Intervention de François Marc

Réunion du 19 novembre 2009 à 22h15
Loi de finances pour 2010 — Débat général sur les recettes des collectivités territoriales et la suppression de la taxe professionnelle

Photo de François MarcFrançois Marc :

« Il n’y a pas de fronde ! » Voilà en substance, madame la ministre, la déclaration que vous avez faite à la presse, le samedi 14 novembre, à propos de l’attitude des élus locaux face à votre réforme des finances locales. Vous avez pourtant été largement démentie ces derniers jours, tant lors de la réunion nationale des conseillers généraux, lundi dernier, qu’à l’occasion du congrès des maires !

Il est vrai que l’enjeu est considérable, non seulement sur le plan financier, puisqu’il est question de déplacer quelque 29 milliards d’euros de recettes des collectivités, mais aussi en termes de décentralisation, d’autonomie et de services publics de proximité.

Je ne peux manquer de le souligner ici, en réclamant la préservation d’une autonomie financière garantie par la Constitution depuis 2004, il ne vient à l’idée d’aucun élu de chercher à « organiser la féodalité », comme vous l’avez laissé entendre dans cette même déclaration à la presse.

Tous les élus locaux et territoriaux sont aujourd’hui profondément inquiets. À mes yeux, ils ont légitimement raison de l’être.

Je voudrais ici vous livrer quatre témoignages que j’ai recueillis lundi et mardi derniers auprès de maires de mon département.

Premier témoignage : « Nous comptons sur un même niveau de ressources pour 2010. Néanmoins, nous faisons déjà des coupes sur le budget consacré aux études de lancement d’investissements [prévues dans la programmation pluriannuelle des investissements] : celle qui est consacrée au périmètre du captage d’eau, à la rénovation de la salle municipale, [etc.] ».

Deuxième témoignage : « Nous disposons d’une friche industrielle de 1 hectare que nous voulons raser pour construire des logements sociaux. Compte tenu des perspectives de diminution des financements croisés [et donc d’une perte de subvention programmée en provenance du conseil général], nous sommes devenus plus frileux sur ce projet ».

Troisième témoignage : « La prudence nous conduit à anticiper une baisse des recettes de fonctionnement. Le projet de développer l'enseignement musical à l’école va donc être suspendu. […] Nous avons également annulé les actions d’animation type séjours de 4 jours en camping. Le manque de garanties sur la pérennité de nos recettes fiscales nous conduit [de fait à réduire les dépenses d’animation jeunesse.] ».

Enfin, quatrième et dernier témoignage, celui d’un maire qui est également président d’une communauté de communes : « Nous avons suspendu les discussions budgétaires et toute nouvelle décision d’investissement. Mais quelle que soit l’issue de la réforme, même si la TP est compensée, nous savons que la dynamique propre des ressources fiscales n’est plus assurée dans le long terme. » Dans la mesure où il est hors de question pour lui d’augmenter la fiscalité des ménages, déjà très sollicités en période de crise, il précise : « Nous sommes une des collectivités qui consacrent le plus de moyens à l’action économique. Nous investirons tout simplement moins dans l’accueil des entreprises. Ces dernières en sont conscientes d’ailleurs : certaines d’entre elles nous manifestent leurs inquiétudes ».

Ces quatre témoignages illustrent, de façon très concrète, l’inquiétude palpable des élus locaux face à une réforme, qui, en faisant peser incontestablement de graves incertitudes sur les recettes, confond véritablement la fin et les moyens.

Cette réforme n’est, en définitive, qu’un sous-produit de la promesse du Président de la République de supprimer la taxe professionnelle pour les entreprises. Pour la tenir, il a fallu imaginer en catastrophe un processus de redistribution des recettes aux collectivités. Tout le problème, bien sûr, réside dans le fait que le dispositif manque de visibilité.

Face aux angoisses et aux inquiétudes couramment exprimées, il convient de placer cette suppression de la taxe professionnelle dans la perspective d’une réforme globale des finances locales, que nous considérons nous aussi comme une nécessité.

Cela fait d’ailleurs maintenant quelques années que nous présentons, ici même, un certain nombre de lignes d’action envisageables. Je rappellerai brièvement les principes que nous avons ainsi mis en avant.

Premier principe : respecter l’esprit de la décentralisation et de la nécessaire autonomie fiscale des collectivités, qui doivent rester en capacité de fixer les taux d’imposition.

Deuxième principe : respecter l’équilibre actuel, proche de la parité, entre les ressources fiscales provenant des entreprises et des ménages, équilibre que la réforme proposée par le Gouvernement conduit incontestablement à rompre.

Troisième principe : réévaluation générale des valeurs locatives qui servent au calcul des bases d’imposition, eu égard aux injustices criantes observées sur tout le territoire.

Quatrième principe : mieux prendre en compte le revenu des contribuables. À cet égard, nous avons proposé l’instauration au profit des départements d’une part de CSG supplémentaire, pour leur permettre de financer leurs compétences sociales.

Cinquième principe : accentuer l’effort de péréquation verticale en consacrant à la composante « péréquation » une part accrue de la DGF, qui passerait de 10 % à 20 %.

Enfin, sixième principe d’action : lutter contre la cristallisation des inégalités de ressources, en mettant en œuvre des mécanismes de péréquation horizontale.

Madame la ministre, monsieur le ministre, depuis trois ans, toutes les propositions issues de nos rangs et qui ont été débattues au Sénat ont été rejetées par votre gouvernement. Voici un florilège de ce que nous avons entendu : « Vos propositions ne sont pas inintéressantes, mais elles ne sont pas mûres » ; « on ne sait pas où l’on va réellement car vous n’avez pas fait de simulations ni de projections fiables » ; « ces propositions viennent trop tôt. » Il nous a même été rétorqué, de façon plus catégorique encore : « Vos propositions sont inabouties, voire improvisées ».

Mes chers collègues, il est pour le moins savoureux de constater aujourd’hui que l’improvisation qui nous était hier reprochée imprègne la démarche du Gouvernement jusqu’à la caricature.

L’improvisation est en effet telle que le Sénat se voit contraint, pour l’une des premières fois de son histoire, de préconiser le report à l’année à venir de l’examen approfondi d’un article fondamental du projet de loi de finances pour 2010, du moins de certains de ses alinéas.

On ne peut que constater, au surplus, que cette proposition de réforme des finances locales ne s’inscrit dans aucune logique d’ensemble, en ce qui concerne tant la redéfinition des compétences territoriales que l’acceptation d’une décentralisation clairement assumée.

À cet égard, les marchandages auxquels il nous est donné d’assister depuis quelques semaines au sujet de l’affectation entre strates des différentes catégories d’impôt illustrent, plus qu’il n’en est besoin, l’esprit purement boutiquier d’un projet de réforme bricolé à la hâte. Ce dernier manque incontestablement de souffle et d’ambition : il laisse les 500 000 élus locaux de France totalement désarçonnés, pour ne pas dire démotivés.

En faisant lourdement déchoir l’autonomie financière des collectivités, le projet de réforme ne risque-t-il pas de mettre à mal les équilibres de notre République décentralisée ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion