Intervention de Ivan Renar

Réunion du 28 octobre 2010 à 9h00
Œuvres visuelles orphelines — Adoption d'une proposition de loi

Photo de Ivan RenarIvan Renar :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la photographie, dans sa riche diversité, rencontre un engouement public qui ne se dément pas. Sur le marché de l’art, certains clichés atteignent des prix faramineux. Et pourtant nous assistons paradoxalement à une paupérisation des photographes professionnels qui ne fait que s’accentuer d’année en année, comme en témoigne la mise à mal de nombre d’agences ou de collectifs de photographes, dont beaucoup ont dû mettre la clé sous la porte malgré leur notoriété internationale.

C’est pourquoi cette proposition de loi, même si elle ne résout pas tout, est vraiment indispensable pour que le métier de photographe ne disparaisse pas, tant il est malmené aujourd’hui en raison notamment de la baisse des revenus liée à la spoliation des droits d’auteur.

Alors que notre société ne peut pas se passer de l’image, devenue omniprésente, comment accepter que l’on puisse bafouer les droits de ceux qui la produisent ? Comme pour la musique, la « culture de la gratuité » est une véritable calamité pour la photo. Et cette proposition de loi vise bien à stopper l’usage massif des images prises en ligne et exploitées sans l’accord de leur auteur ou des ayants droit.

Quelle que soit la nature de leurs activités, en effet très diversifiées, les photographes sont soumis aux pressions de tous les utilisateurs d’images, qu’ils soient privés ou institutionnels. Il est malheureusement devenu banal que des photos soient publiées à l’insu des photographes, bafouant ainsi le droit de la propriété littéraire et artistique. Bien trop de diffuseurs et d’éditeurs préfèrent passer outre l’étape de l’identification de l’auteur, ignorant ainsi à bon compte le respect du droit d’auteur, qui est – on ne le répétera jamais assez – un droit à la fois patrimonial et moral.

C’est pourquoi notre groupe est favorable à l’ensemble des dispositions de la présente proposition de loi, qui constitue une avancée considérable. Il est en effet nécessaire de prévoir sans tarder un dispositif permettant de rendre licites l’exploitation des œuvres visuelles orphelines et, par voie de conséquence, la gestion collective obligatoire des droits attachés à celles-ci.

Cette proposition de loi est un premier jalon, ce qui ne nous empêchera pas de légiférer, peut-être dans un deuxième temps, sur les œuvres orphelines écrites. Celles-ci aussi ont besoin d’un cadre légal et de la création d’une instance publique de gestion de leurs droits, comme je l’ai ardemment prôné lors du débat sur la numérisation des livres. Mais l’urgence aujourd’hui est bien d’avancer sur les images fixes, compte tenu des abus constatés, qui sont lourds de conséquence.

Ces dernières années, la photo, comme l’ensemble des disciplines artistiques, a été bouleversée par le développement du numérique et d’Internet. Mais indépendamment de ces facteurs technologiques, les violations du droit ont largement contribué à la précarisation des photographes professionnels. D’où l’importance de prévenir cette pratique de la mention DR, qui, comme le formule si bien le président de l’Union des photographes professionnels – cela a été rappelé –, est devenue synonyme de « droit à rien ».

Les rémunérations des photographes ont fortement chuté. La crise profonde que traversent les médias, et la presse en particulier, pousse à la remise en cause de la réutilisation des images. Il n’est pas acceptable que de plus en plus de diffuseurs imposent des contrats prédateurs aux auteurs. La logique aujourd’hui devenue dominante est celle de la cession totale des droits d’auteur au bénéfice du commanditaire. C’est un glissement vers le copyright nord-américain qui dénie notre code de la propriété intellectuelle. Les photographes sont de plus en plus contraints de renoncer à leurs droits d’auteur, dès lors que leur travail a été rétribué. C’est ainsi que nombre de photos publicitaires, promotionnelles, etc. deviennent orphelines, en trompe l’œil, en quelque sorte.

Et que dire de l’apparition de photothèques proposant des images « libres de droits », alors même que cette notion n’est pas légale en France ? Elles ont bien vocation à être traitées sous le régime juridique des œuvres orphelines.

Par ailleurs, il est particulièrement inquiétant que la quasi-totalité de la mémoire et du patrimoine visuels du monde soit devenue la propriété d’une poignée de multinationales. Monsieur le ministre, ces « banques d’images » portent bien leur nom : elles s’accaparent un maximum de droits d’exploitation des œuvres, concentrant ainsi le patrimoine iconographique mondial. Ce qu’elles achètent, ce n’est pas tant le support matériel que le monopole exclusif d’exploiter la mémoire collective de l’humanité !

De plus, les différents acteurs de l’édition ont trop tendance à se fournir en photos gratuites ou presque, au travers des services de presse, des agences de communication ou directement sur Internet via les plateformes d’échanges, ou encore en passant par des fonds « microstocks », qui proposent des photos à moins de 1 euro.

C’est pourquoi je me réjouis de la mobilisation des nombreux photographes qui ont travaillé sur la « charte de la photographie équitable », véritable vade-mecum éthique pour tous les usagers. C’est un outil pertinent, mais qui ne suffit pas, d’où toute l’importance d’adopter cette proposition de loi dans son intégralité.

Celle-ci est une première étape qui devrait améliorer les relations entre éditeurs et auteurs, avec des solutions équitables pour sortir de la tendance actuelle du tout gratuit.

Quand on parle d’œuvres visuelles, cela inclut également les œuvres graphiques ou d’illustration, le dessin, la reproduction d’œuvres d’art, notamment.

Il faudra, me semble-t-il, réfléchir à un dispositif permettant que les sommes collectées au titre de « l’auteur inconnu » ou « introuvable » puissent bénéficier prioritairement aux auteurs d’images fixes. Une partie des sommes collectées pourrait également être affectée à l’amélioration des outils d’identification des auteurs et de reconnaissance des images fixes.

En tout état de cause, une législation sur les œuvres orphelines est non seulement une priorité, mais aussi une urgence. On ne peut pas se permettre de remettre à plus tard un dispositif sous prétexte qu’un projet de directive européenne est en cours. On sait qu’il faudra plusieurs années pour transposer cette directive. Pendant ce temps, combien de photographes déjà fortement fragilisés vont disparaître ?

D’autant que cette loi est aussi attendue par les conservateurs d’archives et de bibliothèques, qui ont besoin de sécurité juridique à l’égard des œuvres orphelines dans le cadre de la numérisation de leurs fonds. Ils conviennent qu’il est tout à fait possible de concilier les droits des créateurs avec l’exigence d’un accès élargi du public à la culture.

En outre, les cas de censure et, par voie de conséquence, d’autocensure ne font que se multiplier, comme en témoignent, d’une part, les procès intentés à l’occasion de certaines expositions d’art visuel ou, d’autre part, les mesures « préventives » pour éviter d’éventuels recours devant la justice.

Pour parler franchement, je m’inquiète du fait que cette proposition de loi se trouvera en quelque sorte détricotée, seul l’article 1er étant sauvegardé, même si un article additionnel a été accepté tout à l’heure par notre commission.

Pour ma part, je reste convaincu que la non-adoption de certaines dispositions pourtant fondamentales revient à tarir la production d’images photographiques. En effet, il est essentiel d’aller au-delà de la définition de l’œuvre orpheline, car, sans avancée législative supplémentaire, nombre de photographes renonceront à leur métier, faute de pouvoir en vivre. Il nous revient de faire respecter leurs droits, auxquels s’attachent l’ensemble des articles de cette proposition de loi, même s’ils sont perfectibles.

S’ils n’apportent pas toutes les solutions à l’ensemble des difficultés évoquées, les articles 2 et 3 auront un impact certain et de réels effets vertueux, car ils contribuent à revaloriser un patrimoine aujourd’hui trop souvent vilipendé.

Vous comprendrez donc ma réserve devant un texte qui a été, pour une part, vidé de sa substance. Mais je n’ai pas voulu amender cette proposition de loi pour respect envers ses auteurs, auxquels je tiens à laisser tous leurs droits… §

Monsieur le ministre, j’ai bien noté votre engagement résolu pour faire de la photographie et aussi de la numérisation des œuvres de l’esprit des chantiers majeurs. D’ailleurs, le tee-shirt vous va très bien ! §

Ce n’est qu’un début ; continuons le débat ! Le chantier est ouvert. J’espère qu’un jour viendra où les orphelinats visuels seront fermés !

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