Intervention de Yvon Collin

Réunion du 28 octobre 2010 à 9h00
Œuvres visuelles orphelines — Adoption d'une proposition de loi

Photo de Yvon CollinYvon Collin :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je me félicite de l’initiative du groupe socialiste sur la question des œuvres visuelles orphelines, question qui se pose depuis longtemps, mais qui prend une résonance particulière dans le contexte de la révolution numérique que nous connaissons depuis quelques années.

Plus généralement, cela fait maintenant quelque temps que la Haute Assemblée, notamment par l’intermédiaire de la commission de la culture, s’attache de manière constante à prendre en compte les évolutions de ce contexte et à traiter les questions nouvelles ou simplement renouvelées, parfois induites par la numérisation.

La question du droit d’auteur est l’une de celles qui entrent précisément dans cette catégorie, car au fond le débat se résume à une question : comment assurer concrètement le respect du droit d’auteur à l’heure du numérique, c'est-à-dire à l’heure où beaucoup d’œuvres sont mises en ligne gratuitement dans des délais extrêmement brefs ?

Nous avions déjà largement abordé cette question, il y a peu de temps, à l’occasion du débat sur le téléchargement de musique sur internet et sur la mise en place de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, ou HADOPI. Nous l’abordons aujourd’hui à propos des œuvres visuelles orphelines et je m’en réjouis, parce que, peu à peu, en nous attelant à chacun de ses différents aspects, nous progressons dans notre logique de sécurisation du respect des droits d’auteur dans un contexte renouvelé.

Vous l’aurez sans doute compris, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le groupe RDSE est a priori favorable à la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui, et qui fait suite à l’avis rendu en 2008 par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, le CSPLA. Il semble en effet nécessaire – et donc opportun, mais aussi bienvenu – de tenter de pallier la carence législative existant en matière de droits d’auteur attachés aux œuvres visuelles orphelines.

Notre intervention est d’autant plus urgente que cette carence ouvre de fait la voie à des contrefaçons massives non sanctionnées et que les pratiques abusives dans ce secteur sont désormais légion. Les photographes, qui seront les principales personnes concernées par ce texte, placent d’ailleurs beaucoup d’espoir dans cette proposition de loi, à laquelle ils ont manifesté un vif soutien.

Comme l’a rappelé notre collègue Jean-François Humbert dans son rapport, les enjeux liés à cette question sont grands, sur les plans tant économique que juridique et culturel. Arrêtons-nous un instant sur l’aspect économique : les œuvres visuelles orphelines représentent de 3 % à 20 % des photographies portant la mention « droits réservés ». Or, le manque à gagner dû à l’absence de rémunération de ces photographies est estimé, d’après une étude du Syndicat national des auteurs et diffuseurs d’images portant sur huit titres de presse, à 350 000 euros par mois. Une telle somme, vous en conviendrez, est loin d’être négligeable, surtout quand on connaît les difficultés structurelles de ce secteur, aggravées par la crise – M. le ministre et M. le rapporteur l’ont d’ailleurs rappelé.

Si la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui apparaît donc, pour les raisons évoquées précédemment, nécessaire, elle n’en souffre pas moins de limites importantes. Ces limites ont été soulignées par M. le rapporteur et par la commission, mais il me semble important de les évoquer à nouveau.

Je m’attarderai particulièrement sur deux d’entre elles, en commençant par la plus « technique », qui concerne les sociétés de gestion collective que cette proposition de loi envisage de créer. Ces sociétés suscitent de nombreuses interrogations : autant je ne partage pas entièrement l’avis du rapporteur quand il déplore la logique consistant à reverser à l’aide à la création les sommes perçues par les sociétés de gestion, mais non réclamées par les ayants droit au terme d’un délai de dix ans, autant je fais mien, en revanche, son scepticisme quant au rôle de ces sociétés et à leur capacité, voire à leur volonté, d’entamer en pratique « une recherche diligente » des auteurs des œuvres orphelines.

Venons-en maintenant à la deuxième limite et donc au procès en « insuffisance » fait à cette proposition de loi. Il est en effet dommage, comme plusieurs de nos collègues l’ont souligné à diverses reprises, de n’avoir pas saisi l’occasion offerte par ce texte pour légiférer plus largement sur la question des œuvres orphelines, même non visuelles.

Il eût été en effet judicieux de ne pas dissocier la question des œuvres orphelines écrites afin de s’attaquer à l’ensemble du problème du respect effectif du droit d’auteur à l’ère du numérique. Une telle approche aurait surtout permis de ne pas occulter une partie de la question et de priver ainsi ce texte d’une partie de son pouvoir opérant. En effet, qu’adviendra-t-il des œuvres visuelles orphelines insérées au sein d’une œuvre écrite, car nous savons qu’elles sont nombreuses et qu’il ne s’agit donc pas d’une hypothèse d’école ? Pas plus qu’aujourd’hui, elles ne pourront être rémunérées par les droits d’auteur !

Faut-il pour autant, en prenant prétexte des insuffisances de ce texte et des limites que je viens d’évoquer, renoncer à voter en faveur de cette proposition de loi ? Je n’en suis pas certain, d’autant moins qu’il me semble hasardeux d’attendre, avant de nous prononcer plus avant, la publication d’une proposition de directive européenne déjà maintes fois annoncée, sans que cette annonce soit jamais réellement suivie d’effet !

De la même manière, faut-il renoncer à voter en faveur de cette proposition de loi sous le prétexte qu’on pourrait mieux faire ou faire plus ? Mais si nous nous en tenions à ce raisonnement, nous ne pourrions jamais avancer ! Bien sûr que des améliorations sont toujours envisageables, mais il est bien connu que « le mieux est l’ennemi du bien ». Vouloir mieux faire risque, dans le cas présent, de nous condamner finalement à ne rien faire.

Il nous semble a priori plus sage de soutenir un texte qui ne constitue certes qu’une première étape, mais qui a le mérite d’exister et de proposer des solutions qui vont dans le bon sens – quitte, bien entendu, à ce que ce texte soit amélioré au cours de la navette parlementaire ou que ses principes soient étendus par la suite, dans le cadre d’une autre proposition de loi, à un secteur plus large que celui des œuvres visuelles numériques.

Monsieur le ministre, nous savons tous combien vous êtes attaché à la défense des intérêts des créateurs, trop souvent privés du fruit de leur travail. Nous vous félicitons et vous remercions de votre engagement au service de ces témoins de notre présent, garants de notre mémoire, ainsi que de votre soutien à cette proposition de loi. En ce qui concerne le groupe RDSE, il soutiendra cette proposition de loi de manière unanime.

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