Monsieur le président, madame, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget de la mission « Outre-mer » suscitant, comme vous le savez, un intérêt relatif, pour ne pas dire restreint, il est bon que je dispose de ces quelques minutes, lors de la discussion générale du projet de loi de finances pour 2010, pour vous sensibiliser sur les questions ultramarines.
L’effort financier de l’État pour les outre-mer, tel qu’il est présenté dans le document de politique transversale, le DPT, s’élèvera pour l’exercice 2010 à 17, 1 milliards d’euros. Or, sur ce montant, seuls 2, 1 milliards seront gérés par la mission « Outre-mer », ce qui signifie que plus de 80 % des crédits de l’État destinés aux outre-mer seront gérés en interne par d’autres ministères, plus précisément au travers de 88 programmes relevant de 27 missions. Cela entraîne une lisibilité moindre des politiques publiques destinées aux outre-mer, d’autant plus que ces ministères ne semblent en mesure ni d’identifier précisément les crédits ni de mettre en place une politique spécifique pour les outre-mer.
La récente mission sénatoriale en a fait l’amer constat dans son rapport de juillet 2009 intitulé « Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir », et a proposé, à cet effet, que chaque ministère technique abrite un véritable « pôle outre-mer », qui serait le correspondant, au niveau technique, des services de l’administration centrale chargée des outre-mer.
Cette absence de définition précise des politiques publiques de l’État nuit également au travail des parlementaires, qui ne sont pas véritablement en mesure d’autoriser la mise en œuvre de la totalité des crédits des outre-mer. En effet, les crédits que l’État accorde aux outre-mer sont séparés en deux unités : la mission « Outre-mer », qui est une unité de vote, et les programmes, qui sont des unités de spécialité et de gestion. Cela met en évidence une dissociation contre-nature au regard de la logique de la loi organique relative aux lois de finances. En effet, la mission « Outre-mer » ne peut réellement devenir interministérielle qu’au prix d’une forte rationalisation des politiques de l’État. Si la récente nomination d’un ministre chargé de l’outre-mer, au lieu d’un secrétaire d’État, peut aller dans ce sens, son rattachement au ministère de l’intérieur, qui demeure, me laisse perplexe.
La mission sénatoriale a d’ailleurs été très ferme sur ce point, en considérant que seul le rattachement direct de cette administration auprès du Premier ministre lui permettrait d’assurer un rôle interministériel déterminant.
Elle a estimé que le rattachement actuel n’était pas adapté, expliquant que « culturellement, il est incontestable que la gestion des collectivités locales par la “place Beauvau” – et plus particulièrement par la direction générale des collectivités locales (DGCL), gardienne du droit commun et peu encline à envisager des adaptations locales – et celle effectuée par la “rue Oudinot”, habituée à “ciseler” des statuts épousant les particularismes locaux, sont très différentes, voire difficilement conciliables ».
Et d’ajouter que la mission « Outre-mer », rattachée directement au Premier ministre, permettrait de préparer et de suivre plus efficacement la mise en œuvre des mesures décidées au sein du Conseil interministériel de l’outre-mer.
Il est vrai que, pour mettre en place dans les outre-mer le développement endogène sur lequel insiste le chef de l’État et qu’il présente comme l’unique sortie à la crise permanente consubstantielle aux outre-mer, il faut non seulement une nouvelle gouvernance locale plus adaptée aux réalités, ce que le chef de l’État semble appeler de tous ses vœux, mais également et surtout une administration d’État en mesure d’instaurer une réelle efficacité de ses services à l’égard des outre-mer.
Actuellement, pour se donner bonne conscience, on se contente de brandir les chiffres mettant en évidence le coût des outre-mer et, corrélativement, l’apport significatif de l’État. Mais quid des objectifs ? Quid des évaluations ? Quid des résultats ? La seule certitude est que nous nous trouvons face à un constat d’échec, un constat d’enlisement, qui se définit, notamment, par un retard de développement économique important et par un taux de chômage réel très supérieur à celui de la métropole : le niveau de chômage reste, dans les DOM, près de trois fois supérieur à la moyenne nationale, mais aussi à la moyenne des régions d’Europe.
C’est un chômage qui touche en premier lieu les jeunes puisque plus de 50 % d’entre eux sont au chômage.
Ce phénomène est d’autant plus alarmant que la population ultramarine est particulièrement jeune. Dans les DOM, les jeunes représentent 34 % de la population contre 25 % dans l’hexagone !
Ce constat d’enlisement se caractérise également par une hétérogénéité importante des résultats scolaires et par des perspectives d’insertion dans le monde professionnel extrêmement réduites.
Il se caractérise, enfin, par une aggravation des risques environnementaux, notamment en termes de pollution et de développement urbain.
Si l’on n’y prend garde, cette situation s’avérera vite apocalyptique, d’autant que les perspectives démographiques laissent penser que les défis de gestion publique iront croissant à court et à moyen termes.
En effet, la population française concernée, celle des outre-mer, représente plus de 2, 7 millions d’habitants. Or, si la population française a progressé de 50 % entre la fin des années quarante et aujourd’hui, celle des outre-mer a plus que triplé.
Plus que d’annonces, nous avons besoin de mesures réelles qui trouvent leur assise dans les documents budgétaires et dont l’application ne sera pas entravée pour une raison quelconque, comme c’est le cas de la loi pour le développement économique de l’outre-mer, la LODEOM.
Ce texte, voté depuis mai dernier, avait pour mission de répondre à la crise qui secouait les outre-mer en prévoyant des moyens financiers supplémentaires. Les décrets d’application ne sont toujours pas publiés et les dispositions contenues dans la loi ne sont, par conséquent, toujours pas applicables.
Pour ces raisons, nous attendions des signes forts dans le projet de loi de finances pour 2010. Or nous n’y trouvons rien d’exceptionnel.
Les chiffres pour les outre-mer sont quasiment identiques et ne connaissent aucune variation notable, exception faite des compensations aux organismes de sécurité sociale qui consomment, tout de même, près de 60 % du budget de la mission « Outre-mer ».
Tout au contraire, certaines mesures du projet de loi de finances pour 2010 aggraveront les difficultés des collectivités d’outre-mer. Celles-ci, qui connaissent déjà une situation difficile en raison de la faiblesse de leurs ressources fiscales, vont subir de plein fouet la suppression de la taxe professionnelle.
Il avait déjà été souligné lors de la LODEOM que les importantes exonérations de fiscalité directe locale prévues par la loi réduiraient d’autant l’effet de levier fiscal que cet impôt constitue pour les collectivités locales.
En effet, les zones franches d’activités, les ZFA, mises en place par la LODEOM s’accompagnent d’exonérations substantielles de taxe professionnelle. Ces pertes de recettes seront compensées par l’État, mais sur la base des taux votés l’année précédant l’entrée en vigueur des exonérations.
Par conséquent, une hausse des taux de fiscalité locale se traduira par une moindre hausse des recettes. À terme, le risque est d’avoir à augmenter les taux des autres impôts locaux pour pallier le manque à gagner résultant de la compensation par l’État des exonérations fiscales.
Je tiens à rappeler que le montant de la taxe professionnelle recouvré dans les seuls DOM en 2007 s’est élevé à 518 millions d’euros.
L’application de la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, sur les déchets, en dépit de nombreuses interventions pour que cette dernière soit différée et revue à la baisse portera, elle aussi, un grand coup aux finances des collectivités locales.
Le projet de loi de finances pour 2010 accroîtra également les difficultés quotidiennes des ultramarins en raison des conséquences négatives qu’il aura sur le maintien du pouvoir d’achat.
Je pense, notamment, à l’augmentation du prix de l’essence via, entre autres, l’institution de la taxe carbone.
Je pense également au report maintenu de l’application du revenu de solidarité active, le RSA, en 2011, et donc au maintien du revenu supplémentaire temporaire d’activité, le RSTA, dispositif moins favorable aux populations ultramarines et moins avantageux dans la grande majorité des cas que le RSA.
Je pense, enfin, cerise sur le gâteau, à l’imputation des sommes perçues au titre du RSTA sur le montant de la prime pour l’emploi, la PPE, prévue à l’article 11 du projet de loi de finances pour 2010 !
Imputer le RSTA, qui est un complément de revenu, sur la PPE pénaliserait encore d’avantage les salariés moins favorisés des outre-mer. Par ce biais, l’État récupérera 300 millions d’euros jusqu’ici versés aux employés ultramarins !
La dégradation du pouvoir d’achat est un sujet très sensible, voire brûlant, pour les populations ultramarines : avec des revenus inférieurs à ceux de la métropole de près de 10 % pour les emplois les moins qualifiés, qui sont également les plus nombreux, elles doivent faire face à des prix parfois jusqu’à 35 % plus élevés qu’en métropole pour des produits de première nécessité.
C'est pourquoi la question du pouvoir d’achat a été le détonateur et le catalyseur des revendications formulées lors des mouvements sociaux de cette année.
Les mesures annoncées récemment par le chef de l’État, à la suite du conseil interministériel de l’outre-mer, changeront-elles la donne ?