles n’ont qu’un lointain rapport avec la capacité contributive des uns et des autres, qu’il s’agisse des entreprises avec la taxe professionnelle ou des particuliers avec la taxe d’habitation et les taxes foncières.

Mais la perspective d’une réforme de la fiscalité locale qui commence par la suppression d’un élément essentiel de celle-ci ne présage rien de bon.

Le discours présidentiel sur la taxe carbone montre clairement que les enjeux écologiques sont fort éloignés de ce nouvel impôt qui ne touchera, dans un premier temps, que les ménages et les collectivités locales et qui risque fort, dans les années à venir, de croître et d’embellir.

Cette croissance et cet embellissement n’auront rien à voir avec la cause de l’environnent, dont le Gouvernement ne se préoccupe guère, étant donné qu’il procède régulièrement à la réduction des crédits destinés à développer les solutions de remplacement au « tout routier » ; elles auront beaucoup plus à voir avec la réforme fiscale.

Demain, la taxe carbone sera l’instrument utilisé pour gager de nouveaux cadeaux fiscaux qui seront faits une fois aux ménages les plus aisés, une autre fois aux entreprises, au nom, bien entendu, de « l’allégement de la fiscalité du travail ».

Moins taxer le travail, dans le discours de la majorité, ce n’est pas augmenter les salaires – on sait l’attachement que le Gouvernement met à développer les formules de participation des salariés et les modes d’intéressement –, c’est juste offrir un peu plus d’argent aux entreprises pour rémunérer le capital et s’engager dans une croissance externe sans cesse relancée.

La cause du travail ne préoccupe pas le Gouvernement. C’est encore et toujours celle du capital qui guide ses choix et lui indique la marche à suivre.

La suppression de la taxe professionnelle, ce n’est pas une revendication populaire : ce n’est rien d’autre que l’une des plus anciennes revendications du MEDEF qui, une fois encore, va trouver force de loi !

Et les milliards gaspillés dans cette improbable affaire conduiront naturellement le débat parlementaire à tourner, une fois encore, à la litanie. Tout ce qui sera proposition alternative, tout ce qui partira enfin des besoins populaires, sera, dans tous les cas et de toute manière, trop cher.

Il n’est qu’un point sur lequel nous sommes d’accord avec le Président de la République : il est grand temps de procéder à une profonde réforme fiscale, une réforme tendant d’ailleurs, en rétablissant la justice, à permettre une réduction vertueuse des déficits publics.

Car là est sans doute la démonstration la plus éclairante de l’inconséquence des politiques menées depuis 2007, dans le prolongement de celles qui sont menées depuis 2002, et dans le droit fil des recommandations européennes : crise financière ou non, jamais ces choix n’ont permis de réduire durablement le niveau des déficits publics et, sur bien des aspects, ils ont même tendu à les aggraver sérieusement. Et l’arme du déficit, si souvent instrumentalisée, a servi à justifier par avance de nouvelles coupes dans les dépenses publiques, comme de nouveaux choix fiscaux sans cesse plus injustes.

Une véritable réforme fiscale commence par une remise à plat, courageuse, déterminée, essentielle.

Ce qui tient lieu aujourd’hui de première dépense budgétaire, c’est l’incroyable mise en œuvre de l’ensemble des multiples dispositifs dérogatoires dont notre code fiscal est truffé.

Commençons donc par interroger cette dépense fiscale, dans toutes ses composantes, sans la moindre exclusive, à partir d’idées simples. Combien coûte telle mesure ? Quelle incidence a-t-elle sur le comportement des agents économiques, qu’il s’agisse des ménages ou des entreprises ? Est-il nécessaire de la maintenir ?

Quand on sait par exemple que la moitié du crédit d’impôt recherche reversé aux entreprises cette année est arrivée au niveau des sociétés holding, sans hausse visible des dépenses effectives de recherche, on mesure la nécessité d’un tel examen !

Nous devons ensuite nous interroger sur l’équilibre des recettes fiscales.

Nous sommes clairement partisans d’un système fiscal s’appuyant sur des prélèvements à la source de la création de richesses, c’est-à-dire l’entreprise, par les indispensables prélèvements sociaux, comme l’impôt sur les sociétés ou une taxe professionnelle rénovée. C’est là que l’assiette fiscale est la plus large et c’est donc là que nous devons agir.

Mais n’oublions pas une nécessité à la fois politique et morale, celle de pénaliser les comportements tendant à la financiarisation des activités humaines et de la production.

Tout doit être mis en œuvre pour réformer profondément la fiscalité des capitaux et des placements et pour décourager la spéculation financière qui pèse sur le travail humain plus sûrement que le moindre impôt.

S’agissant de la mise à contribution des revenus, la même observation vaut. La priorité est donnée, aujourd’hui, pour des motifs injustifiés, à l’allégement de la taxation des revenus financiers, du patrimoine et du capital. Ainsi met-on en œuvre l’amendement « Scellier » au moment même où la perspective de l’explosion de la fiscalité locale se dessine derrière la révision des valeurs locatives. Moins lourde pour les propriétaires et les investisseurs, la fiscalité sera donc plus lourde pour les locataires et pour les familles.

Cette orientation générale de notre fiscalité des revenus doit être corrigée par un renforcement de la progressivité de l’impôt sur le revenu, comme l’application de cette même progressivité à d’autres éléments de revenu.

Enfin, nous devons veiller à réduire durablement la fiscalité pesant sur la consommation populaire, à commencer par la taxe sur la valeur ajoutée. Sans doute faudra-t-il employer une autre manière que celle qui a présidé à l’application du taux réduit de TVA au secteur de la restauration, mais, en tout état de cause, une telle démarche est plus que jamais nécessaire.

Telles sont donc, rappelées brièvement, les grandes lignes que le projet de budget pour 2010 devrait traduire, en termes de réforme de notre système fiscal.

C’est pourtant un choix diamétralement inverse que fait le Gouvernement, qui continue imperturbablement à se positionner en fonction des attentes du patronat.

C’est pourquoi, mes chers collègues, le groupe CRC-SPG ne votera pas ce projet de loi de finances pour 2010.

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