Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous assistons bien à une dérive de la mention « droits réservés », ou « DR », qui constitue une facilité de gestion éditoriale pour les diffuseurs.
De nombreux photographes m’ont contactée, expliquant qu’il est en effet plus facile pour les diffuseurs d’attendre que l’auteur se manifeste, après publication, que d’engager des recherches pour le retrouver ou même de le contacter, alors qu’il est connu. Les « droits réservés » deviennent ainsi un contenu éditorial gratuit, ce qui a de graves conséquences pour les photographes : cette pratique les prive de la rémunération due pour l’exploitation de leurs images ; elle institue une concurrence déloyale à l’égard des photographes identifiables, du fait de la gratuité de ces usages illégaux. L’enjeu est très loin d’être négligeable, tant la pratique se répand et il est sûrement nécessaire de légiférer.
Un récent rapport de l’Inspection générale des affaires culturelles, l’IGAC, intitulé « Photojournalistes : constat et propositions », cite ainsi l’exemple d’un célèbre hebdomadaire de télévision à vocation culturelle qui, sur ses quatre numéros d’octobre 2009, a publié 1 081 photographies, dont 678 avec la mention « DR ».
En raison des difficultés économiques rencontrées par la presse, et grâce au développement d’internet, les rédactions recherchent des photographies gratuites. Pour certains titres, il s’agit d’une démarche volontaire d’économie. Or, les conditions d’exercice du métier de photojournaliste deviennent difficiles. Les auditions ont mis en évidence la précarisation des photographes en général. Dans ce contexte, la question des droits d’auteur des journalistes appelle une vigilance particulière.
Le Gouvernement s’est saisi de la question. C’est à sa demande que l’IGAC a rendu son rapport à la fin du mois d’août, à l’occasion du 22e festival international du photojournalisme, à Perpignan, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre. Ce rapport dresse un diagnostic précis de la situation, présente des pistes pour améliorer les conditions d’exercice du métier et recommande, notamment, une approche législative.
Je me réjouis donc que cette proposition de loi de notre collègue Marie-Christine Blandin permette d’ouvrir un chantier législatif souhaité par le Gouvernement, afin d’assurer une meilleure protection de la profession.
Le groupe UMP souscrit à cette démarche. Mais, si nous rejoignons la philosophie qui sous-tend la proposition de loi, nous émettrons les mêmes réserves que la commission dans ses conclusions : les explications de notre rapporteur, dont je salue l’excellent travail, m’ont convaincue.
Tout d’abord, il est illogique de ne légiférer que sur les seules œuvres visuelles, alors que la problématique concerne également le secteur de l’écrit.
Ensuite, il est prématuré de vouloir régler le problème : la Commission européenne devrait se prononcer à la fin du mois de novembre sur le sujet des œuvres orphelines dans leur ensemble, qu’il s’agisse d’images ou d’écrits ; attendons par conséquent ses conclusions ! Il faut en effet considérer la question à l’échelon européen, au regard des enjeux liés à la numérisation des fonds des bibliothèques européennes.
Enfin, notre rapporteur a relevé plusieurs difficultés que poserait la proposition de loi dans sa rédaction actuelle.
En premier lieu, dans la définition des œuvres orphelines. Sur ce point, il a proposé une nouvelle rédaction à l’article 1er, qui convient à tous, je pense.
En second lieu, au travers de ses articles 2 et 3, la proposition de loi crée un système de gestion collective des droits, mais les caractéristiques de celui-ci soulèvent des problèmes juridiques. Sans entrer dans le détail, il est évident qu’une réflexion plus approfondie sur ce sujet est nécessaire.
Aussi, je rappelle le souhait émis par M. le ministre lors du festival de Perpignan : ouvrir sans délai une concertation autour du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. La contribution du Conseil nous assurera que la solution proposée n’entraîne pas d’effets pervers ou ne puisse être contournée au préjudice des photographes. Je crois donc qu’il est prudent d’attendre, d’une part, les résultats de cette concertation et, d’autre part, la directive européenne.
Néanmoins, je me réjouis que l’adoption de l’article 1er de cette proposition de loi donne à ce texte une impulsion qui, en fin de compte, après la réflexion permise par la navette parlementaire, constituera, j’en suis certaine, une avancée considérable pour les photographes.