« Il faut donc élever une barrière : tel est l’objet de l’article 6, dont, pour l’essentiel, j’approuve les dispositions.
« Cette barrière, mes chers collègues, doit être solide, car la pente naturelle des administrations centrales de l’État est de refuser le maintien du lien entre l’élu local et les citoyens qui paient l’impôt, comme elle les conduit à refuser de réformer la fiscalité locale et à remplacer les impôts locaux par des dotations budgétaires. »
Il n’est que de voir comment le RSA ou l’APA sont compensés aux collectivités territoriales pour mesurer combien tout cela a été suivi d’effet ! Mais je vous fais grâce d’une autre citation de M. Fourcade à ce propos.
Tous ces débats furent, en quelque sorte, conclus à Versailles lors de la réunion du Congrès où le Premier ministre d’alors, Jean-Pierre Raffarin, aujourd’hui revenu parmi nous pour nous faire bénéficier de son expérience et de son expertise, indiquait notamment : « Le premier principe est celui d’autonomie financière : les collectivités “disposent librement de leurs ressources, dans les conditions fixées par la loi”.
« Le deuxième, très important, est celui de juste compensation : les transferts seront financés loyalement. Chaque transfert de compétence s’accompagnera du transfert des moyens humains et financiers correspondants. Nous voulons sincèrement rétablir la confiance entre l’État et les collectivités. Le juge constitutionnel empêchera les décentralisations de charges qui n’auront pas été préalablement financées.
« Troisième principe : l’autonomie fiscale. La part des ressources propres des collectivités dans le total de leurs ressources devra être “déterminante”.
« En privilégiant le transfert des recettes fiscales sur celui des dotations, nous responsabiliserons les élus, qui pourront rendre des comptes aux contribuables sur les dépenses financées par l’argent public. Des élus dotés d’une liberté d’initiative, mais qui rendent des comptes aux électeurs, voilà notre conception de la décentralisation. »
Nous sommes aujourd’hui dans un autre cas de figure. Nous sommes face à un projet de loi qui, pour être un projet de loi de finances, n’a évidemment pas la même portée qu’un texte de nature constitutionnelle et comporte des dispositions beaucoup plus précises. Or celles-ci mettent à mal à la fois l’organisation décentralisée de la République et le principe d’autonomie des collectivités locales, deux concepts pleinement constitutionnels.
La répartition de la cotisation complémentaire assise sur la valeur ajoutée prioritairement en faveur des départements et des régions ne marque-t-elle pas le remplacement d’une recette fiscale antérieure par une simple dotation budgétaire qui se révélera très vite insuffisante et ne tardera pas à être aussi « normée » que les autres ?
Que signifie l’encadrement des dotations de compensation de la fiscalité directe locale, tel qu’il est par l’article 16, par rapport à la libre fixation des ressources et au droit de lever l’impôt ?
Le montage juridique douteux de l’article 27 ne montre-t-il pas, que, encore une fois, la charge indûment transférée aux collectivités locales ne sera pas compensée intégralement ?
La création de la taxe carbone ne se traduit-elle pas par une nouvelle ponction obligatoire sur les ressources des collectivités locales ?
Au demeurant, l’encadrement des concours financiers de l’État aux collectivités locales, frappant à la fois dotations budgétaires et compensations fiscales, conduit à mettre en cause le principe de libre autonomie.
Nous avons indiqué que, dans le champ de la fiscalité, où les choses sont déjà fortement encadrées, la cotisation complémentaire échappait totalement au pouvoir des élus locaux de lever l’impôt.
De fait, l’article 2 du projet de loi, même dans la rédaction proposée par le rapporteur général, établit clairement que les règles de définition de la contribution complémentaire des entreprises ne seront plus fixées localement et que tout effort de développement économique local sera pratiquement sans effet sur la situation de ressources de la commune.
Ainsi, les efforts consentis par une collectivité pour attirer une entreprise ou lui offrir des possibilités d’extension de ses activités pourront fort bien se traduire par un accroissement du produit fiscal perçu par une autre collectivité, voire par toutes les autres collectivités !
Des ressources sur lesquelles les élus locaux auront moins de capacité de décision, des dépenses contraintes de plus en plus lourdes – ce qui explique que les départements les plus soumis au versement de l’APA du fait du vieillissement de leur population se retrouvent aujourd’hui en quasi-cessation de paiements –, voilà ce qui est au cœur de ce projet de loi de finances et qui fait de l’article 72-2 du texte constitutionnel une simple déclaration de principe.
À la vérité, ce rappel de quelques données de base pourrait suffire à conduire le Sénat à voter la présente motion et ainsi, à alléger quelque peu le travail parlementaire, singulièrement chargé ces temps-ci. Mais d’autres éléments nous paraissent mériter d’être avancés à l’appui de cette motion.
Ainsi, le principe d’égalité devant l’impôt, inscrit dans le bloc de constitutionnalité par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, est encore une fois battu en brèche. Où est, en effet, l’égalité devant l’impôt quand on crée une taxe carbone dont sont dispensés certains contribuables et pour laquelle certains autres peuvent obtenir une réparation plus élevée que les autres ?
Par exemple, un artisan acquittant la taxe carbone pourra imputer celle-ci sur sa nouvelle cotisation locale d’activité, alors qu’un salarié ne pourra pas bénéficier d’un tel traitement. Quant au remboursement forfaitaire, il est l’illustration parfaite de la disposition qui méconnaît la capacité contributive de chacun.
Une taxe inégalitaire et inégalement remboursée, voilà qui fait beaucoup !
De même, la persistance de dispositifs réservés, pudiquement qualifiés de « niches fiscales », qui ne concernent in fine qu’un nombre très réduit de personnes, comme nous le voyons avec les articles relatifs à l’ISF, montre clairement une nouvelle mise en cause du principe d’égalité.
Enfin, rappelons, même si c’est l’évidence, que la politique financière et fiscale du Gouvernement ne respecte pas ce fondement de la République : la loi se doit d’être l’expression de l’intérêt général.
Pour conclure, nous comptons sur vous, monsieur le président Arthuis, monsieur le rapporteur général, madame la ministre, monsieur le ministre, pour répondre sans détours à l’argument premier qui fonde cette motion : le présent projet de loi de finances met-il, oui ou non, en cause le principe constitutionnel d’autonomie financière des collectivités locales ?
Oserez-vous prétendre que non ? Je n’en doute pas, mais j’attends avec curiosité que vous m’expliquiez pourquoi, ainsi qu’aux milliers d’élus locaux de tous bords qui ont bien perçu l’exercice de recentralisation, de reconcentration devrais-je dire, autour d’une seule institution, d’un seul homme, le Président de la République.
La mise au pas financière des collectivités locales constitue bien une rupture : une rupture au profit de l’exécutif et de son chef, Nicolas Sarkozy.