Intervention de Guy Fischer

Réunion du 11 février 2010 à 9h00
Indemnités journalières versées aux victimes d'accident du travail — Article 3

Photo de Guy FischerGuy Fischer :

Je vous remercie de cette magnanimité, madame la présidente !

Selon la directrice de l’Institut national d’études démographiques, l’INED, la mortalité par cancer du pharynx est dix fois plus élevée dans les classes défavorisées que dans les autres. À consommation de tabac et d’alcool égale, un travailleur manuel court deux fois plus de risques de mourir d’un cancer des voies digestives supérieures qu’un non-manuel. Ce sont des statistiques indiscutables et indiscutées. Ces inégalités ont d'ailleurs été jugées « inacceptables » par le Président de la République lors de la présentation du nouveau plan cancer.

Je voudrais évoquer un exemple précis, pris dans mon département, celui des anciens verriers de Givors. J’ai reçu à de très nombreuses reprises des représentants de leur association et je me suis rendu sur le site de production, aujourd'hui fermé. L’envoi de 645 questionnaires à d’anciens salariés de la verrerie en vue de réaliser une enquête sur leur état de santé a permis d’obtenir 208 réponses exploitables : il en ressort que 127 de ces anciens ouvriers sont malades ou décédés, une centaine de cas de cancer étant répertoriés, touchant les poumons, l’appareil digestif, le foie, la sphère ORL ou l’intestin. Le taux de prévalence du cancer observé est dix fois supérieur à celui qui a été mesuré par l’enquête ESTEVE, réalisée de 1990 à 1995 dans sept régions par 400 médecins du travail sur 21 000 salariés appartenant à quatre tranches d’âge différentes.

Les anciens verriers de Givors présentent également un nombre très important de pathologies cardiaques, respiratoires et neurologiques, tandis que des morts subites inexpliquées ont été constatées.

Dans l’industrie du verre, les postes les plus exposés sont ceux où l’on utilise des produits chimiques, dont certains sont cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques. Plusieurs sources officielles convergent en ce sens, que ce soit le site du ministère du travail, les certificats de la médecine du travail de Givors, le site du ministère de l’écologie, faisant état de la pollution du site industriel VMC de Givors, le rapport Blondel, remis le 24 septembre 2004 à la demande du préfet, sur l’analyse des sols dudit site et l’arrêté préfectoral du 6 mars 2006 prescrivant les servitudes relatives à l’utilisation du sol et du sous-sol.

Nous observons, avec regret, que les sols pollués font l’objet de directives, d’analyses, de contrôles approfondis, d’arrêtés préfectoraux relatifs aux servitudes attachées aux usages futurs des sols pollués – certaines très restrictives, pouvant aller jusqu’à l’interdiction –, mais que ces recommandations ne sont jamais accompagnées d’études épidémiologiques, de directives de suivi des anciens salariés. Cette carence a été soulignée lors d’une réunion qui s’est tenue à la mairie de Givors, en présence de représentants de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, la DDASS, de la médecine du travail et de la direction départementale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle.

Même la sécurité sociale refuse de reconnaître les cancers des verriers en tant que tels, sous prétexte que les malades ne peuvent produire l’attestation individuelle d’exposition aux produits toxiques que doivent fournir les employeurs. En effet, le groupe OI Manufacturing, acquéreur de BSN Glasspack à la suite d’un montage financier mis en place par le groupe Danone pour se débarrasser des verreries du groupe, se refuse à honorer les obligations édictées par le code du travail.

Les victimes se voient contraintes de faire appel à la justice pour que soient reconnus leurs droits. Dès lors, la question suivante se pose au législateur et aux services de l’État : quelles mesures prendre pour faire respecter le droit du travail, le droit au suivi médical, y compris pour les anciens salariés d’entreprises ayant cessé leur activité, qu’ils travaillent encore dans d’autres branches industrielles ou non ? Quelles dispositions la sécurité sociale pourrait-elle envisager, de son côté, afin que soient reconnus, malgré tout, les droits des victimes ? Ne serait-elle pas en mesure de diligenter les enquêtes nécessaires à cette fin ? Par ailleurs, quelles mesures spécifiques de suivi médical mettre en place pour les populations vivant à proximité des sites où l’activité industrielle a pollué les rivières, les sols, l’atmosphère ?

Les salariés précaires, ceux des sous-traitants, les anciens stagiaires sont également concernés : ils sont nombreux à avoir travaillé quelques jours ou quelques semaines dans la verrerie, quelquefois dans des conditions sanitaires plus dégradées que les salariés permanents de l’entreprise. Quelles mesures particulières prendre à leur égard ?

En mémoire des anciens salariés décédés, en hommage à ceux qui survivent avec un cancer et ressentent douloureusement, dans leur chair, les conséquences des conditions de travail qu’ils ont connues, je tenais, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à vous présenter cet exemple concret, afin de vous montrer qu’il est vraiment nécessaire que le régime d’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles évolue vers une réparation intégrale de l’ensemble des préjudices liés aux risques professionnels.

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