Intervention de Marie-Christine Blandin

Réunion du 28 octobre 2010 à 9h00
Œuvres visuelles orphelines — Adoption d'une proposition de loi

Photo de Marie-Christine BlandinMarie-Christine Blandin, auteur de la proposition de loi :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat n’est pas insensible aux droits du créateur et de la photographie. Il s’est d’ailleurs exprimé il y a quelques semaines sur la réalisation des photos d’identité dans les mairies et son impact dommageable pour les artisans photographes installés dans nos villes, profession en proie à de nombreuses difficultés. Ce sujet avait été abordé en commission des finances sur l’initiative de Mme Michèle André et de M. Philippe Marini.

Le choix du Sénat de donner à voir de grands tirages sur les grilles du jardin du Luxembourg, contribue à la diffusion et à la démocratisation de la photographie auprès du grand public. L’exposition de Yann Arthus-Bertrand a été vue par plus de deux millions de visiteurs.

Le métier de photoreporter fait rêver beaucoup de jeunes et ces ambitions font souvent la fierté des parents. L’empathie des Français pour Stéphane Taponier et Hervé Ghesquière, auxquels nous pensons, serait la même pour des preneurs d’images, car nous avons besoin de leurs photographies et de leurs reportages. Ils sont nos yeux sur le monde. Nous leur devons solidarité.

L’engouement pour cette profession dans ses multiples facettes ne doit pas faire oublier les grandes difficultés auxquelles elle est confrontée.

Pour des raisons d’économies, de nombreux titres de presse n’ont plus de service propre sur l’image. Des collectifs ont disparu, comme l’Œil Public. Des agences se sont trouvées en redressement judiciaire, notamment Rapho, Gamma, Explorer.

Des photothèques complètes ont été rachetées, au risque que la gestion des œuvres ne se fasse pas dans le respect des droits d’auteur.

Le passage au numérique a certes éliminé la pellicule, le développement, le tirage, la matière chimique associée à ce procédé. Cependant, le nouveau matériel requis est particulièrement coûteux : 3 000 euros pour un boîtier, 1 500 euros pour un objectif, 2 000 euros pour un grand angle et 5 000 euros pour un bon téléobjectif. Or, comme les ordinateurs, ce matériel évolue à un rythme rapide et devient vite obsolète.

N’oublions pas non plus l’acquisition d’une multitude de logiciels à plus de 1 000 euros et leurs versions successives. L’archivage des données numériques exige en effet de grandes capacités de mémoire, qu’il faut doubler, puisqu’il est recommandé de garantir leur intégrité en les changeant de support tous les ans.

L’investissement de départ a donc été multiplié par trois sans que les commandes de reportage ou les prix de l’utilisation d’une image aient évolué, au contraire ! De plus, le métier a changé : de preneur de vue, le photographe est également devenu informaticien, tireur et chromiste à domicile.

Dans ce contexte, l’objet de cette proposition de loi est très modeste : mettre un terme aux pratiques opportunistes, cyniques ou simplement négligentes de certains éditeurs.

Quand une photographie est publiée, le droit moral de l’auteur se traduit par la mention de son nom ; son droit patrimonial se traduit par une rémunération. En outre, la cession n’est pas définitive, l’usage en est précisé.

La mention « DR », droits réservés, recouvre pour partie le cas des œuvres dont l’éditeur ne connaît pas l’auteur.

Or, de plus en plus fréquemment, des photographies sont exploitées gratuitement, sous prétexte que les auteurs ou leurs ayants droit sont inconnus ou non identifiables. Loin de s’évertuer à chercher la signature possible, nombre de services utilisent cette facilité, par économie de temps et parfois de moyens. La commodité se transmet d’iconographes mal formés en stagiaires mal avertis dans le dialogue raccourci d’une grande banalité : « C’est qui le photographe ? Ne perds pas de temps, écris DR ! ».

Les exemples sont nombreux. Je pense à cette célèbre photographie, de Marc Riboud, d’une jeune fille tenant une fleur près de son visage face aux baïonnettes, récemment publiée dans un quotidien français, abusivement flanquée de la mention « DR ». Mais je pense également aux professionnels qui n’ont pas la même reconnaissance que Riboud ou Cartier-Bresson. Leurs reportages, leurs images sont leur création et leur source de revenu. C’est souvent le métier qu’ils ont choisi et dont ils veulent vivre. Ils se font spolier et priver de la rémunération due pour l’exploitation de leurs images, bien davantage que les auteurs de l’écrit. Il s’institue une concurrence fatale entre leurs œuvres vendues et leurs œuvres détournées et utilisées sans leur aval, donc gratuites.

Cette situation n’est pas anecdotique. Le suivi par l’Union des photographes professionnels pendant plusieurs semaines d’un célèbre hebdomadaire, pourtant réputé pour son goût de la culture, a abouti à un décompte moyen de 60 photographies avec la mention « DR » et 53 sans mention, sur 176 clichés au total. L’esprit du code de la propriété intellectuelle n’est plus respecté qu’à 38 % !

La proposition de loi que nous vous invitons à adopter vise à combler les lacunes de la législation actuelle. Nous parlons en effet ici d’un droit inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui dispose dans son article 27 que « Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur ».

Dans l’état du droit, le fait de ne pas identifier l’auteur d’une photographie ne justifie absolument pas l’utilisation de la mention « droits réservés ». En effet, l’article L. 122–9 du code de la propriété intellectuelle prévoit seulement la possibilité de saisir un juge et de lui demander l’autorisation d’utiliser l’œuvre.

La mention « droits réservés » est devenue un moyen répandu de contourner la loi. Utilisée sans excès, elle aurait pu être protectrice des professionnels. Telle n’est pas la réalité.

Compter sur une procédure judiciaire qui ne permet pas une identification efficace des auteurs ou des ayants droit n’est pas tenable. En outre, le juge ne l’acceptera que si la demande est justifiée par un motif légitime. Par ailleurs, il exigera le versement d’une redevance au titre des droits d’auteur à une société de gestion collective des droits d’auteur.

La justice est encombrée. Elle est là pour régler les litiges, non pour faire de la gestion.

Face à la mention « DR », solution de facilité au mépris des droits attachés à l’œuvre, nous vous proposons un texte de clarification des principes par la définition et la promotion d’un dispositif simple de perception. Il est urgent de mettre fin au pillage !

L’article 1er de cette proposition de loi tend à inscrire au sein du code de la propriété intellectuelle une véritable définition de l’œuvre orpheline. Face au vide juridique actuel, il devient urgent de clarifier la situation afin que les auteurs ou leurs ayants droit puissent faire valoir les droits qui s’y attachent.

L’article 2 met en place de nouvelles dispositions pour l’exploitation des droits attachés à une œuvre visuelle orpheline.

Ainsi, il est prévu de confier la gestion de l’exploitation d’une œuvre visuelle orpheline à une société d’auteurs. Ce sera au ministère de la culture de l’agréer. Au demeurant, point n’est besoin de créer une nouvelle structure.

Cette société devra être en mesure de faire constater les utilisations illicites selon des règles qu’elle appliquera et de faire payer les usages abusifs. Elle se bornera aux œuvres visuelles orphelines, sinon elle deviendrait coresponsable de contrefaçon au préjudice des auteurs qui n’auraient pas été recherchés et elle risquerait de perdre son agrément.

La gestion collective obligatoire apporte une véritable sécurité : elle permet de valoriser l’usage des photographies orphelines et évite une collecte individuelle par les titulaires des droits de la rémunération due. Il est en effet impossible à un photographe indépendant, en plus de ses reportages et de ses sélections, de feuilleter régulièrement la presse quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle, ainsi que les livres, pour voir si l’un de ses clichés n’y figurerait pas, sans son autorisation.

Dès que les auteurs ou leurs ayants droit auront été identifiés, la société de gestion collective leur reversera les sommes récoltées. Un délai de prescription de dix ans laissera le temps aux auteurs de réclamer la part due pour la rémunération de leur œuvre. Ce délai peut être débattu. À défaut de trouver l’auteur, cette manne permettra le financement d’actions de formation ou d’aides à la création. Je pense que le commencement souhaitable serait de qualifier sa plateforme d’information, permettant de consulter les œuvres en attente.

En cas de découverte de l’auteur, il est prévu une procédure de réversion, qui mettra fin à l’obligation de gestion collective. Ce mécanisme apportera une nouvelle sécurité juridique non seulement à l’auteur, mais également à l’éditeur.

Cette proposition de loi a reçu le soutien d’un grand nombre de photographes professionnels comme Jane Evelyn Atwood, Sebastiao Salgado, William Klein ou Reza.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous pressons à leurs expositions à la Bibliothèque nationale, au Centre Pompidou, à la Villette. Ces manifestations sont soutenues par des fonds publics. La cohérence veut que l’on entende leur demande unanime.

Toute la profession s’est investie sur le sujet. La pétition a reçu 14 000 signatures, dont 5 000 de professionnels.

Certes, une directive, que le rapporteur nous annonce pour le 23 novembre, va arriver. Toutefois, on le sait, elle ne changera pas grand-chose pour l’avenir proche. Elle ne sera pas transposée avant plusieurs années, notamment parce qu’elle portera sur d’autres secteurs de la création tels que l’écrit et l’audiovisuel. De plus, l’instauration d’une gestion collective obligatoire suppose que soit pris en compte l’état des régimes juridiques applicables dans les États membres.

Souvenez-vous de la directive sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information. Publiée en 2001, elle n’a été transposée qu’en 2006 avec la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, dite loi DADVSI. Ce type de délai serait une catastrophe pour la photographie.

Sur d’autres sujets, bien plus graves, le président n’a-t-il pas répondu à la commission que point n’était besoin de transposer, puisque notre législation était déjà en cohérence avec les lignes de la directive ?

Depuis Beaumarchais, la France a toujours été en avance sur la définition et la protection des droits d’auteur, moraux ou patrimoniaux. Par effet bénéfique collatéral, l’attention du Sénat portée à la bibliothèque Richelieu ou à l’INA, l’Institut national de l’audiovisuel, a permis la conservation de tirages prestigieux. Nous devons, pièce par pièce, poursuivre dans cette voie qui honore la diversité culturelle.

Mes chers collègues, nous nous sommes opposés sur la loi DADVSI, et même sur la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, dite loi HADOPI. Nous voulions tous protéger les auteurs, les uns à tout prix – vous en étiez monsieur le président de la commission et monsieur le rapporteur –, …

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